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Comment aborder les questions communes : CDDM c. Centre hospitalier régional du Suroît du Centre de santé et de services sociaux du Suroît et l’analyse des questions communes dans le cadre d’un recours collectif

Une seule question commune peut-elle justifier l’autorisation d’un recours collectif au Québec? Oui, selon CDDM c. Centre hospitalier régional du Suroît du Centre de santé et de services sociaux du Suroît, 2011 QCCA 826, mais seulement si la question fait avancer les réclamations de chacun des membres du groupe.

Les faits

Le Collectif de défense des droits de la Montérégie (CDDM) soutient que, de juin 2005 à juin 2008, le Centre Hospitalier du Suroît (Centre) a violé les droits de tous les patients en santé mentale en encourageant, en tolérant ou en permettant l’imposition systématique de mesures de contention et d’isolement de ces patients, sans s’assurer de la nécessité de telles mesures pour protéger les patients ou les tiers, une pratique qui en principe contrevient à l’article 118.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux :

La force, l’isolement, tout moyen mécanique ou toute substance chimique ne peuvent être utilisés, comme mesure de contrôle d’une personne dans une installation maintenue par un établissement, que pour l’empêcher de s’infliger ou d’infliger à autrui des lésions. L’utilisation d’une telle mesure doit être minimale et exceptionnelle et doit tenir compte de l’état physique ou mental de la personne. [...]

Au soutien de leurs prétentions, les membres du groupe ont déposé des rapports du Protecteur du citoyen du Québec à l’égard de certaines plaintes sur les soins prodigués aux patients en santé mentale du Centre. Les rapports concluaient à l’existence d’une politique systémique de contention et d’isolement et d’une culture institutionnelle non conforme à la loi.

Les décisions en première instance et en appel

La Cour d’appel du Québec (Cour) a infirmé la décision de la Cour supérieure et a autorisé un recours collectif contre le Centre.

La requête pour autorisation d’exercer un recours collectif (requête) a été déposée pour le compte de tous les patients en santé mentale du Centre qui ont fait l’objet de mesures de contention et d’isolement du 11 juin 2005 au 11 juin 2008. Dans la requête, on fait valoir que les protocoles et pratiques utilisés à ce moment ont causé aux membres du groupe un préjudice physique et psychologique. On prétend également que ces protocoles et pratiques portaient atteinte aux droits fondamentaux des patients.

La Cour supérieure avait déjà conclu à l’absence de questions communes entre les membres du groupe. Selon la Cour supérieure, il était impossible de conclure que tous les patients en santé mentale qui ont fait l’objet de mesures de contention et d’isolement ont été traités de manière abusive. Au contraire, certains des patients étaient dangereux pour eux-mêmes et pour autrui. Le traitement qu’ils ont subi était donc approprié et justifié dans les circonstances.

Comme il avait déjà été reconnu que le recours collectif soulevait des questions de droit similaires, la question qui se posait vraiment était de savoir s’il soulevait des questions de fait identiques, similaires ou connexes. Selon la Cour supérieure, il faudrait entendre séparément chacun des membres du groupe pour établir s’il a fait l’objet de mesures d’isolement et de contention injustifiées. En pratique, une telle procédure se prêtait mal à un recours collectif du fait que la réussite ou l’échec du représentant du groupe ne ferait pas avancer ou reculer les réclamations des autres personnes pouvant être visées par la requête.

Pour en arriver à sa décision, la Cour d’appel s’est demandé si le recours collectif soulevait des questions communes. La Cour a répété que les trois objectifs d’un recours collectif sont l’économie judiciaire, l’accès à la justice et la modification des comportements. Elle a toutefois expliqué que l’objectif de l’économie judiciaire ne peut être atteint que si la détermination des questions communes au groupe est susceptible d’avancer de façon significative les recours individuels des membres.

Selon la Cour, la seule présence d’une question identique, similaire ou connexe est suffisante pour satisfaire à la condition de l’alinéa 1003 a) du Code de procédure civile si elle n’est pas insignifiante quant à l’issue du recours. La question n’a cependant pas à être déterminante quant à l’issue du recours. Il suffit qu’elle permette l’avancement des réclamations sans une répétition de l’analyse juridique. Il est possible que la détermination des questions communes ne constitue pas une résolution complète du litige, mais qu’elle donne plutôt lieu à des petits procès à l’étape du règlement individuel des réclamations.

La Cour a conclu que les questions pouvaient être ainsi reformulées pour l’application de l’alinéa 1003 a) :

  • Est-ce que les protocoles et usages en place au Centre en matière d’isolement et de contention entre juin 2005 et juin 2008 contrevenaient à l’article 118.1 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux?
  • Si oui, quelle est la responsabilité du Centre à l’égard des membres du groupe?

Ainsi, si le juge du fond conclut que les protocoles et usages étaient conformes aux droits des patients, le recours prendra fin. Si la conclusion contraire s’impose, le juge devra préciser dans quels cas et dans quelle mesure le Centre et les autres intimés peuvent être tenus responsables. Il ne restera ensuite plus qu’aux membres du groupe de démontrer combien de fois et de quelle manière, ils ont fait l’objet de mesures de contention et d’isolement injustifiées. À cette dernière étape, les membres du groupe pourront bénéficier d’une présomption de faute découlant des protocoles ou usages fautifs et il reviendra aux intimés de faire valoir toute défense pertinente, s’il en est.

Pour ces motifs, la Cour a infirmé le jugement en première instance et a autorisé le recours collectif contre le Centre et les autres intimés.

Remarques de McCarthy Tétrault

Même si la Cour d’appel a statué dans l’affaire Citoyens pour une qualité de vie c. Aéroports de Montréal, 2004 Can LII 48024, que les questions communes ne peuvent être noyées dans une mer de questions individuelles, l’affaire CDDM pousse plus loin cette analyse. Au lieu d’envisager les questions communes d’une manière quantitative, la décision propose une appréciation qualitative. Selon la décision, une seule question commune peut dans certains cas suffire si elle est suffisamment déterminante pour faire avancer d’une manière significative le litige.

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