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Stratagèmes d’évitement fiscal agressif et d’évasion fiscale internationaux

Dans le budget fédéral de 2013 du Canada (budget 2013) rendu public le 21 mars 2013, différentes mesures sont mises de l’avant pour renforcer la capacité de l’Agence du revenu du Canada (ARC) à s’attaquer à l’évitement fiscal international agressif et à lutter contre l’évasion fiscale internationale afin de protéger l’assiette fiscale du Canada. Ces mesures vont dans le sens des engagements d’autres pays, dont le Royaume-Uni qui annonçait dans son budget du 20 mars 2013 d’importantes nouvelles mesures contre l’évitement fiscal et l’évasion fiscale (notamment la « dénonciation publique ») afin d’améliorer l’observation des règles fiscales. Ces mesures sont annoncées au moment où s’intensifient l’activisme social, la couverture médiatique et la mobilisation de la classe politique pour que chacun paie sa « juste part » d’impôt à l’échelle internationale. De plus, la remise en question des déficits et la diminution des recettes fiscales expliquent peut-être aussi l’emphase récente mise par les autorités fiscales sur les abus fiscaux. Selon le Forum sur l’administration fiscale (FAF), lequel partage activement de l’information avec le G20 et les pays membres et non-membres de l’OCDE, l’observation de la législation fiscale représente un défi déterminant auquel font face les autorités fiscales au 21siècle.

Par coïncidence, le 4 avril 2013, le Consortium international des journalistes d’enquêtes (International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ)) dévoilait les résultats d’une vaste enquête portant sur les fonds détenus à l’étranger et ayant permis de révéler l’existence d’un réseau d’évasion fiscale mondial composé de personnes et de groupes désignés nommément, dont 450 Canadiens.

L’ARC a réagi rapidement à la couverture médiatique de l’enquête du ICIJ et a exhorté les Canadiens à fournir de l’information sur les cas possibles d’évitement fiscal ou d’évasion fiscale au moyen de l’actuel Programme des indices provenant de dénonciateurs et de saisir l’occasion, s’il y a lieu, de régulariser leur propre situation fiscale au moyen du Programme de divulgation volontaire. Dans le cadre d’une annonce faite le 9 avril 2013 et appuyée d’une demande écrite, l’ARC a demandé au ICIJ et à la Société Radio-Canada (SRC) de lui fournir les renseignements qu’ils détenaient. Le ICIJ ayant publiquement déclaré qu’il ne permettrait à aucun organisme gouvernemental de consulter les fichiers sur lesquels repose son reportage, l’ARC aura besoin des mesures du budget 2013 dont il est question ci-après pour lutter contre l’inobservation des règles fiscales dans le cadre de stratagèmes internationaux.

Programme de « dénonciation »

Dans le budget 2013, on annonce l’intention de l’ARC de lancer le programme Combattons l’évasion fiscale internationale (PCEFI), un programme de « dénonciation » dans le cadre duquel l’ARC versera un montant d’argent à des particuliers qui lui fournissent des renseignements sur des cas d’inobservation fiscale internationale de grande ampleur. Tel qu’indiqué ci-dessus, l’ARC accepte présentement des renseignements dans le cadre du Programme des indices provenant de dénonciateurs, notamment des renseignements de source anonyme, mais elle ne paie pas pour ces renseignements.

Dans le cadre du PCEFI, l’ARC conclura une entente avec un particulier lorsque l’information fournie relativement à un cas d’inobservation fiscale internationale de grande ampleur permettra d’établir une cotisation et de recouvrer des impôts supplémentaires de plus de 100 000 $ CA. Un pourcentage de l’impôt fédéral recouvré sera payé au particulier pourvu que certaines conditions soient remplies, notamment :

  • tous les droits d’appel associés à la cotisation devront avoir expiré;
  • l’impôt fédéral devra avoir été entièrement recouvré;
  • les renseignements ne devront pas concerner une fraude fiscale pour laquelle le particulier a été reconnu coupable.

Aucun renseignement de source anonyme ne sera accepté; toutefois, l’identité du particulier qui conclut une entente avec l’ARC ne sera pas dévoilée sans son consentement, dans la mesure permise par la législation. Le paiement variera de 5 à 15 % de l’impôt fédéral recouvré, selon la qualité et l’étendue des renseignements fournis. Aucun paiement ne se rapportera à des pénalités, à des intérêts ou à de l’impôt provincial ou territorial. Tous les paiements devront être inclus dans le revenu imposable pour l’année où ils sont reçus et si le particulier est un non-résident du Canada, les paiements seront assujettis à une retenue d’impôt.

Cette initiative s’inspire de celle d’autres autorités fiscales, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne, lesquelles ont décelé avec succès des cas d’inobservation fiscale internationale en payant pour des renseignements. L’ARC fournira plus de détails sur le PCEFI au cours des prochains mois.

Transferts internationaux de fonds par voie électronique

Certains intermédiaires financiers sont présentement tenus de déclarer les transferts internationaux de fonds par voie électronique (TFVE) de 10 000 $ CA ou plus au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) aux termes de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Par intermédiaires financiers, on entend notamment les banques, les coopératives de crédit, les caisses populaires, les sociétés de fiducie et de prêt, les entreprises de services monétaires et les casinos. Les déclarations de TFVE doivent être faites dans les cinq jours ouvrables suivant la date du transfert et doivent contenir des renseignements détaillés.

Il est proposé dans le budget 2013 d’obliger les intermédiaires financiers, à partir de 2015, à déclarer les TFVE non seulement au CANAFE, mais aussi à l’ARC. L’ARC élaborera un moyen simplifié de déclaration par voie électronique en consultation avec les intermédiaires financiers.

Les renseignements seront utilisés pour l’application des lois fédérales, soit la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR), la Loi sur la taxe d’accise (LTA) et la Loi de 2001 sur l’accise (LA).

Renseignements concernant les personnes non désignées nommément

Présentement, la LIR, la LTA et la LA contiennent des règles aux termes desquelles l’ARC peut exiger d’une tierce partie qu’elle fournisse des renseignements ou des documents afin de vérifier l’observation fiscale d’une personne non désignée nommément, sous réserve de l’obtention préalable d’une autorisation judiciaire ex parte (c.-à-d. sans que l’ARC ne soit légalement tenue d’informer la tierce partie de la demande d’autorisation). Il est proposé dans le budget 2013 d’éliminer la nature ex parte du processus d’autorisation et d’obliger l’ARC à informer la tierce partie lorsqu’elle décide de demander une autorisation judiciaire. Dès lors, la tierce partie devra présenter les arguments qu’elle veut faire valoir lors de l’audience portant sur la demande d’autorisation, ce qui éliminera la nécessité de procéder à une révision subséquente de l’ordonnance ex parte. Cette mesure s’appliquera à compter de la date de la sanction royale de la loi habilitante.

La raison indiquée de ce changement est d’accélérer le processus de vérification et de permettre à l’ARC d’obtenir plus rapidement les renseignements sur des personnes non désignées nommément en vue de poursuites civiles. Ce changement remédie aussi aux insuccès de l’ARC dans des affaires comme Lordco Parts Ltd.1 et RBC Life Insurance Co.2, dans lesquelles la Cour d’appel fédérale a imposé à la Couronne des limites strictes pour des demandes ex parte.

Exigences de déclaration du revenu étranger

Le particulier, la société et la fiducie résidant au Canada, de même que certaines sociétés de personnes résidant au Canada, qui, à un moment quelconque d’une année d’imposition, possèdent des biens étrangers déterminés (notamment des dépôts à l’étranger et des actions de sociétés étrangères) dont le coût total est supérieur à 100 000 $ CA doivent produire auprès de l’ARC un Bilan de vérification du revenu étranger (formulaire T1135). Cette exigence vise à permettre à l’ARC de déterminer si le revenu étranger du contribuable a été déclaré avec exactitude. Le formulaire doit être produit même si le contribuable n’a aucun impôt à payer au cours de l’année.

À partir des années d’imposition 2013 et suivantes, il est proposé dans le budget 2013 de prolonger de trois ans la période de nouvelle cotisation normale pour une année d’imposition d’un contribuable si le contribuable a omis de déclarer dans sa déclaration de revenus annuelle un revenu relatif à un bien étranger déterminé et que le formulaire T1135 n’a pas été produit dans les délais par le contribuable, ou si les renseignements relatifs à un bien étranger déterminé sont manquants ou inexacts. Il est aussi proposé dans le budget 2013 de réviser le formulaire T1135 devant servir pour les années d’imposition 2013 et suivantes de sorte que les contribuables devront inclure le nom de l’institution détenant les fonds à l’étranger pour le compte du contribuable, le pays auquel est relié le bien et le revenu tiré du bien à l’étranger. Il est indiqué dans le budget 2013 qu’à partir de 2013, l’ARC va rappeler aux contribuables, dans leur avis de cotisation, qu’ils doivent produire un formulaire T1135 s’ils ont indiqué dans leur déclaration de revenus qu’ils détenaient au cours de l’année d’imposition des biens étrangers déterminés dont le coût total est supérieur à 100 000 $CA. Enfin, les instructions de production figurant sur le formulaire T1135 seront énoncées plus clairement, et l’ARC mettra en place un système qui permettra de produire le formulaire T1135 par voie électronique.

Chalandage fiscal

Le Canada négocie activement et conclut ou modifie des conventions fiscales et des accords d’échange de renseignements fiscaux (AERF) dans le but d’appuyer les échanges commerciaux et les investissements transfrontaliers et de lutter contre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal à l’échelle internationale. Dans certaines circonstances, il arrive que des résidents de pays qui ne sont pas partie aux conventions fiscales conclues par le Canada profitent des avantages de ces conventions, en ayant notamment recours à des intermédiaires. On parlera de « chalandage fiscal » pour désigner cette pratique.

À ce jour, la contestation du chalandage fiscal devant les tribunaux canadiens a rarement été couronnée de succès, qu’elle ait été fondée sur la règle générale anti-évitement (RGAE) (voir l’affaire MIL Investments Inc.3 abordée dans Le point sur la fiscalité d’août 2009) ou sur le principe du « bénéficiaire effectif » du revenu (voir les affaires Velcro Canada Inc.4 et Prévost Car Inc.5 abordées dans Le point sur la fiscalité de mai 2012). Les dispositions relatives aux restrictions apportées aux avantages de la Convention fiscale entre le Canada et les États-Unis et la disposition contre le chalandage fiscal dans chacun des articles sur les dividendes, les intérêts et les redevances d’autres conventions fiscales récemment conclues avec Hong Kong, la Nouvelle-Zélande et la Pologne sont des exemples d’autres moyens de contester le chalandage fiscal.

Dans le budget 2013, le gouvernement reconnaît ses insuccès devant les tribunaux et annonce son intention de tenir des consultations sur les mesures possibles pour préserver l’intégrité des conventions fiscales du Canada et maintenir un régime d’imposition des entreprises qui soit propice aux investissements étrangers. Un document de consultation sera diffusé afin d’offrir une occasion de commenter certaines mesures envisageables.


1 2013 FCA 49.
2 2013 FCA 50.
3 2006 CCI 460.
4 2012 CCI 57.
5 2008 CCI 231, confirmé par 2009 CAF 57.

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