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Contrats publics et projet de loi 26 : recouvrement des sommes injustement payées et modification au régime d’autorisation de l’AMF

Le projet de loi 26 intitulé Loi visant principalement la récupération de sommes payées injustement à la suite de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de contrats publics[1] (la « Loi ») a été adopté le 24 mars 2015 et certaines dispositions sont entrées en vigueur le 1er avril 2015.

La Loi s’applique à l’ensemble des contrats publics, et non seulement aux contrats dans le secteur de la construction comme le prévoyait l’ancien projet de loi 61 sur le même sujet qui est mort au feuilleton.

Des mesures exceptionnelles sont introduites pour permettre aux organismes publics québécois, y compris les municipalités, de récupérer des montants qu’ils auraient payés en trop en raison de fraudes ou de manœuvres dolosives dans le cadre de l’adjudication, de l’attribution ou de la gestion de contrats publics :

  • Un programme à durée déterminée sera mis sur pied afin d’inciter les entreprises qui veulent éviter des recours en dommages à rembourser volontairement les profits illicites qu’elles auraient facturés aux organismes publics.
    Des règles particulières faciliteront les recours civils contre les entreprises, ainsi que leurs dirigeants et administrateurs en fonction au moment des actes reprochés, qui n’auront pas obtenu quittance en vertu de ce programme de remboursement volontaire. Ces dispositions entreront en vigueur à une date ultérieure.

La Loi introduit également divers amendements à d’autres lois, y compris relativement à l’autorisation de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») requise par les entreprises qui souhaitent conclure des contrats et des sous-contrats avec des organismes publics.

Programme de remboursement volontaire

Les entreprises, ainsi que leurs dirigeants et administrateurs en fonction au moment des actes reprochés, pourront convenir d’un règlement unique pour l’ensemble des contrats qui auraient été affectés par des fraudes ou autres manœuvres dolosives, y compris la corruption et les infractions de truquage d’offres et de complot en vertu de la Loi sur la concurrence.

Ce programme sera publié au cours des prochains mois sous forme de projet dans la Gazette officielle du Québec et fera l’objet d’une consultation publique. Bien que les détails du programme ne soient pas encore connus, les modalités suivantes sont prévues :

  • Durée déterminée : La ministre de la Justice a indiqué par voie de communiqué que les entreprises auront 12 mois pour s’en prévaloir.
  • Règlement unique pour l’ensemble des organismes affectés : Le ministre de la Justice aura le pouvoir de convenir d’un remboursement au nom de tous les organismes publics québécois affectés, et de donner valablement quittance pour l’ensemble des contrats qui auraient pu être visés par des fraudes ou des manœuvres dolosives. La proposition de règlement de l’entreprise sera soumise à un vote de tous les organismes publics affectés, et devra être approuvée par le ministre.
  • Indemnité additionnelle de 10% : Dans son communiqué, la ministre a indiqué que les entreprises devront payer une indemnité additionnelle de 10% de la somme à rembourser, afin de financer le programme.
  • Nomination d’un administrateur : Un administrateur impartial sera nommé afin de favoriser un règlement à l’amiable avec le ministre, et recommander une proposition de règlement à ce dernier.
  • Confidentialité : La Loi prévoit que tout ce qui sera dit ou écrit dans le cadre du programme volontaire sera confidentiel, et ne pourra être reçu en preuve à moins que l’entreprise et le ministre n’y consentent. De plus, l’entreprise, le ministre et l’administrateur ne pourront être contraints de dévoiler ce qui aura été dit dans le cadre du programme ou de produire les documents préparés ou obtenus dans le cadre du programme, y compris dans le cadre de recours civils ou administratifs et en réponse à des demandes de renseignements d’organismes d’application de la loi ou administratifs.
  • Rapport public : Le ministre devra, dans les six mois suivant la fin du programme, faire un rapport indiquant, entre autres, le nom des entreprises ayant participé au programme, le nom des organismes publics visés, et le montant global des sommes remboursées.

Règles exceptionnelles applicables aux recours en dommages

La Loi prévoit diverses mesures pour faciliter les poursuites civiles contre des entreprises qui auraient commis des actes frauduleux dans le cadre de contrats publics, et qui n’obtiendront pas quittance en vertu du programme de remboursement volontaire.

Ces dispositions entreront en vigueur à une date ultérieurement fixée par le gouvernement, vraisemblablement à l’expiration du programme de remboursement volontaire.

Le ministre de la Justice pourra intenter des recours en dommages au nom des différents organismes publics, mais ceux-ci pourront également entreprendre directement des recours, sous réserve d’obtenir l’autorisation préalable du ministre, et bénéficier des règles exceptionnelles.

Voici un résumé des règles qui s’appliqueront à ces recours :

  • Délai de prescription exceptionnel : Les organismes publics pourront réclamer des dommages pour une période allant jusqu’à 20 ans précédant la date d’entrée en vigueur des nouvelles dispositions, dans la mesure où un recours est intenté dans les 5 ans suivant cette date. Cette période de 20 ans concorde avec celle qui a fait l’objet de la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction (« Commission Charbonneau »).
  • Préjudice présumé correspondre à 20% du montant total des contrats visés : Lorsque la participation d’une entreprise à une fraude ou à une manœuvre dolosive sera établie, le préjudice sera présumé correspondre à la somme réclamée par l’organisme public, jusqu’à concurrence de 20% du montant total payé par l’organisme public pour le contrat visé. L’entreprise aura le fardeau d’établir que le préjudice réel est inférieur à ce pourcentage. Par ailleurs, l’organisme public pourra réclamer une somme supérieure à ce pourcentage, sous réserve d’en faire la preuve. Les intérêts seront calculés à compter de la date de réception de l’ouvrage.
  • Indemnité additionnelle de 20% : Les entreprises devront payer une somme additionnelle correspondant à 20% des dommages accordés à titre de frais engagés pour l’application de la Loi.
  • Responsabilité solidaire des dirigeants et administrateurs : Les dirigeants de l’entreprise en fonction au moment des actes reprochés seront solidairement responsables, à moins qu’ils ne démontrent avoir agi avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve une personne prudente en pareilles circonstances. Les administrateurs de l’entreprise en fonction au moment des actes reprochés seront également solidairement responsables s’il est établi que ces derniers savaient ou auraient dû savoir qu’une fraude ou une manœuvre dolosive a été commise, à moins qu’ils ne démontrent avoir agi avec le soin, la diligence et la compétence dont ferait preuve une personne prudente en pareilles circonstances.
  • Hypothèque légale : La créance de l'organisme public pour les sommes réclamées lui confèrera une hypothèque légale qui pourra, sur autorisation, être inscrite sur les biens de l’entreprise, ainsi que sur ceux des dirigeants et administrateurs visés par le recours et qui étaient en fonction au moment des actes reprochés.

Modifications législatives

La Loi a également apporté certaines modifications, entrées en vigueur le 1er avril 2015, à la Loi sur les contrats des organismes publics (« LCOP »), la Loi sur le bâtiment, la Loi sur les élections et les référendums dans les municipalités, la Loi sur les élections scolaires, ainsi qu’à la Loi électorale.

Les règles d’autorisation de l’Autorité des marchés financiers sont assouplies[2]:

  • Disqualification automatique : Désormais, l’autorisation de l’AMF sera refusée automatiquement à une entreprise uniquement si un actionnaire majoritaire de l’entreprise qui est une personne physique, ou l’un de ses administrateurs ou dirigeants a été déclaré coupable, au cours des 5 années précédentes, des infractions prévues à l’annexe I de la LCOP, y compris la fraude, la corruption et les infractions de truquage d’offres et de complot en vertu de la Loi sur la concurrence.
  • Disqualification discrétionnaire : Une entreprise qui est déclarée coupable des infractions à l’annexe I de la LCOP peut dorénavant obtenir l’autorisation de l’AMF si elle démontre par ailleurs que des mesures appropriées ont été adoptées afin de satisfaire « aux exigences élevées d'intégrité auxquelles le public est en droit de s'attendre d'une partie à un contrat public ou à un sous-contrat public »[3].

Commentaires de McCarthy Tétrault

Puisqu’il sera de courte durée, les entreprises qui font l’objet d’enquêtes ou de poursuites relativement à des contrats publics auront intérêt à examiner les modalités du programme de recouvrement volontaire lorsqu’il sera publié, afin de déterminer s’il est avantageux de s’en prévaloir. Ces entreprises devraient également considérer préparer une preuve relativement aux sommes facturées en trop, le cas échéant, pour des contrats qui auraient pu être visés par des fraudes ou des manœuvres dolosives. Une telle preuve pourra être utilisée non seulement pour négocier un règlement volontaire, mais également dans le cadre de recours civils pour renverser la présomption que le préjudice équivaut à 20% de la valeur du contrat.

La constitutionalité des règles exceptionnelles applicables aux recours en dommages facilitant le recouvrement des montants payés en trop par les organismes publics pourrait être contestée. En effet, ces règles ressemblent à celles prévues à la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac. McCarthy Tétrault représente actuellement un des fabricants de tabac qui conteste la constitutionnalité de cette loi devant les tribunaux.

Comme les administrateurs et dirigeants peuvent faire valoir une défense de diligence raisonnable pour éviter que leur responsabilité personnelle soit engagée dans le cadre de recours en dommages, ils devraient s’assurer d’être protégés par une convention d’indemnisation aux termes de laquelle l’entreprise s’engage à assumer leur défense. Si une telle convention est déjà en vigueur, il serait utile de vérifier que les termes couvrent une situation découlant de la Loi et, au besoin, les renégocier. Les administrateurs et dirigeants devraient aussi vérifier s’ils peuvent compter sur la protection offerte par la police d’assurance responsabilité des administrateurs et dirigeants souscrite par la compagnie. Soulignons qu’au Québec, l’assureur responsabilité a l’obligation d’assumer la défense d’un administrateur ou d’un dirigeant uniquement dans la mesure où la réclamation est susceptible d’être couverte par les termes de la police, ce qui n’est pas le cas dans d’autres juridictions où l’assureur n’a pas obligatoirement l’obligation de défendre. Il est donc recommandé de lire attentivement le libellé de la police d’assurance pour déterminer si une réclamation en vertu de la Loi est susceptible d’être couverte et de songer à négocier certains termes ou avenants appropriés. Les polices d’assurance étant habituellement sur une base de réclamation, c’est celle qui est en vigueur au moment où une situation découlant de la Loi fait l’objet d’une réclamation qui s’appliquera, et non pas celle qui était en vigueur au moment des actes reprochés. Puisque la Loi permet de poursuivre pour des actes reprochés allant jusqu’à 20 ans avant son entrée en vigueur, certains administrateurs qui auraient quitté un conseil d’administration il y a de nombreuses années pourraient se retrouver dans une situation délicate si la police courante ne couvre pas aussi les administrateurs passés de la compagnie : il serait utile de vérifier ce fait rapidement.

Les modifications au régime d’autorisation de l’AMF permettent aux entreprises de se « réhabiliter » en adoptant des mesures appropriées pour prévenir la répétition de comportements fautifs de la part de leurs représentants. Une déclaration de culpabilité visant l’entreprise n’entraîne donc plus automatiquement son inadmissibilité aux contrats des organismes publics québécois. Il faut cependant garder à l’esprit que si l’entreprise est déclarée coupable de certaines infractions, l’entreprise et toutes ses affiliées risquent d’être inadmissibles pendant 10 ans aux contrats fédéraux octroyés par Travaux publics et services gouvernementaux Canada (« TPSGC »)[4].


[1] 2015, chapitre 6.

[2] Depuis le 24 octobre 2014, toute entreprise doit obtenir une autorisation de l’AMF pour conclure un contrat ou sous-contrat public d’une valeur supérieure à 5 millions de dollars. Ce seuil est inférieur pour certains contrats et sous-contrats de la Ville de Montréal.

[3]Loi sur les contrats des organismes publics, art. 21.27 et 21.28.

[4] Cadre d'intégrité de TPSGC : http://www.tpsgc-pwgsc.gc.ca/ci-if/ci-if-fra.html. Voir notre publication : http://www.mccarthy.ca/article_detail.aspx?id=7043.

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