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Comment la pandémie de COVID-19 bouscule le droit de la concurrence au Canada

Par le groupe du droit de la concurrence/antitrust et de l’investissement étranger de McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Le commissaire de la concurrence du Canada a publié une lettre ouverte le 18 mars 2020 sur la pandémie de COVID-19 et la réponse du Bureau de la concurrence Canada à cet égard. Reconnaissant que nous traversons des temps incertains, la lettre vise à rassurer les Canadiens que le Bureau demeure fonctionnel et « résolu à faire tout ce qui est en son pouvoir pour servir l’intérêt public ». Vous trouverez ci-dessous les derniers développements et des conseils pour les entreprises qui se questionnent sur ce qui leur est permis ou non de faire pour traverser la tempête économique.

Autorisation de fusion

Tout en rassurant le marché sur la poursuite des activités du Bureau, le commissaire précise que des changements ont été apportés aux processus du Bureau afin de respecter les recommandations de distanciation sociale, changements qui pourraient occasionner des délais dans les examens des fusions et les enquêtes en cours non urgentes. Nous avons déjà observé des délais dans la capacité du Bureau de fournir les degrés de complexité des fusions et avons été informés que les examens prendront plus de temps qu’à l’habitude, en partie en raison de la difficulté du Bureau à établir des contacts avec les intervenants du marché. Puisque nous anticipons que ces délais se poursuivront, nous conseillons aux parties qui procèdent à des fusions d’en tenir compte lors de la négociation des échéances de leurs ententes.

Le commissaire a mentionné que compte tenu de ces circonstances sans précédent, le Bureau s’efforcerait de prioriser « les dossiers afin de maximiser [ses] ressources et de répondre à [ses] normes de service » et de « prioriser les problèmes urgents du marché qui nécessitent une action immédiate pour protéger les Canadiens ». Bien que le commissaire n’ait pas précisé les dossiers qui seront traités en priorité, on peut présumer que ses priorités s’apparenteront à celles de ses organisations sœurs aux États-Unis et en Europe.

Mesures de protection du consommateur

Les premiers rapports provenant d’agences étrangères font ressortir le besoin de protéger les consommateurs contre la fraude, les pratiques commerciales trompeuses, et les prix abusifs ou excessifs. En particulier :

  • Des agences nationales d’Europe sont intervenues dans des cas présumés de prix excessifs. Par exemple, des enquêtes ont été ouvertes en Italie contre Amazon et eBay à la suite de réclamations portant sur de présumées publicités trompeuses et hausses de prix excessives, et des enquêtes ont été ouvertes relativement à des désinfectants pour les mains et à des masques de protection[1].
  • La Federal Trade Commission des États-Unis évalue des allégations concernant les effets sur la santé de traitements ou de remèdes contre la COVID-19 et offre aux consommateurs des conseils sur des manières de se tenir loin des imposteurs[2].
  • Le département de la Justice des États-Unis a insisté sur son intention de tenir responsable quiconque contrevient aux lois en matière de concurrence des États-Unis dans le cadre de la fabrication, de la distribution ou de la vente au public de produits de santé, notamment de masques faciaux, de respirateurs ou d’outils de diagnostique[3].
  • En déclarant l’état d’urgence, la Californie a déclenché une interdiction de gonflement des prix de la nourriture, des fournitures d’urgence, des nourritures médicales, de l’essence, des services de nettoyage d’urgence, de l’hébergement à l’hôtel et du transport[4].

Même si le mandat du commissaire du Canada n’englobe pas les gonflements de prix en tant que tel, les pratiques commerciales trompeuses demeurent de son ressort et comptaient parmi ses priorités quant à l’application de la loi avant même le début de la crise. Les entreprises devraient continuer de faire preuve de prudence dans leurs allégations concernant les effets sur la santé et, lorsqu’elles formulent de telles allégations, de prendre soin d’avoir mené des tests suffisants pour étayer leurs allégations de performance ou d’efficacité. Les entreprises doivent également veiller à respecter les règles de la publicité sur les prix de vente et les escomptes, notamment les règles complexes sur le prix habituel et les indications relatives aux aubaines ou aux escomptes. En outre, la Loi sur les mesures d’urgence du Canada qui, selon le premier ministre Trudeau, pourrait être invoquée permet au gouvernement fédéral de prendre des mesures pour « la réglementation de la distribution et de la mise à disposition des denrées, des ressources et des services essentiels[5] ». Une telle situation pourrait donner lieu à des règles de tarification similaires à celles qui ont été invoquées en Californie.

Cartels de crise et autres collaborations

Nous surveillons également de quelle manière le Bureau réagira aux enjeux plus structuraux que la crise de COVID-19 pourrait occasionner sur l’économie. Par exemple, certaines juridictions reconnaissent que des « cartels de crise » pourraient être formés afin d’atténuer les répercussions d’un ralentissement des ventes ou de stocks excédentaires, notamment l’article 15(5) de la loi antitrust de la Chine ou l’article 101(3) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.

Nous surveillons également de quelle manière le Bureau réagira aux enjeux plus structuraux que la crise de COVID-19 pourrait occasionner sur l’économie. Par exemple, certaines juridictions reconnaissent que des « cartels de crise » pourraient être formés afin d’atténuer les répercussions d’un ralentissement des ventes ou de stocks excédentaires, notamment l’article 15(5) de la loi antitrust de la Chine ou l’article 101(3) du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permettent le partage de renseignements entre concurrents sur l’offre excédentaire ou insuffisante pour autant que partage n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour corriger la défaillance du marché. Dans la même veine, les renseignements provenant de la Norvège semblent indiquer que le pays a accordé un sursis de trois mois sur les interdictions de coopération horizontale dans le secteur du transport. Dans la même veine, les renseignements provenant de la Norvège semblent indiquer que le pays a accordé un sursis de trois mois sur les interdictions de coopération horizontale dans le secteur du transport.

Le Canada ne prévoit pas d’exemptions pour les « cartels de crise ». Néanmoins, compte tenu de l’objectif du commissaire de prioriser les problèmes urgents du marché, il pourrait être possible de discuter avec le Bureau pour s’assurer que les collaborations entre compétiteurs qui, normalement, déclencheraient des activités d’application de la loi antitrust, seront tolérées durant cette période pour éviter des défaillances du marché. Par exemple, les coentreprises légitimes peuvent ouvrir des pistes de collaboration ou il peut être possible d’obtenir des avis consultatifs du Bureau sur les avenues potentielles.

Autrement, les règles du Canada portant sur la fixation des prix et la répartition des marchés demeurent en vigueur et des sanctions pénales pourraient être imposées. Ceci pourrait, par exemple, englober toute entente avec des concurrents en vue de restreindre l’offre ou de coordonner la fixation des prix, ou toute entente qui pourrait être perçue comme un gonflement de prix coordonné, un contrôle de la production ou de l’offre de biens, ou la répartition des marchés, des consommateurs ou des territoires. Toute activité de ce genre attirera l’attention du Bureau et sera traitée en priorité, en particulier si elle porte sur des produits essentiels. Elles s’ajouteront aux recours collectifs en droit de la concurrence au Canada, où les causes de fixation de prix et de répartition du marché peuvent être traitées comme des poursuites privées et tirer parti de seuils d’autorisation d’action collective particulièrement bas.

Par conséquent, avant que votre entreprise participe à des efforts coordonnés ou collaboratifs avec des concurrents pour contrer les effets de la crise de COVID-19, il demeure plus que jamais essentiel d’obtenir des conseils judicieux sur ce qui est permis ou non par la Loi sur la concurrence avant de prendre toute décision.

[1] Consulter : https://en.agcm.it/en/media/press-releases/2020/3/ICA-Coronavirus-the-Authority-intervenes-in-the-sale-of-sanitizing-products-and-masks

[2] Consulter : https://www.consumer.ftc.gov/blog/2020/02/coronavirus-scammers-follow-headlines

[3] Consulter : https://www.justice.gov/opa/pr/justice-department-cautions-business-community-against-violating-antitrust-laws-manufacturing

[4] Consulter : https://www.gov.ca.gov/wp-content/uploads/2020/03/3.4.20-Coronavirus-SOE-Proclamation.pdf et https://www.nytimes.com/2020/03/12/us/california-state-of-emergency.html

[5]Loi sur les mesures d’urgence (L.R.C., 1985, ch. 22 (4e supp.)), alinéa 8(1)e)