L’exemption pour fins journalistiques à la collecte, l’utilisation ou la communication de renseignements personnels
Par Oliva Gile, Université d'Ottawa, section common law
Une décision récente de la Cour fédérale vient éclairer l’exemption pour « fin journalistique » non définie par la Loi sur la protection des renseignements personnels et des données électroniques (« LPRPDE » ou « la Loi »). L’exemption s’applique aux organisations qui recueillent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels seulement pour des fins journalistiques. Les tribunaux appliquent cette exemption de façon étroite, et seules les organisations visant, notamment, à répondre à une question d’intérêt public pourront en profiter.
La LPRPDE a pour objet de protéger la circulation et l’échange de renseignements personnels au Canada en facilitant, selon le paragraphe 5(3), la collecte, utilisation et divulgation des renseignements personnels d’une organisation si, eu égard aux circonstances, celle-ci serait acceptée par une personne raisonnable.
Les exemptions législatives à la collecte, l’utilisation et l’échange raisonnable
L’article 4 prévoit trois exemptions à la collecte, l’utilisation et l’échange raisonnable des renseignements personnels. Les entités suivantes ne sont pas assujetties à la Partie I de la Loi :
- Instituts fédéraux régis par la Loi sur la protection des renseignements personnels ;
- Individus qui recueillent, utilisent ou communiquent des données personnelles « à des fins personnelles ou domestiques » ;
- Organisations qui recueillent, utilisent ou communiquent des données personnelles « à des fins journalistiques, artistiques ou littéraires et à aucune autre fin. »
Qu’est-ce qu’une exemption pour fin journalistique selon la LPRPDE ?
L’exemption pour usage journalistique, codifiée à l’alinéa 4(2)(c), s’applique aux organisations qui collectent, utilisent ou communiquent des renseignements personnels à des fins journalistiques. La Loi ne fournit cependant pas de définition d’une « fin journalistique ».
Que dit la common law ?
La common law vient combler ce vide. En effet, la Cour fédérale s’est récemment prononcée sur l’exemption à la collection, utilisation ou divulgation des renseignements personnels pour des fins journalistiques dans l’affaire AT v Globe24h, 2017 CF 114.
i. Faits
Dans cette affaire, l’intimée, une société roumaine, prétendait qu’elle bénéficiait d’une exemption, puisque son site web – Globe24h.com – avait été constitué pour des fins journalistiques exclusivement et qu’il visait à « rendre la loi accessible gratuitement sur Internet. »
Un particulier (« le requérant ») avait porté plainte au Commissariat à la protection de la vie privée du Canada (« CPVP »), après avoir découvert que des renseignements qui lui étaient personnels qu’il avait révélés dans le cadre d’une procédure qu’il avait intentée contre son employeur, pouvaient être retracés facilement en ligne et ce, en raison de leur rediffusion et de leur indexation par l’intimée. En effet, l’intimée avait téléchargé et republié de nombreuses décisions judiciaires provenant de bases de données canadiennes non indexées (comme CanLII et SOQUIJ). Elle les avait rendues facilement disponibles sur Internet par l’entremise de moteurs de recherches et avait créé un commerce en acceptant d’enlever les renseignements personnels que contenaient ces décisions sur paiement d’une redevance.
ii. Analyse et application
La Cour n’a pas accepté les prétentions de l’intimée. Elle a retenu la définition d’« activité journalistique » de l’Association canadienne des Journalistes, présentée par le CPVP, selon laquelle une activité est dite « journalistique » si elle :
- vise à informer la collectivité sur une question qui l’intéresse ;
- comprend un élément de production original ; et
- est « destinée à fournir une description exacte et équitable des faits, de l'opinion et du débat en jeu dans une situation donnée. »
Il ne suffit pas de rendre une information disponible au public. La Cour a appliqué l’interprétation restreinte de la Cour d’appel de l’Alberta selon laquelle « chaque information diffusée sur Internet ne constitue pas du journalisme. » La Cour a trouvé que l’objectif primaire de Globe24h n’était pas journalistique du fait qu’il n’existait aucune preuve d’une intention d’informer le public sur une question d’intérêt public. L’exploitation du site web par l’intimée servait d’abord une fin commerciale.
De surcroît, il ne suffit pas que l’utilisation ait un objet journalistique parmi d’autres. La législation dispose clairement que l’exemption s’applique « uniquement dans les cas où l’utilisation n’est que pour des fins journalistiques » et à aucune autre fin.
Considérations d’intérêt public
Cette décision de la Cour fédérale démontre que les exemptions prévues par la LPRPDE ont une portée limitée. Elles seront appliquées étroitement et dans des circonstances spécifiques, afin de conférer autant de protection que possible aux renseignements personnels des Canadiens. cela résulte de la volonté de la CPVP de prioriser la protection de la réputation dans l’adoption de solutions en matière de vie privée et dans la tentative de reformuler la LPRPDE face aux avancements technologiques et à la mondialisation.
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