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Une amende de 9,5 M $ : première mesure importante prise en application de la loi canadienne contre la corruption à l'étranger

Le 24 juin 2011, après avoir plaidé coupable à une accusation d'avoir soudoyé un agent public étranger, l'entreprise Niko Resources Ltd. (Niko) de Calgary a été condamnée à une amende d'environ 9,5 M $ et mise en probation pendant trois ans.

Il s'agit de la mesure la plus importante prise par le Canada dans le cadre de ses efforts visant à combattre la corruption à l'étranger depuis la mise en œuvre, en 1999, de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE), marquant le début d'une nouvelle ère d'application des règles anticorruption au Canada. La GRC a indiqué qu'elle menait actuellement plus de 20 enquêtes sur des sociétés canadiennes qui ont prétendument pris part à des activités de corruption d'agents publics étrangers.

Toute société canadienne participant à des opérations transfrontalières devrait, si elle ne l'a pas déjà fait, examiner attentivement ses pratiques et méthodes, y compris effectuer une vérification diligente efficace, afin de s'assurer qu'elle se conforme en tout point aux lois anticorruption canadiennes et, dans la mesure où celles-ci s'appliquent, à la Foreign Corrupt Practices Act des États-Unis (FCPA) et la Bribery Act 2010 du Royaume-Uni.

Situation avant le plaidoyer de Niko

Jusqu'à présent, les cas d'application de la LCAPE étaient peu nombreux. La seule autre condamnation avait eu lieu en 2002, lorsque Hydro Kleen Group avait plaidé coupable à l'accusation d'avoir soudoyé un agent d'immigration américain employé à l'Aéroport international de Calgary et s'était vu imposer une amende de 25 000 $. Deux autres accusations à l'encontre du président et d'un employé de Hydro Kleen ont été retirées. Il est à noter que le montant de l'amende imposée était inférieur au montant du pot-de-vin.

Au cours des dernières années, une pression internationale importante s'est exercée sur le Canada, l'y enjoignant de traduire par des gestes concrets son engagement d'appliquer ses lois interdisant la corruption d'agents publics étrangers. En janvier 2008, le Canada a mis sur pied le Groupe de la lutte contre la corruption internationale au sein du Groupe des infractions commerciales de la GRC. Le Groupe de la lutte contre la corruption internationale, qui est composé de deux équipes, l'une située à Calgary et l'autre à Ottawa, enquête sur les violations éventuelles de la LCAPE et sur les cas de corruption des agents publics canadiens en violation du Code criminel du Canada et sur les cas de blanchiment des produits de la criminalité au Canada. Selon la GRC, plus de 20 enquêtes sur des sociétés soupçonnées d'avoir violé la LCAPE sont en cours.

Ces efforts ont commencé à porter des fruits en mai 2010 au moment où des accusations ont été portées contre Nazir Karigar, pour avoir présumément versé une somme à un fonctionnaire indien en vue de faciliter l’octroi d’un contrat de plusieurs millions de dollars pour la fourniture d’un système de sécurité. La société en question n'a pas encore été accusée et le cas est encore devant les tribunaux.

Plus récemment, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a reproché au Canada de ne pas appliquer efficacement ses mesures d'interdiction de la corruption à l'étranger. Dans son rapport du 18 mars 2011 (en anglais seulement), l'OCDE exprimait d'importantes inquiétudes concernant les efforts de mise en application du Canada et relevait un certain nombre d'aspects problématiques, y compris l'imposition de peines insuffisantes et l'exigence, en common law, d'un « lien réel et substantiel » entre l’infraction en vertu de la LCAPE et le Canada. Même s'il a été proposé, afin de pallier à cette dernière inquiétude, de modifier la LCAPE de manière à établir la compétence fondée sur la nationalité, le projet d'amendement est mort au feuilleton lorsque le Parlement a été prorogé en 2009, et il n'a pas jamais été présenté de nouveau.

Le plaidoyer de Niko

Niko (mais aucun de ses hauts dirigeants) a plaidé coupable à une accusation unique de corruption en vertu de la LCAPE liée à deux incidents survenus en 2005 à la suite d'explosions dans son champ de gaz naturel dans le nord-est du Bangladesh. Selon l'énoncé des faits que Niko et la Couronne ont déposé conjointement devant le tribunal, Niko a mis un véhicule d’une valeur approximative de 190 000 $ à la disposition du ministre de l’Énergie et des Mines du Bangladesh et assumé ses frais de déplacement de 5 000 $ pour qu'il assiste à un salon d’exposition gazière et pétrolière à Calgary, et pour un voyage personnel à New York.

La Cour a accepté la sentence proposée, soit une amende et une suramende compensatoire totalisant 9 499 000 $ et une ordonnance de probation aux termes de laquelle Niko demeurera sous la supervision de la Cour et subira des vérifications en vue de contrôler la conformité de Niko à la LCAPE. Les frais liés à la conformité dans le cadre de l'ordonnance de probation seront assumés par Niko.

Selon les informations de presse, le juge-président Scott Brooker de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a qualifié le comportement de Niko de « [notre traduction] source d'embarras pour tous les Canadiens » et de « [notre traduction] tache sur l'excellente réputation de Calgary à titre de capitale de l'énergie au Canada ».

La Loi sur la corruption d’agents publics étrangers du Canada

L'affaire Niko constitue la première mesure importante d'application de la LCAPE. La LCAPE a été adoptée en 1999 conformément aux engagements que le Canada avait pris dans le cadre de la Convention sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. La LCAPE, comme la convention elle-même, résultait partiellement d'efforts déployés par les États-Unis, qui souhaitaient voir ses partenaires commerciaux établir des normes anticorruption similaires à celles de la FCPA et, ainsi, équilibrer les règles du jeu pour les entreprises américaines présentes sur le marché international.

Les dispositions anticorruption de la LCAPE comportent quatre volets principaux. Commet une infraction quiconque :

  1. directement ou indirectement, donne, offre ou convient de donner ou d’offrir un prêt, une récompense ou un avantage de quelque nature que ce soit;
  2. à un agent public étranger ou à toute personne au profit d’un agent public étranger;
  3. en contrepartie d’un acte ou d’une omission dans le cadre de l’exécution des fonctions officielles de cet agent ou pour convaincre ce dernier d’utiliser sa position pour influencer les actes ou les décisions de l’État étranger ou de l’organisation internationale publique pour lequel il exerce ses fonctions officielles;
  4. dans le but d’obtenir ou de conserver un avantage dans le cours de ses affaires.

Les sociétés canadiennes peuvent être tenues responsables en vertu de la LCAPE non seulement pour avoir effectué des paiements malhonnêtes, mais aussi pour avoir offert d'effectuer un tel paiement, même si celui-ci n'a pas eu lieu. De plus, une société peut être tenue responsable à l'égard d'un paiement effectué par l'un de ses représentants locaux si elle a autorisé ce paiement ou savait qu'un tel paiement serait effectué.

La LCAPE comporte une exception visant les paiements de facilitation ou « de graissage », c'est-à-dire les paiements faits en vue de hâter ou de garantir l’exécution par un agent public étranger d’un acte « de nature courante » qui fait partie de ses fonctions officielles, comme l'émission d'un permis pour exercer une activité commerciale ou le traitement de visas ou de permis de travail. Les paiements qui sont permis ou requis par le droit de l'État étranger sont également exemptés, tout comme les frais raisonnables qui sont encourus de bonne foi par un agent public étranger et qui sont directement liés i) à la promotion, à la démonstration ou à l’explication des produits et services de la société, ou ii) à la signature ou à l’exécution d’un contrat avec l’État étranger.

Les peines prévues en vertu de la LCAPE sont de nature criminelle. Quiconque commet une infraction prévue à la LCAPE est coupable d’une infraction punissable et passible d'une peine d'emprisonnement maximal de cinq ans. En outre, en vertu du Code criminel du Canada, les particuliers et les organisations pourraient être passibles d'amendes dont le montant maximal est indéterminé. Les produits de la corruption d'un agent public étranger pourraient également être cédés au gouvernement du Canada. À titre d'infraction punissable, la violation de la LCAPE est également considérée comme une « infraction désignée », ce qui signifie que les dispositions du Code criminel en matière de blanchiment d'argent s'appliquent. Ces dispositions interdisent la manipulation de biens ou du produit de ceux-ci dans l'intention de les cacher ou de les convertir, sachant ou croyant qu’ils ont été obtenus, directement ou indirectement, de la corruption d'agents publics étrangers.

Outre les pénalités financières, une violation de la LCAPE a évidemment une incidence considérable sur la réputation, qui peut se traduire par une diminution importante de la valeur des actions.

De nombreuses enquêtes et condamnations liées à la corruption, particulièrement en vertu de la FCPA des États-Unis, découlent de la découverte de violations éventuelles au cours de vérifications diligentes effectuées dans le cadre d'opérations de fusion ou d'acquisition. Le fait qu'une société visée n'ait pas adopté de mesures appropriées en matière de conformité peut entraîner un risque de corruption considérable, ce qui peut influencer le prix d'achat et, dans certains cas, faire échouer complètement l'opération.

Conséquences du plaidoyer de Niko

L'affaire Niko lance un message clair aux sociétés canadiennes : elles doivent maintenant évoluer dans un climat d'application accrue de la loi. À mesure que la vingtaine d'enquêtes de la GRC progressent, on s'attend à ce que d'autres poursuites, d'autres règlements et d'autres condamnations découlant de violations des règles anticorruption soient annoncés.

Les sociétés canadiennes devraient examiner attentivement leurs processus et méthodes afin de s'assurer que leurs contrôles internes permettent effectivement de déceler et d'empêcher la corruption d'agents publics étrangers et, par conséquent, d'atténuer le risque de violation de la LCAPE. Ces mesures devraient comprendre les éléments principaux suivants : 

  1. un manuel de conformité auquel tous les employés ont accès, qui énonce clairement les exigences à remplir et la vérification diligente à effectuer afin de se conformer aux lois anticorruption; 
  2. la désignation d'officiers en position d'autorité, chargés de la conformité et responsables de celle-ci;
  3. des programmes de formation réguliers à l'intention des employés et des cadres;
  4. des vérifications régulières et intégrales visant à évaluer et à confirmer le degré de conformité;
  5. des mécanismes de signalement, à l'interne et à l'externe, des violations éventuelles et des mesures de protection contre les représailles lorsque les employés soulèvent des questions liées à des cas de non-conformité éventuels;
  6. l'examen des risques liés à la corruption dans le cadre des projets ou des propositions impliquant des activités commerciales avec d'autres pays;
  7. l'examen des relations avec tous les partenaires d'affaires, y compris les conventions juridiques conclues avec ceux-ci, afin d'établir avec documents à l'appui la conformité aux règles anticorruption; ceci comprend, par exemple, exiger des dipositions précises dans le cadre des conventions de mandat pour s'assurer que les représentants d'une tierce partie comprennent et se conforment à ces exigences.

Il importe en outre d'être à l'affût des développements à l'extérieur du Canada. Dans certains cas, les sociétés canadiennes pourraient être assujetties aux exigences de lois anticorruption très strictes d'autres États, comme la Bribery Act 2010 du Royaume-Uni et la FCPA des États-Unis. La loi du Royaume-Uni, qui entre en vigueur le 1er juillet 2011, prévoit notamment qu'une organisation commerciale commet un délit si celle-ci omet d'empêcher des personnes liées, notamment ses employés, ses mandataires et ses filiales, de se livrer à une activité de corruption. Contrairement à la plupart des autres lois anticorruption, elle interdit également les paiements de facilitation. Aux États-Unis, de nombreuses amendes de plusieurs millions de dollars ont été imposées en vertu de la FCPA au cours des dernières années; cette tendance s'accentuera certainement avec les nouvelles règles de la Securities and Exchange Commission en matière de dénonciation, qui récompensent les personnes qui communiquent des renseignements utiles en leur remettant jusqu'à 30 % de l'amende éventuellement imposée.

Le groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault dispose d'une vaste expérience dans le soutien des sociétés canadiennes qui doivent composer avec des mesures anticorruption et est disponible pour les conseiller en matière de conformité, d'application de la loi et de planification stratégique.

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