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« Élaboration d’un critère utile » : La responsabilité pour négligence du gouvernement

La dernière décision rendue par la Cour suprême du Canada concernant la responsabilité pour négligence du gouvernement a engendré la confusion. Il est maintenant plus difficile que jamais d’établir si une conduite particulière de gouvernement relève de la politique générale et est protégée, empêchant toute réclamation fondée sur la négligence.

L’affaire R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 découle de deux poursuites en justice contre des sociétés de tabac alléguant une conduite préjudiciable envers les fumeurs en Colombie-Britannique. Les poursuites en justice reposaient essentiellement sur le fait que les sociétés de tabac auraient déclaré aux fumeurs que les cigarettes à teneur réduite en goudron étaient moins nocives que les cigarettes ordinaires alors qu’elles ne le seraient pas.

Tout en niant les allégations portées contre elles, les compagnies de tabac ont mis en cause le gouvernement du Canada. Les compagnies alléguaient que Santé Canada leur avait indiqué, ainsi qu’aux fumeurs, que les cigarettes à faible teneur en goudron étaient moins nocives et avait invité les fumeurs à opter pour ces cigarettes. Santé Canada aurait en outre précisé aux compagnies le moment et la manière de mettre en garde les fumeurs au sujet des dangers de l’usage du tabac. De son côté, Agriculture Canada aurait conçu, fabriqué et fait la promotion de nouvelles variétés de tabac devant être utilisées dans les cigarettes à faible teneur en goudron et aurait concédé des licences à l’égard de ces variétés.

Le gouvernement fédéral a demandé que soient radiées les demandes de mise en cause au motif qu’elles n’avaient aucune possibilité raisonnable d’être accueillies. En appel, la Cour suprême devait principalement décider si les demandes de mise en cause avaient trait à des décisions de politique générale. Depuis l’affaire Kamloops c. Nielsen, [1984] 2 R.C.S. 2, dans les provinces de common law du Canada, le gouvernement n’a aucune obligation de diligence à l’égard des décisions de politique générale. Par contre, la mise en œuvre de ces décisions — ce qu’on appelle l’exécution — peut donner suite à des poursuites en absence de diligence raisonnable.

Exprimant l’opinion de la Cour, la juge en chef McLachlin a commencé en décrivant « l’élaboration d’un critère utile » pour définir les décisions de politique générale. Après avoir examiné la jurisprudence du Royaume-Uni, de l’Australie et des États-Unis, la juge en chef a défini les décisions de politique générale comme des décisions qui « se rapportent à une ligne de conduite et reposent sur des considérations d’intérêt public, tels des facteurs économiques, sociaux ou politiques, pourvu qu’elles ne soient ni irrationnelles ni prises de mauvaise foi ».

En appliquant cette définition aux demandes de mise en cause, la juge en chef a indiqué qu’il était évident et manifeste que le gouvernement avait mis en œuvre, par souci pour la santé des Canadiens et en raison des coûts associés aux maladies causées par le tabac, une décision de politique générale pour inciter les fumeurs à opter pour des cigarettes à faible teneur en goudron. Puisque la conduite contestée du gouvernement faisait « partie intégrante » de cette décision de politique générale ou avait « trait à » cette décision, elle ne pouvait constituer le fondement d’une action en négligence.

Remarques de McCarthy Tétrault 

En soi, la nouvelle définition de décision de politique générale dans l’affaire Imperial Tobacco n’a rien de remarquable; il y a plus de 20 ans, dans l’affaire Just c. Colombie-Britannique [1989] 2 R.C.S. 1228, la Cour suprême a également considéré comme décisions de politique générale celles « comportant des facteurs et des contraintes d’ordre financier, économique, social ou politique, ou qui sont dictées par ces derniers ».

Toutefois, en incluant toute la conduite contestée du gouvernement dans le cadre de la politique générale, Imperial Tobacco brouille la portée de l’immunité du gouvernement en matière de négligence.

Il peut être plausible de décrire une stratégie gouvernementale de haut niveau pour réduire les risques du tabac en tant que décision de politique générale mue d’une part, par des préoccupations au sujet de la santé et, d’autre part, par l’acceptation sociale des risques liés à l’usage du tabac, et l’importance des taxes sur les cigarettes pour le Trésor public. Cependant, il n’est pas certain que le choix de promouvoir les cigarettes à faible teneur en goudron pour mettre en œuvre cette stratégie était en soi une politique générale. Il semblerait plutôt que ce choix a été fondé sur des jugements de scientifiques et d’experts quant à la valeur sur le plan de la santé de ces cigarettes et leur convenance pour les fumeurs. S’il en avait été question dans la cause Just, le choix aurait constitué l’exécution d’une décision assujettie à une obligation de diligence.

Le fait de soustraire la conduite du gouvernement à la responsabilité délictuelle dans la mesure où elle fait partie intégrante d’une décision de politique générale ou y a trait constitue également une nouveauté importante. Par conséquent, la viabilité d’une réclamation en négligence contre le gouvernement pourrait ne plus dépendre de la distinction qui a été faite auparavant entre la politique et sa mise en œuvre. Le débat central pourrait maintenant porter sur la force du lien entre la politique et la conduite du gouvernement en question.

À la lumière de l’affaire Imperial Tobacco, les parties qui souhaitent poursuivre le gouvernement pour négligence devront, en l’absence d’irrationalité manifeste ou de mauvaise foi, examiner plus attentivement si la conduite du gouvernement en question se rapporte à une décision de politique générale ou en fait simplement partie intégrante. Les parties doivent être prêtes à faire face à une plus grande incertitude si elles intentent une action.

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Simon Potter

Harry C. G. Underwood

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