Passer au contenu directement.

Recours parallèles Canada/États-Unis : production de documents visés par une ordonnance de confidentialité aux États-Unis

Les recours collectifs fondés sur des allégations de conduite anticoncurrentielle au Canada sont souvent intentés dans la foulée de procédures semblables aux États-Unis et les avocats des demandeurs dans les deux pays collaborent ouvertement à la progression de ces affaires. Une importante question dans le cadre de ce type de litige transfrontalier est de savoir si un demandeur canadien peut, avant que le recours soit certifié au Canada, obtenir que les défendeurs produisent des documents échangés dans le cadre de la requête en certification du recours collectif parallèle aux États-Unis.

Les recours collectifs sont des procédures en deux temps : le demandeur qui souhaite représenter le groupe doit d’abord obtenir l’autorisation du tribunal de présenter l’action comme un recours collectif, soit l'étape de la certification. Au Canada, la législation en matière de recours collectifs ne prévoit pas de communication des documents ni d'interrogatoires préalables avant la certification; si le tribunal l'autorise, la communication de la preuve à cette étape est de nature limitée. Inversement, les demandeurs américains ont droit à la communication de la preuve à l’étape de la certification, mais les renseignements fournis lors de cette communication préalable sont souvent assujettis à des ordonnances de confidentialité qui limitent l’accès aux renseignements sensibles et la communication des renseignements fournis par les défendeurs et les tiers.

Dans une décision récente, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a refusé de rendre une ordonnance accordant au demandeur l’accès aux renseignements produits dans le cadre d’un litige américain parallèle avant la certification du recours collectif au Canada. Dans l’affaire Bryar Law Corporation, le demandeur allègue un complot pour fixer le prix de dispositifs à mémoire fixe statique ("SRAM") et demande la certification d'un recours collectif pour le compte d'un groupe composé à la fois d’acheteurs directs et indirects en Colombie-Britannique. Le demandeur a présenté une requête à la Cour de la Colombie-Britannique exigeant que les défendeurs communiquent les renseignements produits dans le cadre du litige en Californie, plus spécifiquement des rapports d’experts non expurgés comprenant des renseignements au sujet des prix, des coûts, des majorations et des documents connexes. Les renseignements demandés par le demandeur font l'objet d'ordonnances de confidentialité et d'ordonnances de mise sous scellé rendues par le tribunal de la Californie.

La Cour a déclaré que bien qu’il n’y ait aucun droit à la communication de la preuve à l'étape de la certification en Colombie-Britannique, une communication préalable limitée peut être obtenue pourvu que la preuve recherchée soit pertinente aux questions relatives à la certification, comme l'existence et la prédominance de questions communes et le caractère représentatif de la réclamation du demandeur. Dans cette affaire, la Cour était prête à présumer que les rapports d’experts non expurgés produits dans le cadre du litige en Californie pouvaient être utiles à la Cour pour se prononcer sur les questions pertinentes à la demande de certification.

Cependant, la Cour a conclu qu’il n’était pas approprié d’ordonner la communication préalable des documents demandés avant la certification du recours canadien. La Cour a jugé que les ordonnances de confidentialité dans le cadre du litige en Californie avaient été rendues après un long processus de négociation visant à protéger les droits des tiers au litige ainsi que les droits des parties elles-mêmes. Puisque la Cour ne connaît pas la nature exacte des renseignements demandés ni l’étendue des ordonnances de confidentialité et puisqu’une décision concernant la communication préalable aurait une incidence sur les droits des parties et de nombreux tiers, la Cour a jugé que la demande de communication préalable devait être présentée au tribunal de la Californie. En outre, compte tenu de la courtoisie internationale, la Cour a exprimé son hésitation à accorder une communication de la preuve qui serait contraire à une ordonnance de confidentialité délivrée par un tribunal étranger.

Pour appuyer sa décision, la Cour a également invoqué les motifs de la Cour de l’Ontario dans l’affaire Vitapharm, qui a refusé d’interdire aux demandeurs de poursuivre leur requête devant un tribunal américain pour obtenir l'accès à certains documents dans le cadre d’un litige américain, soulignant que le tribunal américain était le mieux placé pour trancher les questions de confidentialité. La Cour a également indiqué que dans l’affaire Microsoft, le même demandeur s’est vu refuser la divulgation par un autre juge de la Colombie-Britannique mais a obtenu un très grand niveau de divulgation en s'adressant au tribunal américain saisi d’un litige semblable.

Pour tous ces motifs, la Cour a rejeté la requête du demandeur et déclaré qu'il devrait plutôt s'adresser au tribunal de la Californie pour obtenir la communication de la preuve souhaitée.

Remarques de McCarthy Tétrault 

Au stade de la certification d’un recours collectif, les tribunaux canadiens semblent réticents à ordonner aux défendeurs de produire des documents protégés par des ordonnances des tribunaux américains, mais exigent plutôt du demandeur qu’il demande au tribunal ayant émis les ordonnances de les modifier. Cette solution évite d'obliger les défendeurs à contrevenir aux ordonnances américaines pour respecter l’ordonnance d’un tribunal canadien.


1 Au Québec, cette étape s'appelle l'autorisation.

2Bryar Law Corporation c. Samsung Electronics Co. Ltd., 2010 BCSC 1661.

3Vitapharm Canada Ltd. c. F. Hoffmann-La Roche Ltd., [2001] 6 C.P.C. (5e) 245 (C.S.), confirmé (2003), 23 C.P.R. (4e) 454 (C.A. Ont.).

4Pro-sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corp., 2007 BCSC 1663.