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Nouveau Code de procédure civile du Québec : Un an après

Le 1er janvier 2016, la Loi instituant le nouveau Code de procédure civile entrait en vigueur au Québec. Visant à rendre la justice plus accessible, l’actuel CPC simplifie la procédure à certains égards et accorde aux tribunaux des pouvoirs accrus de gestion, dans l’esprit du principe de proportionnalité.

Un an après l’entrée en vigueur du CPC, quels enseignements les tribunaux en ont-ils tirés? Sans prétendre à l’exhaustivité, voici quelques décisions choisies sur des thèmes variés.

  1. Gestion d’instance

Face à une demande introductive d’instance, les parties se doivent de convenir d’un protocole de l’instance (art. 148 CPC). Ce protocole est présumé accepté sauf si, dans les 20 jours de son dépôt, les parties sont convoquées à une conférence de gestion (art. 150 CPC).

En matière civile, si une partie souhaite une prolongation du délai de rigueur de 6 mois afin d’inscrire sa cause pour procès, elle doit faire parvenir un avis de gestion ou procéder par demande formelle à ce sujet[1]. En effet, la simple production d’un protocole de l’instance où les parties auront convenu de modifier la date de l’inscription au mérite n’aura pas force de loi, sans l’accord du tribunal.

Afin d’obtenir une prolongation du délai de 6 mois, la demande doit être motivée et la complexité n’est plus suffisante : il faut un degré élevé de complexité ou des circonstances spéciales (art. 173, al. 2 CPC).

À tout moment de l’instance, les tribunaux disposent de mesures de gestion afin d’assurer une saine progression du dossier, en simplifiant ou en accélérant la procédure (art. 158(1) CPC).

Par exemple, dans le cadre d’une poursuite pour travaux allégués fautifs, la défense écrite est décrite comme une exception qui ne sera permise que si l’affaire présente un degré élevé de complexité ou des circonstances spéciales, précisant que ces circonstances doivent s’analyser de façon restrictive[2].

La gestion d’instance doit se faire dans le respect du principe de proportionnalité, qui s’impose aux parties lesquelles sont aussi sujettes à une obligation de coopération (art. 20 CPC).

Cette obligation de coopération aura des conséquences au niveau de la communication de la preuve. Ainsi, les « parties de cachette » quant aux éléments pertinents du litige sont à proscrire[3]. Cela dit, le tribunal pourra permettre le caviardage d’éléments non pertinents dans des documents confidentiels[4]. Il a aussi été reconnu que le principe de coopération devait céder le pas au privilège relatif au litige[5].

  1. Preuve, interrogatoires et expertise

Les tribunaux se sont empressés de rappeler aux parties que les principes de l’actuel CPC commandent une divulgation mutuelle de tous les éléments pertinents au débat judiciaire.

Puisque les interrogatoires au préalable sont désormais limités tant au niveau de leur durée que de leur tenue (art. 229 CPC), la Cour supérieure remarque qu’une divulgation plus importante est de mise au moyen de demandes de précisions ou de production de documents[6].

Dans le contexte de moyens préliminaires, interprétant l’article 169, al. 2 CPC, la Cour supérieure a ainsi conclut que la communication d’un document n’est plus tributaire de l’intention d’une partie de le produire, mais répond désormais seulement à l’exigence de sa pertinence quant au débat engagé[7].

Au niveau des interrogatoires, la disparition au sein du CPC de la distinction entre l’interrogatoire au préalable avant et après défense, mène la Cour supérieure à conclure que la communication des moyens de défense n’est plus une condition sine qua non à la tenue d’un interrogatoire du défendeur par la partie demanderesse[8]. Cependant, la saine gestion de l’instance et le principe de proportionnalité peuvent permettre qu’un tel interrogatoire ait lieu après défense.

Bien que la nouvelle règle prévoit que les objections basées sur la pertinence doivent être référées au mérite et n’empêchent pas le témoin de répondre (art. 228 CPC), une question impertinente au point d’en devenir abusive ne devrait pas être permise dans le cadre d’un interrogatoire au préalable[9].

La notion d’« intérêt légitime important », qui justifierait un témoin de s’abstenir de répondre, est interprétée restrictivement, l’exemple classique en ayant été donné étant le secret commercial. Dans une affaire, la Cour supérieure a toutefois jugé que quoique le respect d’une entente de confidentialité exigée par un organisme soulève un « intérêt légitime important », ce motif devait s’incliner devant le droit à une défense pleine et entière, tout en ordonnant certaines mesures de protection quant aux informations à être communiquées[10].

Sous l’actuel CPC, le principe de proportionnalité n’est plus limité aux actes de procédures mais inclut aussi les moyens de preuve choisis (art. 18 CPC). Cela peut notamment permettre au tribunal d’imposer une expertise commune à certaines conditions (art. 158(2) CPC).

Les tribunaux ne semblent pas avoir beaucoup exercé ce pouvoir, mais dans un dossier de préjudice corporel, la Cour du Québec a ordonné une expertise commune pour évaluer les dommages, malgré que la défense avait déjà retenu les services d’un expert à ce sujet, les frais d’une telle expertise devant être partagés également entre la demande et la défense[11].

Bien que l’expert est tenu « sur demande » d’informer le tribunal et les parties du déroulement de ses travaux et de ses instructions (art. 235 CPC), cela ne donne toutefois pas ouverture à un interrogatoire hors Cour de l’expert[12].

Les tribunaux appliquent généralement le principe de prudence qui prévalait sous l’ancien CPC quant au rejet d’un rapport d’expertise à un stade préliminaire[13].

  1. Appel

Depuis le 1er janvier 2016, les dispositions de l’actuel CPC en matière d’appel ont aussi donné lieu à quelques décisions d’intérêt.

Interprétant l’article 360 CPC, la Cour d’appel confirme que le point de départ du délai d’appel d’un jugement autre que celui rendu à l’audience correspond à la date que porte l’avis de jugement[14]. Ceci permet d’éviter les ambiguïtés factuelles entourant l’identification de la date réelle de connaissance de l’avis de jugement, ou de son envoi. Dans le cas d’un jugement rendu à l’audience, le point de départ du délai d’appel est la date même du jugement.

Alors que l’ancien CPC opposait les notions de « jugement final » et de « jugement interlocutoire », le législateur réfère dorénavant aux jugements « qui mettent fin à une instance » (art. 30 CPC) et aux jugements « rendu[s] en cours d’instance » (art. 31 CPC).

Le jugement qui met fin à l’instance entre les parties est celui qui dessaisit le tribunal de la cause d’action. Par exemple, en matière d’assurance, le jugement obligeant l’assureur à défendre, dans le cadre d’une requête indépendante de tout autre recours judiciaire, est considéré comme un jugement mettant fin à l’instance, bien que la question des dommages demeure à déterminer[15].

En principe, les mesures de gestion ne sont pas appelables, sauf sur permission si la mesure paraît déraisonnable au regard des principes directeurs de la procédure (art. 32 CPC).

En cas de scission d’instance, contrairement à ce que prévoyait l’ancien CPC, le premier jugement qui décide du fond de cette instance est sujet à un appel immédiat, avec la permission d’un juge d’appel conformément à l’article 31 CPC[16].

En matière d’action collective, depuis l’adoption de l’actuel CPC, le jugement autorisant l’exercice d’une action collective peut faire l’objet d’un appel sur permission d’un juge de la Cour d’appel, alors que le jugement refusant l’exercice de l’action collective demeure sujet à un appel de plein droit (art. 578 CPC).

Interprétant cet article, la Cour d’appel a décidé d’un test particulier pour en appeler des jugements ayant autorisé l’exercice d’une action collective[17]. Ainsi, un tel jugement sera appelable sur permission lorsqu’il paraîtra comporter à sa face même une erreur déterminante concernant l’interprétation des conditions d’exercice de l’action collective ou l’appréciation des faits relatifs à ces conditions, ou encore en cas flagrant d’incompétence de la Cour supérieure.

Conclusion

Un an après l’entrée en vigueur du CPC, les tribunaux ont déjà donné le ton pour que la recherche d’efficience judiciaire souhaitée par le législateur prenne forme.

Plusieurs enjeux demeurent cependant à explorer et les parties, leurs procureurs et les tribunaux devront contribuer, chacun à leur façon, à préserver cet équilibre délicat entre l’objectif d’une justice plus accessible et la possibilité pour les justiciables de faire valoir leurs droits.



[1] Rouleau c. Péloquin, 2016 QCCS 1192.

[2] Charrette c. Val-Mar Eau de gamme inc., 2016 QCCQ 9470.

[3] Environnement PH inc c. Services Enviro-Mart inc, 2016 QCCS 6064.

[4] Fortin c. Banque de Nouvelle-Écosse, 2016 QCCS 3773.

[5] Aviva, cie d’assurances du Canada c. Sherbrooke (Ville de), 2016 QCCQ 6901.

[6] Envac Systèmes Canada inc c. Montréal (Ville de), 2016 QCCS 1931.

[7] Ibid.

[8] Lalande c. Compagnie d’arrimage de Québec ltée, 2016 QCCS 4336.

[9] Distributions d’acier de Montréal c. Tubes Olympia ltée, 2016 QCCS 1635.

[10] Siciliano c. Éditions La Presse ltée, 2016 QCCS 3702.

[11] Parent c. Richer, 2016 QCCQ 2468.

[12] Couture c. Groupe Qualinet inc., 2016 QCCQ 1574.

[13] Bernatchez c. Blanchet Allard, 2016 QCCS 3199; contra : Du Sablon c. Groupe Ledor inc., 2016 QCCS 5469.

[14] Martineau c. Ouellet, 2016 QCCA 142.

[15] Intact, cie d’assurance c. Lamontagne, 2016 QCCA 1628.

[16] Droit de la famille – 161983, 2016 QCCA 1314.

[17] Centrale des syndicats du Québec c. Allen, 2016 QCCA 1878.