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Projet de loi 89 : Québec serre la vis aux administrateurs et dirigeants contrevenant à la Loi sur la qualité de l’environnement

Le projet de loi no 89 Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement afin d’en renforcer le respect (le « Projet de loi 89 ») a été présenté par la ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (la « ministre ») à l’Assemblée nationale du Québec le 15 avril dernier. Le même jour, la ministre annonçait par communiqué de presse que « grâce à ces nouvelles mesures, nous serons plus sévères envers les pollueurs ».

Parmi les mesures proposées modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement (« LQE »), soulignons les suivantes :

  • introduction de pénalités administratives variant entre 250 $ et 2 000 $ pour les individus et entre 1 000 $ et 10 000 $ pour les entreprises;
  • majoration des amendes pénales journalières maximales de 500 000 $ à 6 millions de dollars pour les entreprises, de 25 000 $ à 2 millions de dollars pour leurs administrateurs et dirigeants et de 25 000 $ à 1 million de dollars pour les individus;
  • présomption de responsabilité pénale des administrateurs et dirigeants d’une entreprise contrevenante;
  • augmentation de la prescription générale de 2 à 5 ans et plus grande portée des exceptions;
  • élargissement des pouvoirs des autorités de refuser l’émission ou le renouvellement d’un permis ou de le révoquer;
  • désignation de facteurs aggravants devant être pris en compte par les juges dans la détermination de la peine.

Les modifications proposées par le Projet de loi 89 touchent l’ensemble des intervenants impliqués dans des activités susceptibles d’affecter la qualité de l’environnement : les entreprises, leurs administrateurs et dirigeants et les individus. Les administrateurs et dirigeants semblent toutefois être tout particulièrement dans la mire des autorités.

Il est notamment proposé que les administrateurs et dirigeants soient présumés responsables d’une infraction commise par une entreprise ou une association ou par son agent, son mandataire ou son employé. Ainsi, une fois que la Couronne aura fait la preuve de la commission de l’infraction par l’entreprise ou l’association, aucune preuve supplémentaire ne sera nécessaire pour que les administrateurs et les dirigeants soient reconnus coupables de cette infraction. Pour renverser la présomption et éviter une condamnation, l’administrateur ou le dirigeant aura le fardeau de prouver que l’infraction a été commise à son insu, sans son consentement et malgré les dispositions prises pour en prévenir la perpétration. À ce jour, les condamnations contre les administrateurs et dirigeants se sont fait rares en raison de la difficulté pour la Couronne de démontrer que l’infraction commise par une entreprise l’a été à la suite d'un acte de complicité, d'un ordre, d'une autorisation, d'un conseil ou d'un encouragement de l’administrateur ou du dirigeant. Les modifications proposées pourraient rendre plus attrayante pour la Couronne la poursuite systématique des administrateurs et dirigeants des entreprises contrevenantes.

Le Projet de loi 89 introduit par ailleurs de nouvelles amendes spécifiques aux administrateurs et dirigeants qui correspondent au double de celles applicables aux individus. Ainsi, pour des manquements sévères, tel un rejet prohibé de contaminant dans l’environnement, un juge pourrait ordonner une amende atteignant 2 millions de dollars par jour aux administrateurs et dirigeants en plus d’une peine d’emprisonnement maximale de 3 ans. Pour une infraction jugée plus mineure, comme le non-respect d’un certificat d’autorisation, la sanction maximale pour les administrateurs et dirigeants serait de 500 000 $ par jour d’infraction. Par ailleurs, une condamnation récente d’un administrateur ou d’un dirigeant (au cours des 2 dernières années pour la plupart des infractions et 5 dernières années pour les infractions les plus graves) pourrait notamment permettre aux autorités de révoquer le permis d’exploitation de l’entreprise, que l’infraction soit en lien ou non avec les conditions prévues au permis.

L’entreprise qui commet une infraction à la LQE, et possiblement ses administrateurs et dirigeants, pourra également faire l’objet de nouvelles pénalités administratives. Lorsqu’une infraction sera constatée, un avis faisant acte de contravention pourra être envoyé au contrevenant qui aura alors 30 jours pour payer la pénalité réclamée, à moins qu’il ne la conteste. Une poursuite pénale pourra être cumulée à une telle contravention, auquel cas le paiement de la contravention ne constituera pas une admission de responsabilité pénale. La contravention pourra faire l’objet d’une demande de réexamen et un réexamen défavorable pourra être contesté devant le Tribunal administratif du Québec (« TAQ »). La ministre pourra exiger que les administrateurs et dirigeants d’une entreprise en défaut de payer sa contravention, alors que les délais ou recours de contestation sont épuisés, soient solidairement tenus à son paiement, dans la mesure où ils ont toléré l’infraction à la base de cette contravention.

Contrairement au projet de loi fédéral C-16 Loi sur le contrôle d’application des lois environnementales sanctionné le 18 juin 2009 (le « Projet de loi C-16 ») qui prévoit l’impossibilité de soumettre une défense de diligence raisonnable dans le cadre de la contestation d’une pénalité administrative, le Projet de loi 89 est silencieux à cet égard. Il faudra toutefois voir quel poids le TAQ accordera en pratique à une telle défense.

Le Projet de loi 89 s’inscrit dans un mouvement déjà bien amorcé au Canada visant à renforcer le respect des lois environnementales. En Ontario, un régime de pénalités administratives visant des industries désignées a été mis en place en 2007. À la fin de l’année 2009, une vingtaine de pénalités variant entre 700 $ et 25 000 $ avaient été imposées et visaient principalement des dépassements de normes de rejet d’eaux usées et des tests de toxicité échoués. Du côté fédéral, le Projet de loi C-16 augmente les sanctions pénales prévues dans plusieurs lois environnementales en prévoyant des amendes pouvant atteindre 6 millions de dollars pour les grandes entreprises et introduit les bases d’un système de pénalités administratives dont les détails seront complétés par voie règlementaire.

Au moment d’écrire ces lignes, aucune consultation publique sur le Projet de loi 89 n’a encore été annoncée, mais plusieurs groupes sont néanmoins déjà à l’œuvre pour recueillir les commentaires de leurs membres et préparer d’éventuelles représentations. Selon nos informations, le gouvernement souhaite une adoption rapide de ce projet de loi, possiblement avant la fin de la présente session parlementaire prévue pour la mi-juin. Si le Projet de loi 89 est adopté dans sa forme actuelle, les administrateurs et dirigeants pourraient vouloir s’assurer que le système de gestion environnementale en place limite au maximum les risques de violations environnementales par l’entreprise pour lesquelles le prix à payer pourrait être très élevé.

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