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Qualification d’une entité étrangère, interprétation de la convention et attribution du revenu

Dans une décision récente, la Cour canadienne de l’impôt à fait part de diverses conclusions ayant un impact important tant dans le contexte fiscal national canadien qu’international. Ces conclusions portent notamment sur la capacité des parties de rectifier rétroactivement un contrat vicié, le déclenchement éventuel de certaines règles d’attribution du revenu lors d’une vente à la juste valeur marchande à une fiducie, la façon d’aborder la qualification d’une entité étrangère, et l’application d’une convention fiscale pour empêcher le Canada d’imposer un gain canadien attribué à un résident du Canada en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (Loi).

Certaines positions prises par la Cour ainsi que sa façon d’aborder certaines des questions étaient inattendues et, advenant le cas où elles seraient maintenues en appel et suivies dans des décisions futures, auront un impact dans un large éventail de circonstances.

Dans Sommerer v. The Queen, 2011 DTC 1162, [2011] 4 CTC 2068 (TCC), M. le juge Miller devait analyser le cas d’un contribuable résident canadien (M. Sommerer) qui a été cotisé par le ministre du Revenu national (ministre) à l’égard d’un gain en capital considérable découlant de la vente par une fondation autrichienne (c.-à-d., une Privatstiftung) d’actions de deux sociétés canadiennes.

En bref, en 1996, le père de M. Sommerer, résident d’Autriche et non-résident du Canada, a utilisé ses propres fonds pour créer une fondation au profit de M. Sommerer et de tiers. La fondation était gérée par un conseil de direction composé de trois résidents autrichiens non liés et elle était conseillée par un conseil consultatif dont M. Sommerer était membre. Parallèlement à la création de la fondation, cette dernière avait l’intention d’acheter de M. Sommerer des actions vendues ultérieurement par la fondation moyennant un gain.

À l’origine, le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard de M. Sommerer sur la base que le paragraphe 75(2) de la Loi s’appliquait afin d’attribuer à M. Sommerer le gain réalisé par la fondation lors de la vente des actions. Le paragraphe 75(2) est une disposition qui, en termes généraux, réattribue tout revenu et tout gain d’une fiducie révocable à la personne de qui les biens, ou les biens qui leur sont substitués, ont été reçus.

Dans la réponse à l’avis d’appel, le ministre a adopté comme nouvelle position l’argument voulant que certaines actions n’aient pas été vendues par M. Sommerer à la fondation avant un court délai précédent la vente des actions à un tiers et que M. Sommerer ait réalisé un gain à ce moment sur la base d’une disposition réputée à la juste valeur marchande (c.-à-d., le prix payé par le tiers qui était de beaucoup supérieur à la juste valeur marchande des actions en 1996) effectuée en faveur d’une personne avec un lien de dépendance en vertu de la Loi.

Les questions examinées par la Cour sont les suivantes :

  1. Est-ce que les actions ont été vendues par M. Sommerer à la fondation en 1996 comme le prétend M. Sommerer ou en 1998 comme le prétend le ministre?
  2. Est-ce que l’accord aux termes duquel le père du contribuable a doté la fondation de fonds aux fins énoncées dans les actes constitutifs de la fondation pouvait être interprété comme étant une fiducie aux fins de l’impôt sur le revenu canadien?
  3. Dans le cas où il s’agit d’une fiducie, est-ce que le paragraphe 75(2) s’appliquait pour attribuer à M. Sommerer le gain réalisé lorsque la fondation a disposé des actions?
  4. Dans le cas où il s’agit d’une fiducie et que le paragraphe 75(2) s’applique, est-ce que les dispositions de la Convention fiscale entre le Canada et l’Autriche (Traité) empêchait le Canada d’imposer le gain en capital réalisé par la fondation lors de la disposition des actions?
  5. Est-ce que la fondation était l’agent de M. Sommerer dans la cadre de la disposition des actions?

Dans le présent article, nous présentons des observations sur les conclusions de la Cour à l’effet qu’une fiducie existait et que le paragraphe 75(2) ne s’appliquait pas étant donné que « la personne » dont il est question au paragraphe 75(2) ne comprend pas un vendeur qui vend à la juste valeur marchande tel que M. Sommerer. Nous présentons également des observations sur la conclusion de la Cour selon laquelle même si le paragraphe 75(2) s’appliquait, l’article XIII(5) du Traité empêchait le Canada d’imposer M. Sommerer sur le gain.

Pour ce qui est des autres questions abordées dans la décision, nous soulevons les points suivants : i) la Cour a conclu que la vente faite par M. Sommerer à la fondation est survenue en 1996 et qu’en parvenant à cette conclusion, la Cour a donné un effet rétroactivement à un contrat amendé que M. Sommerer et la fondation ont conclu après 1996 pour corriger certaines lacunes de la convention initiale entre les parties; et ii) la Cour a conclu que la fondation n’était pas l’agent de M. Sommerer dans le cadre de la disposition des actions.

Qualification d’une entité étrangère

Bien que l’Agence du revenu du Canada (ARC) ait historiquement adopté la position à l’effet qu’une entité dotée d’une identité et d’une existence juridiques distinctes devrait être considérée comme une société aux fins de l’impôt sur le revenu canadien, l’ARC a abandonné cette position en 2008 en faveur d’une nouvelle « approche à deux volets » selon laquelle i) les caractéristiques d’une entente étrangère sont établies en vertu de la législation étrangère, et ii) ces caractéristiques sont comparées à celles de catégories reconnues en vertu du droit canadien de façon à classer l’entente étrangère dans l’une de ces catégories, bien que l’entente étrangère ne comporte pas toutes les caractéristiques fondamentales de la catégorie visée1. En appliquant cette approche, le ministre a conclu que la fondation était une fiducie tandis que M. Sommerer faisait valoir qu’il s’agissait d’une société.

Choisissant de reformuler la question, la Cour a déclaré ce qui suit :

[Traduction] Les deux parties ont formulé la question de déterminer si la [fondation] était une société ou une fiducie. Je suggère qu’il est inapproprié de formuler la question ainsi. La [fondation] est une entité juridique distincte : une fiducie en vertu du droit canadien ne l’est pas; il s’agit d’une relation décrivant de quelle façon des biens sont détenus. La [fondation] pourrait être un fiduciaire. La question est simplement de savoir si une fiducie existait, non si la [fondation] est une fiducie ou une société.

Plus loin, à l’égard de cette question, la Cour s’est prononcée comme suit :

[Traduction] La question n’est pas de savoir si une fondation privée autrichienne est une fiducie en vertu de la Loi sur les fondations privées autrichiennes (LFPA), encore moins de savoir si la [fondation] est une fiducie. Là n’est pas la question. L’appelant déclare qu’il s’agit d’une société; l’intimé déclare qu’il s’agit d’une fiducie. J’ai conclu que suivant les dispositions de la Déclaration et déclaration supplémentaire de la fondation, une fondation privée autrichienne pouvait être considérée comme une société de fiducie, agissant à titre de fiduciaire, et pour ce qui est de la [fondation], je conclus qu’il s’agit d’une appellation des plus appropriée lorsqu’on l’envisage sous l’angle des lois canadiennes.

Or, ce qu’il reste à analyser, ce n’est pas ce qu’est la [fondation], mais quelle relation existe entre la [fondation] (une personne morale distincte), M. Herbert Sommerer, et M. Peter Sommerer et la famille Sommerer. Y a-t-il une relation fiduciaire? M. Herbert M. Sommerer peut-il être considéré comme un bénéficiaire? Est-ce que les trois certitudes, certitude d’intention, certitude de sujet et certitude d’objet existent? Y-a-t-il d’autres caractéristiques de la fiducie canadienne qui ne se trouvent pas dans l’entente Sommerer?

Après avoir ainsi reformulé la question, la Cour a conclu qu’une relation fiduciaire existait entre M. Herbert Sommerer (c.-à-d., le père de M. Sommerer à titre de constituant), la fondation (à titre de fiduciaire) et M. Sommerer et des tiers (à titre de bénéficiaires). Fait intéressant, bien que la Cour ait reconnu l’importance des trois certitudes (à savoir, la certitude d’objet, de sujet et d’intention), son analyse n’était pas articulée autour d’elles. Les « ingrédients essentiels » d’une fiducie en vertu du droit canadien identifiés et abordés par la Cour étaient plutôt : i) les biens réservés; ii) appartenant à une personne (un fiduciaire) ayant le contrôle des biens, iii) au profit de personnes (bénéficiaires), et iv) envers lesquelles le fiduciaire a une obligation fiduciaire qui lui est opposable par les bénéficiaires. Comme le déclarait la Cour :

[Traduction] Si je trouve ses caractéristiques essentielles dans l’accord aux termes duquel la fondation détenait les actions, je n’aurai alors aucune difficulté à conclure que les trois certitudes étaient présentes et donc, qu’une fiducie a été créée. Il est absolument clair selon moi qu’il y a certitude de sujet et d’objet, et donc, si les caractéristiques essentielles d’une fiducie sont présentes, alors on pourra déduire de la Déclaration de fondation et de l’application de la LFPA2 que M. Herbert Sommerer avait l’intention de créer une fiducie.

En ce qui a trait à l’approche de la Cour sur cette question, il est, bien sûr tout à fait possible pour une entité étrangère, qui est une société, d’agir comme fiduciaire à l’égard des biens qui lui appartiennent, mais qui sont détenus au bénéfice de tiers. Mentionnons, qu’en concluant à l’existence d’une fiducie, la Cour a rejeté l’approche de la qualification d’une entité que les deux parties avaient défendue et qui était largement répandue dans le monde fiscal, suivant laquelle la législation pertinente et les documents constitutifs sont analysés pour établir si l’entité devrait être considérée comme une fiducie ou comme une société aux fins de la Loi. Dans le présent cas, la Cour a conclu que la législation pertinente et les documents constitutifs de la fondation (une entité juridique proche d’une société de fiducie) faisaient également de la fondation un fiduciaire (c.-à-d. que la Cour n’a pas conclu qu’il existait une convention de fiducie, écrite ou verbal, distincte des documents constitutifs de l’entité).

Cette approche, si elle est retenue en appel et adoptée dans de futures décisions, pourrait bien forcer l’ARC à réexaminer des cas où elle avait antérieurement convenu qu’une entité étrangère n’était pas une fiducie. Dans le cas où l’intention de créer une fiducie étrangère n’était pas présente, l’approche devrait également pousser les praticiens à agir avec beaucoup de prudence, notamment en énonçant clairement que l’entité étrangère est propriétaire de ses biens à son propre bénéfice plutôt qu’au bénéfice de tiers et qu’elle n’a pas de devoirs fiduciaires envers de tels tiers qui lui soient opposables.

Paragraphe 75(2) – la « personne »

Après avoir conclu qu’une fiducie existait, la Cour a examiné la question de savoir si le paragraphe 75(2) s’appliquait afin d’attribuer à M. Sommerer le gain réalisé à la disposition des actions par la fondation. La Cour a conclu que ce paragraphe ne trouvait pas application étant donné que « la personne » visé au sous-alinéa 75(2)a)(i) ne comprenait pas un vendeur disposant à la juste valeur marchande tel que le contribuable. La Cour a plus particulièrement adopté le raisonnement suivant :

[Traduction] La nature de la fiducie, et la question de savoir si elle est visée par le paragraphe 75(2) […], doit être décidé au moment de la création de celle-ci. Lors de la création de la fiducie par le constituant, il ne peut y avoir qu’une personne de qui des biens sont reçus, soit du constituant. Aucune autre personne ne peut disposer de biens dans la fiducie. Cela n’empêche toutefois pas la possibilité qu’une autre personne dispose de biens dans une fiducie auprès du même fiduciaire et aux mêmes conditions, mais dans un tel cas, je suggérerais la création d’une autre fiducie. En effet, d’après le préambule du paragraphe 75(2) […] seul un constituant ou un contributeur proche du constituant, est considéré comme étant une personne telle que définie par ce paragraphe.

L’interprétation restrictive que la Cour a adoptée est bien accueillie par la communauté juridique, puisqu’une préoccupation de taille existait depuis longtemps, soit de savoir si suivant son libellé, le paragraphe 75(2) pouvait s’appliquer à des ventes à la juste valeur marchande. De plus, cette interprétation est également favorisée, puisque le paragraphe 75(2) est une disposition anti-évitement maladroitement rédigée qui peut être déclenchée par inadvertanceétant donné l’absence d’une exigence d’« intention » et le vague libellé de la disposition. Une fois que le paragraphe 75(2) trouve application, les conséquences peuvent être extrêmement importantes (c.-à-d. non seulement sur l’attribution du revenu et des gains, mais aussi concernant l’incapacité pour la fiducie de distribuer des biens à la plupart des bénéficiaires sur une base d’un report d’impôt). Dans certains cas, il pourrait être impossible de remédier aux conséquences même s’il peut ne pas y avoir eu méfait.

La plupart des praticiens conviendront probablement qu’il n’y a aucun motif à appliquer le paragraphe 75(2) à un vendeur vendant à la juste valeur marchande. Toutefois, la conclusion de la Cour selon laquelle une interprétation littérale de la disposition appuie la conclusion à l’effet que seul le constituant (ou un contributeur ultérieur qui pourrait être considéré comme un constituant) peut être « une personne » au sens du paragraphe 75(2) est moins évidente, à tout le moins du point de vue des auteurs. Étant donné que le raisonnement de la Cour sur ce point est plutôt difficile à suivre et vu la quantité limitée de jurisprudence sur le paragraphe 75(2), il sera très intéressant de voir si, en appel, la Cour d’appel fédérale sera d’accord avec cette conclusion.

Interprétation du Traité

La Cour a également conclu que si, contrairement à sa conclusion antérieure, le paragraphe 75(2) s’appliquait pour attribuer les gains réalisé par la fondation à M. Sommerer, les dispositions du Traité empêcheraient néanmoins le Canada d’imposer les gains en capital réalisés par la fondation. Plus particulièrement, la Cour a conclu que l’article XIII(5) du Traité (concernant la disposition sur les gains en général) prime sur le paragraphe 75(2), ainsi si les rédacteurs du Traité avaient une intention contraire, ils auraient pu inclure une disposition à cet effet.

Même si le ministre a cherché à utiliser le Commentaire de l’OCDE (2003) qui prévoit que les règles nationales d’anti-évitement comme la « primauté de la substance sur la forme », la « réalité économique » et les règles générales anti-évitement font « partie des règles nationales de base fixées par les lois fiscales nationales » et ne sont « pas couvertes par les conventions fiscales et ne sont donc pas visées par celles-ci », la Cour a suivi la décision de la Cour d’appel fédérale dans Prévost (2009 D.T.C. 5053) et déclaré qu’un commentaire ultérieur de l’OCDE, (comme le Commentaire de l’OCDE (2003) dans l’espèce), ne pouvait être utile que s’il n’était pas incompatible avec le commentaire existant au moment où le Traité visé a été conclu. Étant donné que la Cour a conclu que le Commentaire de l’OCDE (2003) et le Commentaire de l’OCDE (1997) étaient très fortement incompatibles, la Cour a restreint son analyse à ce dernier. Ce dernier commentaire suggère que si un État avait l’intention qu’une disposition anti-évitement nationale demeure applicable dans le contexte du Traité, il devrait l’intégrer dans le Traité.

En commentant cette cause en général, la Cour a souligné ce qui suit :

[Traduction] Il n’est pas étonnant que le gouvernement soit intéressé par les activités de M. Sommerer, puisque, comme l’a reconnu l’appelant, si M. Herbert Sommerer avait révoqué la fondation peu de temps après la vente des actions de Vienna et distribué les fonds à M. Sommerer et à sa femme, les Sommerer n’auraient pas eu d’impôt à payer au Canada si la distribution avait été considérée comme provenant d’une fiducie non-résidente. Et en fait, j’ai conclu que la [fondation] était le fiduciaire d’une fiducie non-résidente, mais non une fiducie relevant du libellé du paragraphe 75(2) de la Loi. […] J’ai conclu que le paragraphe 75(2) de la Loi ne s’applique pas à un bénéficiaire vendant des biens à la juste valeur marchande à une fiducie, mais uniquement à un constituant ou à un contributeur ultérieur, qui pourrait être considéré comme un constituant. S’il s’agit d’une interprétation erronée du paragraphe 75(2) de la Loi et si ce paragraphe devrait s’appliquer aux bénéficiaires comme M. Sommerer, je conclus alors que la Convention prime sur cette application dans le cas de M. Sommerer.

Fait peu étonnant, étant donné les possibilités de planification qui peuvent être offertes si les conclusions de la Cour sur le paragraphe 75(2) sont exactes, le ministre a interjeté appel de la décision devant la Cour d’appel fédéral au motif que la Cour avait commis une erreur i) en omettant de conclure en droit qu’en vertu d’une interprétation textuelle, contextuelle et théologique appropriée du paragraphe 75(2), toute personne qui transfère des biens à une fiducie, que ce soit par voie de règlement ou de vente, relève du paragraphe 75(2), et ii) en concluant, en droit, que l’article XIII(5) empêche l’application du paragraphe 75(2).


1
Voir, par exemple, l’interprétation technique n° 2008-0266251I7 de l’ARC (datée du 15 avril 2008) dans laquelle l’ARC a conclu qu’une fondation du Liechtenstein (c.-à-d., une stiftung) sera généralement considérée comme une fiducie aux fins de la LIR, même si une telle fondation a une identité juridique et une existence distinctes.

2 Cette affirmation s’oppose à celle faite par l’ARC dans son bulletin d’interprétation technique n° 2008-0266251I, selon laquelle le critère de certitude d’intention n’est pas pertinent pour établir si une entité étrangère est une fiducie. Plus précisément, l’ARC a indiqué ce qui suit :

[traduction] Étant donné que la législation étrangère est différente de la législation canadienne, nous sommes d’avis qu’il ne convient pas d’appliquer le critère de la certitude d’intention pour établir si une entité étrangère est une fiducie, car nous arriverions à la conclusion que les parties avaient l’intention de créer l’entité étrangère qu’ils ont créée et que nous devons classer.

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