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Propositions canadiennes relatives aux prêts adossés

Le budget fédéral 2014 comportait des mesures (mesures budgétaires) destinées à éliminer le recours aux prêts adossés pour éviter les règles sur la capitalisation restreinte ou la retenue d’impôt sur les intérêts payés à des non‑résidents avec lien de dépendance, de façon à prévenir l’érosion de l’assiette fiscale canadienne en limitant la mesure dans laquelle les investisseurs étrangers peuvent tirer des bénéfices de leurs entreprises affiliées canadiennes sans devoir payer d’impôt canadien.

Les règles sur la capitalisation restreinte énoncées dans la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (Loi) refusent généralement la déduction, par une société ou une fiducie[1], des intérêts à payer sur des dettes impayées envers des non-résidents déterminés dans la mesure où un ratio dettes/capitaux propres (actuellement 1,5:1) est dépassé. Dans le cas d’une société, les « dettes impayées envers des non-résidents déterminés » se composent des dettes et des obligations payables par la société comme suit :

  1. soit à un actionnaire non‑résident qui, seul ou avec des personnes ayant un lien de dépendance avec lui, est propriétaire d’actions représentant au moins 25 % des voix rattachées aux actions de la société ou de la valeur de ces actions;
  2. soit à un non‑résident ayant un lien de dépendance avec un actionnaire qui, seul ou avec des personnes ayant un lien de dépendance avec ce dernier, est propriétaire d’actions représentant au moins 25 % des voix rattachées aux actions de la société ou de la valeur de ces actions.

Dans le présent article, de telles personnes sont appelées « non‑résidents visés ». Des règles similaires s’appliquent à la détermination des dettes impayées envers des non‑résidents déterminés d’une fiducie, sauf que le seuil de propriété de 25 % s’applique seulement à l’égard de la valeur des participations dans la fiducie. Les intérêts dont la déduction est refusée sont réputés constituer un dividende assujetti à la retenue d’impôt canadienne de 25 %, sous réserve d’une réduction en vertu d’une convention fiscale.

Bien que la Loi contienne une disposition spécifique anti-évitement visant à décourager les contribuables d’établir des mécanismes de prêts adossés en vue d’éviter les règles sur la capitalisation restreinte, de même que la règle générale anti-évitement, le gouvernement a décidé de renforcer la règle spécifique anti-évitement existante et d’instaurer une nouvelle règle spécifique anti-évitement à l’égard de la retenue d’impôt sur les paiements d’intérêts. Une analyse des mesures budgétaires figure dans notre publication du 12 février 2014, « Plan d’action économique de 2014 – La planification fiscale internationale demeure dans la mire du gouvernement ».

Les mesures budgétaires ont soulevé des préoccupations à l’effet qu’elles étaient beaucoup trop générales et s’appliqueraient à de nombreuses opérations commerciales ordinaires ne visant pas à éviter l’impôt, par exemple lorsqu’une entité non canadienne ayant un lien de dépendance avec un emprunteur canadien fournit une sûreté à l’égard de la dette de ce dernier (telle une garantie assortie d’une sûreté).

Le 29 août 2014, le ministère des Finances (Canada) a rendu public, à des fins de consultation, un avant-projet de loi (propositions d’août) apportant d’importantes modifications aux mesures budgétaires. À certains égards, les propositions d’août répondent aux préoccupations exprimées quant aux mesures budgétaires, mais elles risquent par ailleurs d’élargir la portée des règles.

Règles sur la capitalisation restreinte

Les propositions d’août énoncent les conditions suivantes pour l’application des propositions révisées ayant trait aux prêts adossés dans le contexte des règles sur la capitalisation restreinte :

  1. une obligation impayée du contribuable (dette d’emprunteur) est due à une personne ou à une société de personnes (intermédiaire);
  2. l’intermédiaire n’est ni un résident canadien avec lequel le contribuable a un lien de dépendance, ni un non‑résident visé;
  3. une obligation impayée de l’intermédiaire ou d’une personne ou société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance est due à un non‑résident visé (dette d’intermédiaire) et remplit l’une des quatre conditions suivantes :
    1. le recours dont est assortie la dette d’intermédiaire est limité en tout ou en partie au montant de la dette d’emprunteur,
    2. la dette d’intermédiaire a été contractée à la condition que la dette d’emprunteur le soit aussi,
    3. la dette d’emprunteur a été contractée à la condition que la dette d’intermédiaire le soit aussi,
    4. il est raisonnable de conclure que, en l’absence de la dette d’intermédiaire, la totalité ou une partie de la dette d’emprunteur ne serait pas due, ou ses modalités seraient différentes;
  4. l’intermédiaire ou une personne ou société de personnes avec laquelle il a un lien de dépendance avait un droit déterminé relatif à un bien donné qui avait été accordé, directement ou indirectement, par un non‑résident visé, et l’un des énoncés suivants se vérifie :
    1. les modalités de la dette d’emprunteur prévoient que le droit déterminé doit exister,
    2. il est raisonnable de conclure que, si le droit déterminé n’avait pas été accordé, la totalité ou une partie de la dette d’emprunteur ne serait pas due, ou ses modalités seraient différentes.

Un droit déterminé, relativement à un bien, s’entend du droit de céder le bien, de le donner en nantissement ou de le grever de quelque façon que ce soit, de l’utiliser, de l’investir, de le vendre ou d’en disposer autrement ou de l’aliéner de quelque façon que ce soit.

Les propositions d’août contiennent une « règle refuge », en ce sens que les règles révisées ayant trait aux prêts adossés ne s’appliqueront pas lorsque le total de la dette d’intermédiaire impayée et de la juste valeur marchande du bien sur lequel un droit déterminé a été accordé à l’égard d’une dette d’emprunteur est inférieur à 25 % de la dette d’emprunteur. Dans ce cas, la dette d’emprunteur est considérée ne pas avoir été financée par l’intermédiaire auprès du non‑résident visé. En outre, lorsque la dette d’emprunteur fait partie d’un emprunt d’un groupe de sociétés à un intermédiaire, le critère de 25 % comprend aussi les sommes à payer à l’intermédiaire par les membres du groupe aux termes de la convention visant la dette d’emprunteur ou d’une convention rattachée dans le cas où l’intermédiaire a une garantie pour le paiement de la dette d’emprunteur et de l’autre dette de groupe.

Les notes explicatives présentent des exemples où une exonération est possible lorsqu’un intermédiaire contracte de multiples créances avec garantie réciproque qui lui sont dues par plusieurs entités d’un groupe, incluant un accord de gestion centralisée de la trésorerie théorique. Les exemples indiquent clairement qu’une garantie réciproque et une garantie générale sur tous les biens détenus par chaque membre d’un groupe, garantissant le paiement de la dette payable par tous les membres du groupe, n’entraîneront pas en soi l’application des règles relatives aux prêts adossés. Plutôt, des espèces déposées en garantie auprès d’une banque ou des titres négociables fournis en garantie, lorsque la personne qui détient ces titres a le droit de les mettre en gage ou de les céder (c’est-à-dire comme moyen de se procurer des capitaux), entraîneront généralement l’application des règles relatives aux prêts adossés, sous réserve du critère de minimis de 25 %.

Comme les propositions d’août s’appliquent aux années d’imposition commençant après 2014, les mécanismes de prêt et de garantie existants devraient faire l’objet d’un examen visant à déterminer si un intermédiaire ou une personne ou société de personnes avec laquelle un intermédiaire a un lien de dépendance a un droit déterminé. Quoique les notes explicatives contribuent à confirmer qu’un intermédiaire ne sera pas considéré comme titulaire d’un droit déterminé relatif à un bien du seul fait qu’une garantie lui a été accordée sur le bien, il serait préférable que cette exclusion soit énoncée dans la loi elle-même. Le TEI a présenté des commentaires suggérant d’y procéder en définissant le droit déterminé de façon à exclure une « garantie », terme nouvellement défini dans les propositions d’août.[2] Les paragraphes 248(4) et 248(4.1) de la Loi fournissent des exemples similaires en stipulant expressément qu’un intérêt sur un bien réel (ou un droit réel sur un immeuble) exclut un intérêt (ou un droit) servant de garantie seulement et découlant d’une hypothèque, d’une convention de vente ou d’un titre semblable. Toutefois, en cas de défaut du débiteur conférant à l’intermédiaire le droit de réaliser sa garantie en aliénant le bien, ce qui n’était qu’une simple garantie deviendrait probablement un droit déterminé.

En outre, à la lumière des nouvelles conditions d’application des règles (« il est raisonnable de conclure » que, si la dette d’intermédiaire n’existait pas ou si le droit déterminé n’avait pas été accordé, la totalité ou une partie de la dette d’emprunteur n’aurait pas été due, ou ses modalités auraient été « différentes »), les mécanismes de financement de toutes les personnes ou sociétés de personnes non‑résidentes ayant un lien de dépendance avec l’emprunteur devront être examinés en profondeur afin de déterminer s’ils risquent d’avoir un effet sur la dette d’emprunteur. Dans ses commentaires, le TEI suggère que l’expression « il est raisonnable de conclure » soit remplacée par un critère de principale raison similaire à celui que stipule l’alinéa 95(6)b) de la Loi, vu le caractère très subjectif de ces conditions. De plus, de l’avis des auteurs, l’exigence selon laquelle les modalités de la dette d’emprunteur sont « différentes » en raison de l’existence de la dette d’intermédiaire représente un seuil fort peu élevé.

Lorsque les règles relatives aux prêts adossés s’appliquent, la totalité ou une partie de la dette d’emprunteur est réputée être impayée envers le non‑résident visé qui est créancier de la dette d’intermédiaire ou concédant du droit déterminé, et non envers l’intermédiaire. En cas de multiples dettes d’intermédiaires ou biens donnés à l’égard desquels des droits déterminés ont été accordés, une règle d’attribution s’applique. Dans la mesure où, en raison de l’application de la règle sur la capitalisation restreinte, une partie des intérêts sur la dette d’emprunteur n’est pas déductible, ces intérêts sont réputés, pour l’application de la partie XIII de la Loi, sous réserve de l’application des paragraphes 214(16) et 214(17), être payables au non‑résident visé. Aux termes du paragraphe 214(16), la somme ainsi payée par une société est généralement réputée être un dividende.

Retenue d’impôt

La Loi n’impose aucune retenue d’impôt sur les intérêts payés par un résident du Canada à une personne non‑résidente sans lien de dépendance avec le payeur, à la condition que les intérêts ne soient pas payés sur une créance participative. Si le payeur a un lien de dépendance avec la personne non‑résidente, le taux de la retenue d’impôt s’établit à 25 %, sous réserve d’une réduction en vertu d’une convention fiscale.

Les mesures budgétaires ont instauré une règle spécifique anti-évitement à l’égard de la retenue d’impôt en cas d’octroi de certains prêts adossés, laquelle correspondait en grande partie aux nouvelles règles relatives aux prêts adossés pour l’application des règles sur la capitalisation restreinte. Les propositions d’août apportent des modifications similaires à la règle spécifique anti-évitement.

La nouvelle règle fait en sorte que la retenue d’impôt canadienne s’applique à un mécanisme de financement selon lequel un non‑résident fournit du financement par dette par l’entremise d’un intermédiaire, plutôt que directement, à un contribuable résidant au Canada. La nouvelle règle s’applique seulement si l’interposition de l’intermédiaire entraîne une réduction de la retenue d’impôt qui aurait été payable par ailleurs si les intérêts avaient été directement payés au non‑résident, et non à l’intermédiaire, ou portés à son crédit, et non à celui de l’intermédiaire. Ainsi, dans le cas d’un non‑résident qui est une personne admissible en vertu de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, laquelle exonère entièrement de la retenue d’impôt canadienne les intérêts sur une dette avec lien de dépendance, la nouvelle règle ne s’appliquerait pas. Pour l’application de la nouvelle règle, les intérêts sont déterminés compte non tenu de la somme dont la déduction est refusée, le cas échéant, aux termes des règles sur la capitalisation restreinte. Toutefois, il s’agit purement d’un critère de « résultats » ne prenant aucunement en considération la question de savoir si une raison, principale ou non, était l’obtention d’un tel résultat.

Les autres conditions se rapportant à l’application des règles relatives aux prêts adossés dans le contexte de la retenue d’impôt se rapprochent beaucoup de celles qui ont trait à la capitalisation restreinte, y compris la règle refuge de 25 %. Cependant, l’intermédiaire peut être un résident du Canada avec lequel le contribuable a un lien de dépendance et être toute personne non‑résidente, et non un non‑résident visé seulement. L’application de cette règle spécifique anti-évitement est donc plus étendue à l’égard de la retenue d’impôt qu’à l’égard de la capitalisation restreinte dans la mesure où l’intermédiaire peut être n’importe quelle personne non‑résidente.[3]

Si les conditions d’application sont réunies quant au montant des intérêts payés à un intermédiaire ou portés à son crédit, le payeur est réputé payer des intérêts à la personne non‑résidente envers qui l’intermédiaire a une dette ou une obligation de payer une somme ou qui a accordé à celui‑ci un droit déterminé sur un bien. Le montant des intérêts qui est réputé être payé est calculé selon une formule qui tient compte de ce qui suit : (i) la somme payée par le payeur au titre des intérêts à l’intermédiaire, (ii) le montant de la dette d’intermédiaire et la valeur du bien sur lequel l’intermédiaire a un droit déterminé, (iii) la somme qui est réputée être un dividende aux termes des règles sur la capitalisation restreinte et (iv) la retenue d’impôt qui aurait été payable si les intérêts avaient été directement payés au non‑résident, et non à l’intermédiaire, ou portés à son crédit, et non à celui de l’intermédiaire, et le montant de la retenue d’impôt appliquée sur les intérêts effectivement payés à l’intermédiaire ou portés à son crédit. Dans le calcul de la retenue d’impôt qui aurait été payable si les intérêts avaient été directement payés à la personne non‑résidente ou portés à son crédit, il faudra considérer si le non‑résident a ou non un lien de dépendance avec le payeur et si le non‑résident a droit ou non aux avantages en vertu d’une convention fiscale, compte tenu de toute disposition applicable en matière de restrictions apportées aux avantages.

Il importe de souligner que les règles relatives aux prêts adossés ne sont pas censées avoir d’effet sur la retenue d’impôt requise sur les paiements réels d’intérêts à l’intermédiaire.

Il est intéressant de constater que cette règle spécifique anti-évitement, qui représente en fait une mesure spécifique anti-chalandage fiscal, n’a pas été reportée comme la règle générale anti-chalandage fiscal proposée dans les mesures budgétaires a été reportée dans les propositions d’août. Le motif à l’appui du report de la mesure générale anti-chalandage fiscal, à savoir l’attente de la suite des travaux de l’OCDE et du G20 dans leur initiative sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (en anglais « Base Erosion and Profit Shifting », ou « BEPS »), pourrait vraisemblablement s’appliquer aussi. Le matériel publié par l’OCDE le 16 septembre 2014 à l’égard du projet BEPS et de l’utilisation abusive des conventions fiscales[4] aborde le recours aux règles nationales anti-chalandage fiscal et la nécessité de régler la relation entre les règles nationales et les dispositions des conventions fiscales.[5]


[1] Les règles s’appliquent aux sociétés et aux fiducies non‑résidentes qui exploitent une entreprise au Canada ou qui ont fait un choix en vertu de l’article 216 de la Loi ainsi qu’aux sociétés et aux fiducies résidant au Canada. Dans le cas d’une société ou d’une fiducie non‑résidente, des règles particulières s’appliquent pour déterminer le « montant des capitaux propres ». Des règles spécifiques visent également les dettes et les obligations dues par les sociétés de personnes dont une société ou une fiducie est un associé.
[2] Voir la lettre du Tax Executives Institute au ministère des Finances datée du 26 septembre 2014 (commentaires du TEI).
[3] Dans les commentaires du TEI, il est suggéré qu’elle ne soit pas plus étendue. Dans le contexte des règles sur la capitalisation restreinte, un intermédiaire qui est un résident canadien ayant un lien de dépendance avec l’emprunteur serait lui‑même assujetti aux règles sur la capitalisation restreinte.
[4] « Empêcher l’utilisation abusive des conventions fiscales lorsque les circonstances ne s’y prêtent pas », Action 6 du Plan d’action BEPS.
[5]Ibid., partie A.2.

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