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L’entreposage en common law et en droit civil

Alors que l’entreposage est une partie considérable des activités de la chaîne d’approvisionnement partout au Canada, les obligations et droits des entreposeurs varient en fonction du régime juridique applicable, soit le droit civil québécois ou les règles de common law et la législation provinciale applicable dans les autres provinces canadiennes. La comparaison de ces cadres juridiques est d’intérêt pour les entreposeurs, mais aussi pour tout autre acteur de la chaîne d’approvisionnement.

Le dépôt et l’entreposage dans les provinces canadiennes de common law

En common law, le bailment (dépôt) est une relation juridique qui se forme lorsqu’une personne, le déposant (bailor), remet un bien à une autre personne, le dépositaire (bailee), avec la compréhension que les biens seront retournés, soit dans leur état original ou dans une forme entendue, lorsque le temps ou l’usage pour lequel ils ont déposé les biens est terminé. Le bailment est souvent basé sur des contrats tacites ou exprès, mais un contrat n’est pas nécessaire pour son existence. Le déposant a un droit d’action contre le dépositaire (soit pour bris de contrat ou pour négligence) lorsque ce dernier ne lui remet pas le bien. Si le dépôt est à titre onéreux, le dépositaire doit agir comme un propriétaire vigilant et prudent de biens similaires l’aurait fait dans les mêmes circonstances. Traditionnellement, le dépositaire bénévole était tenu à une norme de diligence plus faible que celui à titre onéreux, mais récemment les tribunaux ont accordé moins d’importance à cette distinction. Une fois établi que les biens ont été perdus ou endommagés en la possession du dépositaire, le dépositaire doit prouver qu’il a rencontré la norme de diligence requise.

Dans le contexte de l’entreposage, il existe dans chacune des provinces de common law (sauf l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan) des lois sur les reçus d’entreposage et la norme de diligence applicable à l’entreposeur (warehouser ou storer). Les reçus d’entreposage sont des documents émis par l’entreposeur qui font office de preuve que le dépositaire est propriétaire des biens entreposés dans l’entrepôt. Le reçu d’entrepôt confère au détenteur (dans le cas de reçus négociables) ou la personne désignée sur le reçu (dans le cas de reçus non négociables) le droit de demander à ce que le bien lui soit rendu. La législation provinciale en matière d’entreposage (sauf en Colombie-Britannique) considère le reçu d’entreposage, bien qu’il soit émis par l’entreposeur seulement, comme attestant d’un contrat entre l’entreposeur et le déposant. La loi offre cependant au déposant un mécanisme afin de contester les conditions du reçu dans les 20 jours de son émission.

La législation provinciale portant sur les reçus d’entrepôt impose aussi aux entreposeurs la norme de diligence de common law qui s’applique à un dépositaire à titre onéreux et établit qu’un entreposeur ne peut pas exclure par contrat ses obligations minimales. Par contre, il lui est possible de limiter sa responsabilité en cas de non-respect des obligations (par exemple, un plafond monétaire de responsabilité par kilogramme de marchandises entreposées) dans les conditions du reçu d’entreposage ou un autre contrat avec le déposant.

Finalement, bien que la common law n’octroie généralement pas de sûreté ou de charge mobilière à l’entreposeur (sauf dans le cas où la sûreté mobilière est créée par contrat), chacune des provinces de common law a adopté une loi qui établit l’équivalent une hypothèque légale (statutory lien) sur les biens remis à un entreposeur. Cette hypothèque légale est exercée au moyen d’un droit de vendre le bien, mais sa portée est limitée puisque l’hypothèque ne couvre pas le solde impayé sur les biens qui ne sont plus en la possession de l’entreposeur.

Le contrat de dépôt en droit civil au Québec

Au Québec, le contrat de dépôt est un des contrats nommés prévus par le Code civil du Québec. Ce contrat se forme lorsqu’une personne, le déposant, remet un bien meuble à une autre personne, le dépositaire, qui a l’obligation de le garder pour un certain temps puis de le restituer au déposant. La livraison du bien est donc essentielle à la formation du contrat. Ainsi, pour qu’il y ait un contrat de dépôt il doit y avoir : (i) un bien meuble, (ii) la remise du bien, (iii) l’obligation de garde et (iv) l’obligation de de restitution du bien. Lorsque ces éléments sont prouvés, le consentement des parties peut être tacite.

À moins que le contrat ne prévoie qu’il est à titre onéreux, soit avec un paiement du déposant, le contrat de dépôt est à titre gratuit, soit de façon bénévole. Selon la nature du contrat, le dépositaire ne sera pas tenu aux mêmes obligations. Dans le dépôt à titre gratuit, le dépositaire a seulement une obligation de moyens : le dépositaire bénévole n’est responsable de la perte du bien que si celle-ci survient par sa faute, la preuve étant à la charge du déposant. Ceci est similaire à la norme de diligence prévue pour le bailee à titre onéreux sous le régime de common law. Lorsque le déposant prouve que le paiement a été effectué, créant ainsi un contrat de dépôt à titre onéreux, le dépositaire est tenu à une obligation de résultat. Dans un tel cas, le fardeau de preuve est renversé et le dépositaire est responsable de la perte des biens à moins qu’il ne prouve la survenance d’une force majeure. Les entreposeurs au Québec peuvent limiter leur responsabilité par contrat, tant pour le degré de leurs obligations qu’avec un plafond de responsabilité.

Dans tous les cas, le déposant est tenu de rembourser le dépositaire pour les dépenses faites pour la conservation du bien, de l’indemniser pour toute perte causée par le bien durant le dépôt et de lui verser la rémunération convenue. Dans l’éventualité où le déposant ne paie pas, le dépositaire peut retenir le bien déposé jusqu’au paiement de sa créance. Ce droit de rétention sur un meuble confère une priorité à la créance en vertu du Code civil du Québec. Comme c’est le cas avec l’hypothèque légale de l’entreposeur dans les provinces de common law, le droit de rétention est limité aux biens sur lesquels le solde demeure impayé et qui sont toujours en la possession du dépositaire.

Conclusions

Bien que les entrepôts aient des opérations similaires partout au Canada, les concepts juridiques applicables au Québec et dans les autres provinces canadiennes comportent des différences significatives. Tandis que le bailment de common law ne repose pas toujours sur un contrat, le dépôt du droit civil implique toujours un contrat, bien qu’implicite dans certains cas. De même, si la plupart des provinces de common law ont prévu des règles particulières pour les reçus d’entreposage, il n’existe pas de tel régime au Québec et le droit général des obligations s’applique. Les entreposeurs opérant au Québec peuvent être tenus à une norme de diligence plus élevée que ceux des provinces de common law, mais les entreposeurs opérant au Québec ont davantage de flexibilité contractuelle afin de modifier la norme de diligence à laquelle ils sont tenus. Enfin, il faut noter que les provinces de common law ont prévu une hypothèque légale pour l’entreposeur (warehouseman’s lien) qui inclut un droit de vente du bien, tandis que le Code civil prévoit plutôt un droit de rétention jusqu’à l’obtention du paiement complet. Les entreprises qui font affaire dans l’entreposage de biens au Canada, ou qui interagissent avec des entreposeurs, devraient être conscientes de ces différences entre les deux systèmes juridiques au Canada.

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