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R. c. Cole : La Cour d’appel de l’Ontario se prononce sur les droits à la vie privée au travail

Dans un arrêt rendu récemment, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que les employés peuvent avoir une attente raisonnable de vie privée lorsqu’ils utilisent un ordinateur fourni par leur employeur pour effectuer leur travail. L’arrêt de la Cour dans la cause R. c. Cole a été rendu dans le contexte d’accusations criminelles portées contre un enseignant (M. Cole) pour possession de pornographie juvénile. Au cours d’un entretien des systèmes, le technicien informatique du conseil scolaire a découvert des photographies d’une mineure nue qu’il croyait être une étudiante de l’école. Ces images étaient conservées dans un ordinateur portable que le conseil scolaire avait fourni à M. Cole pour son travail. Le technicien a avisé les services administratifs de l’école de sa découverte, et l’ordinateur portable a été saisi et son contenu a été examiné en détail par le conseil scolaire. Le conseil a remis à la police l’ordinateur, les disques contenant l’historique de navigation de M. Cole sur Internet et des copies des images en question. La police a examiné le contenu de l’ordinateur et des disques sans obtenir de mandat. Le juge de première instance a refusé toutes les preuves saisies dans l’ordinateur portable et les disques, alléguant que M. Cole pouvait avoir une attente raisonnable quant à la protection de la confidentialité du contenu de son ordinateur portable. Par conséquent, les policiers ont demandé un mandat de perquisition. La décision du juge a été infirmée en appel par un juge de la Cour supérieure de justice qui a conclu que l’attente de M. Cole ne pouvait pas être raisonnable en ce qui concerne la protection du contenu de son ordinateur portable. La Cour d’appel a ensuite été appelée à se prononcer sur cette affaire.

Pourquoi les employeurs doivent-ils porter attention à cette décision?

Comme nous l’avons mentionné plus haut, la décision de la Cour d’appel fait suite à une poursuite criminelle. Par conséquent, on a demandé à la Cour de déterminer si le conseil scolaire ou la police avait violé les droits de M. Cole en vertu de l’article 8 de la Charte des droits et libertés, qui indique que chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Pour rendre sa décison, la Cour a présumé que le conseil scolaire était assujetti à la Charte. En soi, l’analyse de la Cour quant à la conduite du conseil scolaire ne s’applique pas directement aux employeurs du secteur privé, qui ne sont pas assujettis à la Charte. Cependant, cette analyse nous renseigne de façon utile sur l’approche qu’a adoptée la Cour pour décider si un employé peut avoir une attente raisonnable de respect de sa vie privée au travail. Plus précisément, l’arrêt nous rappelle l’importance d’établir des politiques claires et non équivoques traitant de l’utilisation des systèmes de courriel et d’accès à l’Internet de l’entreprise, des ordinateurs fournis pour le travail (y compris les ordinateurs portables) et des autres dispositifs électroniques mis à la disposition des employés dans le cadre de leurs fonctions, et qui énoncent les limites en ce qui concerne la capacité qu’a un employeur de contrôler l’utilisation de ses systèmes de courriel et d’accès au Web, de ses ordinateurs et des autres dispositifs électroniques.

Dans la présente affaire qui nous préoccupe, la Cour d’appel a conclu que M. Cole pouvait avoir une attente raisonnable « limitée » de respect de la vie privée en regard de son utilisation personnelle de l’ordinateur portable fourni par le conseil scolaire. Même si l’ordinateur portable appartenait au conseil scolaire, qu’il avait été fourni pour le travail et qu’il était connecté au réseau de l’école, le conseil scolaire avait permis aux enseignants d’utiliser leur ordinateur portable à des fins personnelles (y compris pour conserver des renseignements personnels sur le disque dur). De plus, les enseignants utilisaient un mot de passe pour empêcher l’accès non autorisé à leur ordinateur. Le conseil scolaire n’avait pas mis en place une politique claire et non équivoque pour aviser les enseignants que leur ordinateur portable pouvait faire l’objet d’une surveillance générale ou aléatoire ou d’un examen détaillé. Par conséquent, les preuves saisies dans l’ordinateur (autres que les images de l’étudiante mineure) et le disque contenant l’historique de navigation Internet de M. Cole ne pouvaient être admises au procès. La Cour a déterminé que l’attente raisonnable de respect de la vie privée de M. Cole était « limitée », puisqu’il n’avait pas eu d’expectative raisonnable de respect de la vie privée dans le cadre de l’accès au disque dur de son ordinateur portable par le technicien du conseil scolaire dans le but limité de maintenir l’intégrité technique du réseau informatique et des ordinateurs portables du conseil scolaire. Comme c’est dans ce contexte que le technicien a découvert les images de l’étudiante mineure et les a remises à la police, ces images étaient admissibles en preuve.

Les employés ont-ils une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée au travail?

La Cour d’appel a conclu que les employés pouvaient avoir une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée relativement aux ordinateurs qui leur sont fournis par leurs employeurs, mais que cette attente pouvait être « limitée » dans certaines situations. L’existence d’une telle attente ainsi que sa portée, le cas échéant, doivent être déterminées par l’ensemble des circonstances entourant chacune des situations. Pour déterminer si un employé a une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, et quelle est la portée de cette attente raisonnable, on considère généralement les facteurs suivants :

  • À qui appartient le bien ou le lieu qui fait l’objet de la perquisition et qui en a le contrôle?
  • Comment est utilisé le bien?
  • Comment l’accès, notamment le droit d’admission ou de refus d’accès au lieu ou au bien, est-il réglementé?
  • Quelle est l’attente subjective de la personne en matière de vie privée?
  • Cette attente est-elle raisonnable selon un point de vue objectif?

La Cour d’appel a tenu compte des facteurs suivants lorsqu’elle a conclu que M. Cole avait une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée relativement au contenu de l’ordinateur portable :

  • M. Cole détenait la possession exclusive de l’ordinateur portable et avait pris des mesures pour en protéger l’accès au moyen d’un mot de passe;
  • Le conseil scolaire avait donné la permission explicite d’utiliser l’ordinateur portable à des fins personnelles dans sa politique écrite;
  • Les enseignants avaient la permission d’apporter leur ordinateur portable à la maison le soir, la fin de semaine et pendant les vacances estivales;
  • Rien ne laissait supposer que le conseil exerçait une surveillance active de l’utilisation des ordinateurs portables par les enseignants;
  • Ce qui est peut-être plus important encore, c’est qu’il n’existait aucune politique claire et non équivoque permettant au conseil scolaire de procéder à une surveillance des ordinateurs des enseignants ou à un examen détaillé de ceux-ci. La politique du conseil scolaire ne mentionnait pas que les renseignements conservés dans l’ordinateur portable pouvaient faire l’objet d’un examen détaillé et elle ne traitait aucunement de surveillance, sauf en ce qui a trait au courriel.

Que peuvent apprendre les employeurs de cette décision?

La plupart des employeurs ne seront pas assujettis à une analyse en vertu de la Charte en ce qui concerne l’examen des ordinateurs des employés. Par contre, il est probable que la Cour, les arbitres et les tribunaux administratifs tiennent compte de l’argumentation de la Cour d’appel dans cette affaire pour traiter les problèmes de confidentialité en milieu de travail. Bien que la propriété des biens en question ait traditionnellement été considérée comme un facteur important pour déterminer s’il existait ou non une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée, il semble qu’à l’avenir la propriété constitue seulement le point de départ de l’analyse. Par conséquent, il est extrêmement important que les employeurs prennent les mesures nécessaires pour limiter toute attente raisonnable en matière de respect de la vie privée que leurs employés pourraient avoir relativement à l’utilisation des systèmes de courriel et d’accès à l’Internet, des ordinateurs et des autres dispositifs électroniques qui leur sont fournis dans le cadre de leurs fonctions. Pour ce faire, les employeurs devraient :

  • mettre en place une politique claire et exhaustive sur les droits des employés quant à l’accès aux données, aux systèmes informatiques et au matériel informatique et à leur utilisation; cette politique devrait inclure un énoncé très clair concernant la confidentialité des données qui pourraient se trouver dans un ordinateur ou un réseau et les raisons pour lesquelles l’employeur pourrait accéder à ces renseignements;
  • s’assurer que les employés confirment qu’ils ont lu et compris la politique et qu’ils acceptent de s’y conformer; cette confirmation peut fréquemment être faite directement sur le dispositif électronique, et elle devrait être récurrente afin que l’employé doive réitérer son acceptation à intervalles réguliers;
  • informer les employés de façon claire que les copies des données appartenant à l’employeur demeurent la propriété de l’employeur, peu importe l’endroit où ces données sont conservées;
  • indiquer clairement les limites souhaitées en ce qui a trait à l’utilisation à des fins personnelles — par exemple, les activités illicites ou les documents offensants.

La politique, tout comme n’importe quelle autre politique, doit être rédigée avec soin, revue périodiquement et mise à jour au besoin. Les employeurs devraient également mettre en place une surveillance régulière pour assurer le respect de la politique. Tous les employés, y compris les superviseurs, devraient être soumis aux mêmes normes, et les infractions devraient être traitées de manière uniforme.

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