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Un organisme canadien unique de réglementation des valeurs mobilières? Le débat se poursuit...

La création d’un organisme canadien unique de réglementation des valeurs mobilières fait de nouveau l’objet d’un débat au Canada. Le dialogue entrepris depuis des dizaines d’années entre les participants au marché, les politiciens et les spécialistes a eu sa « journée à la cour » en avril lorsque la Cour suprême du Canada (CSC) a pris connaissance des arguments se rapportant à la constitutionalité de la Loi sur les valeurs mobilières (Canada) fédérale proposée à cet égard. Ces audiences se sont déroulées quelques semaines après que des décisions aient été rendues dans des renvois analogues par les cours d’appel de l’Alberta (en anglais seulement) et du Québec qui, dans les deux cas, avaient conclu qu’un organisme de réglementation national fédéral unique se trouverait à violer les compétences provinciales.

La décision de la CSC tranchera en dernier ressort la question de savoir si le gouvernement du Canada peut aller de l’avant avec la loi proposée et, plus précisément, qui aura le pouvoir de réglementer les valeurs mobilières : le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux ou les deux.

Il n’y a pas de consensus clair quant à la pertinence ou aux besoins de mettre en place un organisme unique de réglementation des valeurs mobilières, et les avis diffèrent non seulement entre les régions mais aussi entre les participants au marché. Les partisans d’un organisme de réglementation national estiment qu’un organisme canadien unique de réglementation des valeurs mobilières simplifierait la réglementation, améliorerait les pouvoirs d’enquête et de réglementation et offrirait une représentation canadienne du secteur des valeurs mobilières à l’étranger. Les opposants à un organisme unique soutiennent que la réglementation des valeurs mobilières est de ressort provincial et que les provinces sont mieux placées pour réagir et répondre aux préoccupations locales au chapitre de la réglementation. De plus, ils font remarquer que la législation en valeurs mobilières est déjà en grande partie harmonisée d’un océan à l’autre et ils estiment qu’un organisme national de réglementation des valeurs mobilières n’apporterait rien de plus. Quelle que soit la position de chacune des parties dans le débat, toutes reconnaissent que la réglementation des valeurs mobilières revêt une importance économique et que la stabilité de la réglementation est essentielle au fonctionnement des marchés des capitaux.

Ce n’est pas la réglementation qui est en cause mais plutôt qui doit faire la réglementation

La question soumise à la CSC ne porte pas sur le contenu de la réglementation des valeurs mobilières, mais bien sur le palier de gouvernement qui devrait contrôler, élaborer et établir cette réglementation. Essentiellement, le gouvernement fédéral demande à la CSC de confirmer qu’il a le pouvoir de réglementer les valeurs mobilières en vertu du pouvoir de réglementation « des échanges et du commerce » prévu dans la Loi constitutionnelle de 1867. La cause principale qui établit les critères devant servir à établir si le gouvernement fédéral peut invoquer son pouvoir de réglementation des échanges et du commerce en vertu de l’article 91(2) de la Constitution est celle de General Motors of Canada c. National City Leasing. Dans cet arrêt, la Cour a indiqué cinq critères à prendre en considération :

  1. La mesure législative doit s’inscrire dans un système général de réglementation.
  2. Le système doit faire l’objet d’une surveillance constante par un organisme de réglementation.
  3. La mesure législative doit porter sur le commerce dans son ensemble plutôt que sur un secteur en particulier.
  4. La loi devrait être d’une nature telle que les provinces ne pourraient pas l’adopter solidairement.
  5. L’omission d’inclure une seule ou plusieurs provinces dans le système législatif compromettrait l’application de ce système dans d’autres parties du pays.

Des arguments portant sur chacun des points ci-dessus ont été entendus par la CSC, mais la liste n’est pas exhaustive et la Cour peut prendre en considération les facteurs qu’elle considère comme pertinents dans le cadre de sa décision.

La loi proposée a pour but d’établir un organisme national unique de réglementation des valeurs mobilières qui remplacerait éventuellement le réseau actuel de 13 organismes provinciaux et territoriaux de réglementation des valeurs mobilières, et vise donc à opérer un changement organisationnel et structurel plutôt qu’à modifier la nature de la réglementation. Bien que des changements importants de nature politique et réglementaire puissent éventuellement suivre une décision de la CSC en faveur d’une réglementation fédérale de la législation en valeurs mobilières, de tels changements ne seraient pas immédiats. Les émetteurs, les investisseurs et les autres participants au marché des capitaux peuvent vraisemblablement s’attendre à une transition lente et prudente vers quelque réforme de la réglementation.

Soutien provincial

L’Ontario a été la seule province à soutenir l’argument constitutionnel présenté par le gouvernement fédéral devant la CSC. Les provinces de l'Alberta, du Québec et du Manitoba s’opposent à la proposition depuis le début et le Nouveau-Brunswick a joint leurs rangs dans le cadre de l’opposition faite devant les tribunaux. La Colombie-Britannique a adopté une position nuancée dans laquelle elle s’oppose à l’autorité du gouvernement fédéral et a qualifié la loi proposée de « cheval de Troie » qui attend de franchir les barrières constitutionnelles, mais elle a reconnu que la création d’un organisme national de réglementation des valeurs mobilières pourrait être avantageuse. La Saskatchewan a adopté une position analogue devant la CSC en s’objectant au pouvoir fédéral mais a admis l’idée d’un organisme de réglementation unique. Plusieurs intervenants de l’industrie ont aussi adopté des positions favorables à un organisme unique, dont la Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs, la Coalition canadienne pour une saine gestion des entreprises, l’Association des banquiers canadiens, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario et l’Association canadienne du commerce des valeurs mobilières. Outre le renvoi à la CSC, 10 des 13 provinces et territoires (l’Alberta, le Manitoba et le Québec n’ont pas participé) ont maintenu leur participation avec le gouvernement fédéral relativement à un organisme national de réglementation des valeurs mobilières par l’entremise du Bureau de transition canadien en valeurs mobilières.

Disposition relative à l’adhésion optionnelle des provinces

La loi proposée comporte un aspect important qui consiste en une clause d’adhésion optionnelle permettant aux provinces d’établir si elles participeront. Si la CSC devait décider que la réglementation fédérale au chapitre de la législation en valeurs mobilières est constitutionnelle, la loi proposée servira de point de départ des discussions entourant la portée de la participation provinciale.

Le régime de « passeport » actuel, qui permet aux participants du marché de se tourner vers une seule commission des valeurs mobilières pour, notamment, les décisions relatives à l’enregistrement, les dispenses de prospectus, les exigences relatives à la divulgation et aux dispenses, constitue à la fois un argument favorisant le maintien du statu quo ainsi qu’une reconnaissance que l’harmonisation de certains règlements sur les valeurs mobilières est avantageuse. Même si l’Ontario appuie une réglementation unique et des règles harmonisées, la province n’a pas adhéré au régime de passeport, car elle estime que ce régime n’améliore pas suffisamment la protection des investisseurs, qu’il ne réduit pas la confusion au chapitre de la réglementation ni n’élimine les droits imposés par plusieurs territoires. Les provinces qui ont antérieurement soutenu l’harmonisation dans le cadre du régime de passeport pourraient être encouragées à participer à un système national de réglementation si le différend constitutionnel est tranché par la CSC en faveur du gouvernement fédéral.

Les détails d’un système de réglementation fédéral

La loi proposée donne un aperçu général de la structure d’un système fédéral de réglementation des valeurs mobilières. Comme c’est le cas actuellement, la plus grande partie des détails opérationnels qui ont une incidence directe sur les participants au marché se trouvent dans la législation ou dans les décisions des commissions des valeurs mobilières. Dans la majorité des cas, ils sont attestés par les normes canadiennes ou multilatérales adoptées par les commissions des valeurs. Les détails opérationnels de même ordre ne sont pas encore connus en vertu de la loi proposée. Bon nombre estiment que les « problèmes surgissent dans les détails » et que les détails permettant d’évaluer correctement un système fédéral ne sont pas disponibles; or, il semblerait bien que les normes existantes seront intégrées dans le système fédéral sans subir d’importants changements.

Un nouveau système fédéral serait régi par l’Autorité canadienne de réglementation des valeurs mobilières (ACRVM). Les administrateurs de l’ACRVM seraient nommés par le ministre fédéral des Finances en consultation avec un conseil d’homologues provinciaux participants. L’ACRVM se diviserait en deux branches distinctes responsables de l’administration et des décisions : la Division de la réglementation et le Tribunal canadien des valeurs mobilières. La loi proposée établirait également un forum de la réglementation et un comité consultatif des investisseurs devant prendre part à l’élaboration continue des règlements, des politiques, des pratiques et des activités de l’ACRVM. Le pouvoir de réglementation étendu de l’ACRVM inclurait la supervision des chambres de compensation, des répertoires des opérations, des bourses, des agences de notation, des courtiers en valeurs et de toutes les opérations sur dérivés.

L’ACRVM posséderait un pouvoir d’enquête étendu lui permettant d’imposer des sanctions pénales en vertu de la loi proposée compte tenu du pouvoir fédéral de légiférer en matière de droit pénal. Les sanctions pénales et certains pouvoirs d’enquête s’appliqueraient à tous les territoires canadiens peu importe si une province a adhéré ou non au système fédéral; toutefois, il est prévu que, dans la plupart des cas, les enquêtes se dérouleraient en collaboration avec les autorités policières fédérales, provinciales et municipales existantes.

Conclusion

La décision de la CSC est attendue à la fin de 2011 ou au début de 2012. Essentiellement, le renvoi représente une autre itération de la tension qui existe entre le gouvernement fédéral et les provinces du Canada. La question est de savoir qui a le pouvoir d'établir les règles : elle ne porte pas sur les règles elles-mêmes. Quelle que soit la décision de la CSC, les discussions et la collaboration provinciales et fédérales sont essentielles au succès de tout système de réglementation des valeurs mobilières.

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