Passer au contenu directement.

Une décision inattendue

Griffin v. Dell Canada Inc. et l’interaction entre l’arbitrage et les recours collectifs

Les contrats de consommation et les autres contrats qui contiennent une clause d’arbitrage peuvent-ils faire l’objet de recours collectifs? Oui, selon une décision rendue récemment par la Cour d’appel de l’Ontario.

Faits

L’appel en question porte sur un recours collectif envisagé découlant de la vente d’ordinateurs portatifs Dell prétendument défectueux entre mars 2003 et mai 2005. Les modalités et conditions de vente contenaient une clause d’arbitrage obligatoire exigeant que toute réclamation soit réglée par arbitrage et administrée par le National Arbitration Forum (« NAF »).

Le premier représentant des demandeurs louait son ordinateur portatif Dell par l’intermédiaire de son entreprise et il n’était donc pas un « consommateur » au sens de la Loi de 2002 sur la protection du consommateur (« LPC »). La LPC interdit l’usage de clauses d’arbitrage obligatoires dans les conventions de consommation. Un deuxième représentant des demandeurs, un consommateur admissible, a ensuite été ajouté. Ce dernier avait acheté son ordinateur après l’entrée en vigueur de la LPC le 30 juillet 2005.

Dell a interjeté appel de la décision rendue par la Cour supérieure de justice de l’Ontario refusant la demande en sursis de Dell afin de procéder à l’arbitrage. Dell a également interjeté appel de la décision de la Cour refusant d’examiner de nouveau sa décision initiale compte tenu de nouveaux développements jurisprudentiels. Il est important de noter qu’étant donné que ces décisions ont été rendues par le juge saisi de la requête, le NAF a cessé d’exercer ses fonctions à l’égard des litiges visant les consommateurs à la suite d’allégations de procédés abusifs importants.

Questions

Par conséquent, la Cour d’appel devait décider si : i) la révocation des fonctions du NAF rendait les appels de Dell théoriques; ii) la LPC s’appliquait; et iii) un sursis partiel des réclamations faites par d’autres personnes que des consommateurs devrait être accordé.

Décision

La Cour d’appel a conclu que la convention en question ne nommait pas le NAF à titre d’arbitre et que, par conséquent, le paragraphe 16(5) de la Loi de 1991 sur l’arbitrage (la « Loi »), qui prévoit que la Cour n’est pas compétente pour désigner un arbitre remplaçant, ne s’appliquait pas. Le NAF n’acceptera plus les cas d’arbitrage visant des consommateurs, il n’exercera donc plus son pouvoir de désigner un arbitre et, de ce fait, le tribunal pourra se charger d’en désigner un en vertu de l’alinéa 10(1)b) de la Loi. De plus, lorsqu’une ordonnance refusant d’accorder un sursis est fondée sur le fait que l’affaire n’est pas assujettie à l’arbitrage, il n’est pas impossible d’interjeter appel aux termes du paragraphe 7(6) de la Loi.

Les préoccupations concernant le caractère injuste des clauses d’arbitrage obligatoires ont incité l’assemblée législative de l’Ontario à adopter les dispositions de la LPC interdisant les clauses d’arbitrage obligatoires dans les conventions de consommation. Selon la Cour d’appel, il a été établi que des vendeurs mettent régulièrement des clauses d’arbitrage dans les conventions de consommation dans le but d’empêcher les réclamations, et non parce qu’ils souhaitent véritablement régler les différends avec les consommateurs par voie d’arbitrage. Ces différends se présentent souvent sous forme de petites réclamations qui ne peuvent devenir viables que lorsqu’elles sont réunies dans le cadre d’un recours collectif.

Le deuxième représentant des demandeurs a acheté son ordinateur avant l’entrée en vigueur de la LPC, mais son ordinateur aurait fait défaut par la suite, soit en 2007. Comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’affaire Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S. 801, la loi s’applique même si le contrat a été conclu avant la date d’entrée en vigueur de la LPC. Jusqu’à la défaillance de l’ordinateur, il n’y avait aucune réclamation, mais plutôt une « situation juridique en cours », et l’application de la clause d’arbitrage n’avait pas encore été déclenchée.

Finalement, en tenant pour acquis que l’arrêt Dell s’applique en Ontario, la Cour d’appel a conclu que les réclamations ne provenant pas de consommateurs devraient être traitées par voie d’arbitrage. Toutefois, le paragraphe 7(5) de la Loi confère une certaine discrétion en ce qui a trait à l’octroi d’un sursis partiel lorsqu’une action comporte certaines réclamations qui sont assujetties à l’arbitrage et certaines qui ne le sont pas. Dans la présente affaire, un sursis partiel a été refusé afin de permettre à toutes les réclamations d’être traitées dans le cadre d’un recours collectif, car il n’aurait pas été raisonnable de séparer les réclamations provenant des consommateurs de celles ne provenant pas de consommateurs. Le fait d’accorder un sursis dans le cadre des réclamations ne provenant pas de consommateurs aurait été inefficace, aurait pu entraîner de multiples procédures et des frais ainsi que des retards supplémentaires, ce qui est contraire à la Loi sur les tribunaux judiciaires.

Les questions relatives à la responsabilité et aux dommages faisant l’objet du litige sont les mêmes pour les réclamations provenant de consommateurs et celles ne provenant pas de consommateurs. Comme les réclamations de consommateurs sont plus nombreuses (70 %), il était raisonnable que les autres réclamations suivent la même procédure que les réclamations de consommateurs. Dans la présente affaire, il est clair que d’accorder des sursis ne ferait pas en sorte que les réclamations seraient soumises à l’arbitrage. En outre, la clause d’arbitrage de Dell empêche tout arbitrage collectif. La position de Dell aurait peut-être été plus convaincante si cette option avait été offerte.

La Cour a également conclu qu’elle n’avait pas besoin de statuer sur l’application de l’arrêt Dell en Ontario et qu’elle préférait attendre la décision de la Cour suprême dans l’affaire Seidel v. Telus Communications Inc., [2009] 5 W.W.R. 466 (B.C.C.A.).

Remarques de McCarthy Tétrault

Les sociétés faisant affaire en Ontario devraient savoir que les contrats de consommation et les autres contrats qui contiennent une clause d’arbitrage peuvent, pour des raisons d’efficacité et d’économies de frais juridiques, faire l’objet d’un même recours collectif. De plus, une clause interdisant explicitement l’arbitrage collectif peut créer une présomption réfragable selon laquelle la clause d’arbitrage vise à empêcher, plutôt qu’à encourager, la résolution des différends.

Auteurs