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Propositions relatives au chalandage fiscal – 2013 en rétrospective et nouveaux développements en 2014

Dans le budget de 2013, le gouvernement a annoncé son intention de mener une consultation sur les mesures possibles pour contrer le chalandage fiscal. Onze mois plus tard, dans le budget de 2014, il sollicitait des commentaires sur un projet de règle nationale pour lutter contre l’utilisation abusive des conventions fiscales. L’article qui suit relate brièvement les faits nouveaux qui se sont produits entre la présentation du budget de 2013 et la présentation du budget de 2014 et présente des commentaires sommaires au sujet de la proposition contenue dans le budget de 2014. Pour obtenir des commentaires supplémentaires ou des commentaires plus détaillés sur le budget de 2014, lire l’article intitulé Plan d’action économique de 2014 — La planification fiscale internationale demeure dans la mire du gouvernement1.

Résumé

McCarthy Tétrault

Budget de 2013, plan d’action de l’OCDE et consultation canadienne

Comme nous l’avons indiqué précédemment, dans le budget de 2013, le gouvernement a annoncé son intention de mener une consultation sur les mesures possibles pour contrer le chalandage fiscal.

Quatre mois plus tard, en juillet 2013, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiait son Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (Plan d’action)2. Ce plan décrit une approche coordonnée et globale comprenant 15 actions pour lutter contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (base erosion and profit shifting ou  BEPS). L’OCDE, qui mentionne que l’utilisation abusive des conventions fiscales est « l’un des principaux vecteurs des pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transfert de bénéfices », a inclus l’Action 6 et a déterminé que la date limite pour cet élément serait septembre 2014 :

« Élaborer des dispositions conventionnelles types et des recommandations visant à concevoir des règles nationales qui empêchent que les avantages prévus par les conventions puissent être accordés dans des circonstances inappropriées. Des travaux seront aussi mener pour clarifier que les conventions fiscales ne doivent pas être utilisées pour générer une double non-imposition, et identifier les considérations de politique fiscale que les pays devraient, de façon générale, prendre en compte avant de décider de conclure une convention fiscale avec un autre pays. Ces travaux seront menés en coordination avec ceux consacrés aux montages hybrides. »

Le 12 août 2013, le gouvernement a publié un document intitulé « Document de consultation sur le chalandage fiscal – Le problème et les solutions possibles »3. Ce document présente la situation perçue comme étant problématique, la position du Canada et les contestations récentes devant les tribunaux au Canada, de même que les solutions possibles et une série de questions à l’intention des personnes intéressées. Plus particulièrement, le gouvernement invitait les personnes intéressées à soumettre des commentaires sur les sujets suivants :

  • les avantages et les inconvénients d’une approche fondée sur les lois nationales, d’une approche fondée sur les conventions fiscales ou d’une approche mixte;
  • les mérites respectifs des différentes approches mises de l’avant par l’OCDE au regard du chalandage fiscal ainsi que les autres approches ou catégories de règles, le cas échéant, que le Canada devrait étudier aux fins d’évaluer quel est le meilleur moyen de régler le problème du chalandage fiscal;
  • la question de savoir s’il faudrait préconiser une approche générale par opposition à une approche relativement plus spécifique et objective;
  • la question de savoir si un critère fondé sur le principal objectif, incorporé aux lois fiscales nationales, constituerait un moyen efficace de prévenir le chalandage fiscal et d’assurer un degré de certitude adéquat du point de vue des contribuables;
  • la question de savoir laquelle des approches (approche fondée sur le principal objectif ou approche plus spécifique) permettrait d’établir le meilleur équilibre général entre efficacité, degré de certitude, simplicité et facilité d’application;
  • la définition des conditions et des exceptions (activités commerciales importantes, avantages dérivés, etc.) à prévoir si l’on opte pour une approche plus spécifique, de même que les autres exceptions à envisager pour s’assurer que l’approche est efficace, que son application est raisonnablement claire et que ses résultats sont prévisibles;
  • la question de savoir si une règle nationale anti-chalandage fiscal devrait s’appliquer à partir du moment où une convention fiscale comporte une règle anti-chalandage fiscal exhaustive.

Les personnes intéressées avaient jusqu’au 13 décembre 2013 pour soumettre leurs commentaires. Divers contribuables ont formulé des commentaires, dont le Tax Executives Institute, Inc. (TEI) et le Comité mixte sur la fiscalité de L’Association du Barreau canadien et des comptables professionnels agréés du Canada (Comité mixte)4. Dans les commentaires, on constate des éléments récurrents, dont les suivants :

  • l’opinion selon laquelle l’intervention législative du gouvernement était prématurée et voulant qu’il soit préférable d’attendre que les résultats du projet BEPS de l’OCDE soient connus avant de prendre quelque mesure que ce soit;
  • une préférence marquée pour une approche fondée sur les conventions fiscales par opposition à une approche fondée sur les lois nationales;
  • une préférence marquée pour des règles anti-évitement spécifiques (combinées à des dispositions d’assouplissement et à des règles refuges) par opposition à une règle générale anti-évitement; et
  • l’opinion selon laquelle la règle générale anti-évitement (RGAE) prévue à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (Loi de l’impôt) demeure un moyen efficace, voire sous-utilisé pour contrer les cas présumés d’utilisation abusive des conventions fiscales.

Budget de 2014

En dépit des commentaires reçus en réponse à la sollicitation menée en août 2013 et des projets en cours de l’OCDE, le gouvernement a annoncé, dans le budget de 2014, qu’il avait décidé de mettre en place dans le droit national une règle générale anti-chalandage fiscal. À cet égard, le Gouvernement a (i) donné des indications détaillées sur la règle qu’il entend adopter, (ii) donné cinq exemples d’applications prévues de la nouvelle règle, dont trois ont pour effet d’écarter des causes récemment décidées en faveur du contribuable en matière de chalandage fiscal (soit Velcro Canada Inc.5, Prévost Car Inc.6 et MIL (Investments) SA7) et (iii) sollicité des commentaires sur la règle proposée.

Comme il est indiqué dans le budget de 2014, la nouvelle règle pour lutter contre l’utilisation abusive des conventions fiscales est censée comprendre les principaux éléments suivants :

  • Disposition sur le principal objectif (assujettissement) : en vertu de la disposition sur le principal objectif, qui s’appliquera sous réserve d’une disposition d’assouplissement, les avantages prévus par une convention fiscale concernant un élément de revenu, de bénéfice ou de gain (revenu visé par la convention) ne seront pas accordés s’il est raisonnable de conclure que l’un des principaux objectifs d’une opération (ou d’une opération faisant partie d’une série d’opérations ou d’événements) donnant lieu à l’avantage était de procurer cet avantage.
  • Présomption de recours à une entité relais : une disposition législative établira une présomption réfutable selon laquelle l’un des principaux objectifs d’une opération ou d’une opération faisant partie d’une série d’opérations était de procurer un avantage prévu par une convention si le revenu visé par la convention « sert principalement » à payer, à distribuer ou à autrement transférer un montant à une personne qui n’aurait pas eu droit à un avantage équivalent ou plus favorable si la personne avait reçu directement le revenu.
  • Présomption de règle refuge : sous réserve de la présomption de recours à une entité relais, il y aura une présomption réfutable à l’effet qu’aucun des principaux objectifs d’une opération dans laquelle une personne qui réside dans un pays donné avec lequel le Canada a conclu une convention reçoit un revenu visé par la convention n’était de procurer un avantage prévu par la convention si, selon le cas : (i) la personne ou une personne liée exploite activement une entreprise (autre que la gestion d’investissements) dans le pays avec lequel le Canada a conclu la convention fiscale et, lorsque le revenu visé par la convention provient d’une personne liée au Canada, l’entreprise exploitée activement est importante comparativement à l’activité exercée au Canada qui donne lieu au revenu visé par la convention; (ii) la personne n’est pas contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit (qu’il s’agisse de contrôle de droit ou de contrôle de fait au sens du paragraphe 256(5.1) de la Loi de l’impôt) par une ou d’autres personnes qui n’auraient pas eu droit à un avantage équivalent (ou plus favorable) prévu par une convention si la ou les autres personnes avaient reçu directement le revenu visé par la convention; (iii) la personne est une société ou une fiducie dont les actions ou les parts sont négociées régulièrement sur une bourse de valeurs reconnue.
  • Disposition d’assouplissement : si la disposition sur le principal objectif s’applique à l’égard d’un avantage donné prévu par une convention fiscale, l’avantage sera néanmoins consenti dans la mesure où il serait raisonnable de le faire compte tenu des circonstances.

Le budget de 2014 prévoit que la nouvelle règle pourrait être incluse dans la Loi sur l’interprétation des conventions en matière d’impôts sur le revenu et s’appliquerait aux années d’imposition qui commencent après sa promulgation dans la législation canadienne.

Le 10 avril 2014, le TEI a formulé des commentaires en réponse à la proposition du gouvernement8. Dans ses commentaires, le TEI exprime les mêmes préoccupations que dans ses commentaires précédents et recommande de nouveau fortement que le Canada opte pour la négociation de dispositions objectives de type « Restrictions apportées aux avantages » (aussi appelées LOB) dans les conventions particulières plutôt que pour la promulgation, dans la législation canadienne, d’une disposition anti-chalandage fiscal générale et vague. Le TEI formule également des commentaires spécifiques sur quatre des principaux éléments de la mesure proposée dans le budget. Plus particulièrement, le TEI exprime des préoccupations sur les sujets suivants : (i) le choix de la formulation « l’un des principaux objectifs » par le gouvernement, (ii) la portée de la présomption de recours à une entité relais, (iii) les limites des dispositions en matière de règle refuge, (iv) l’ambiguïté créée par le membre de phrase « s’il est raisonnable de le consentir compte tenu des circonstances » quant à l’application de la disposition d’assouplissement et l’absence d’un processus d’examen administratif, et (v) la possibilité qu’il soit, de manière peu scrupuleuse, passé outre aux conventions déjà assujetties à une disposition sur les restrictions apportées aux avantages, comme la convention entre le Canada et les États-Unis.

Au moment d’écrire ces lignes, le Comité mixte rédigeait lui aussi des commentaires.

BEPS – Action 6

Le 14 mars 2014, l’OCDE a publié un projet pour commentaire portant sur l’Action 6 et a demandé aux personnes intéressées de soumettre leurs commentaires au plus tard le 9 avril 2014. On peut consulter le projet et les commentaires reçus (y compris ceux de TEI) sur le site Web de l’OCDE9. Bon nombre des points soulevés ressemblent à ceux qui ont été identifiés à l’égard du projet de règle domestique canadienne.


1 Disponible au www.mccarthy.ca/fr/article_detail.aspx?id=6648
2 Disponible au www.oecd.org/fr/ctp/beps.htm
3 Disponible au www.fin.gc.ca/activty/consult/ts-cf-fra.asp
4 Commentaires disponibles au www.fin.gc.ca/consultresp/ts-cf-fra.asp
5 2012 DTC 1100 (CCI)
6 2009 DTC 5053 (CAF)
7 2006 DTC 3307 (CCI)
8 Disponible au www.tei.org/news/Pages/TEI-Comments-on-2014-Canadian-Budget-.aspx
9 Disponible au www.oecd.org/fr/fiscalite/conventions/commentaires-action-6-empecher-utilisation-abusive-conventions-fiscales.htm

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