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Procédures en vertu de la Loi sur la concurrence : Vos renseignements confidentiels seront-ils protégés?

Une décision récente de la Cour supérieure de justice de l’Ontario nous rappelle que malgré les obligations de confidentialité prévus à l’article 29 de la Loi sur la concurrence (Loi), tous les renseignements transmis au Bureau de la concurrence (Bureau), que ce soit volontairement ou par contrainte, peuvent être divulgués publiquement si des procédures judiciaires sont entamées.

Contexte

En novembre 2010, la commissaire de la concurrence (commissaire) dépose une demande contre Rogers Communications Inc. (Rogers) et sa filiale, Chatr sans-fil, relativement à des allégations de publicité trompeuse aux termes de l’alinéa 74.01(1) de la Loi. Dans sa demande, la commissaire conteste des déclarations selon lesquelles les clients de Chatr sans-fil subissent  moins d’appels interrompus que ceux des autres nouveaux opérateurs sans-fil, et tente d’obtenir diverses ordonnances à l’encontre de Rogers, y compris une sanction administrative pécuniaire de dix millions de dollars.

À titre préliminaire, la commissaire a demandé une ordonnance pour que les renseignements confidentiels et commercialement sensibles obtenus dans le cadre de l’enquête faite par le Bureau demeurent confidentiels et qu’ils ne soient pas partagés ou diffusés avant, pendant ou après l’audition de la demande.

La commissaire demandait une ordonnance de mise sous scellé à l’égard d’un nombre limité de documents contenant des informations sur : i) les taux d’appels interrompus; ii) les volumes d’appels ou l’emplacement géographique des appels; iii) les abonnés; iv) les renseignements financiers, y compris le revenu moyen par utilisateur; v) les plans ou stratégies de commercialisation; et vi) les renseignements sensibles du point de vue de la concurrence et du point de vue commercial ainsi que des renseignements de nature exclusive, tous gardés confidentiels avant que ne débutent les procédures.

Jugement

Pour statuer sur l’ordonnance demandée, la Cour a appliqué l’analyse en deux volets adoptée par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sierra Club pour décider si une ordonnance de confidentialité devait être rendue. La Cour a confirmé qu’une ordonnance de confidentialité ne devrait être accordée que dans les cas suivants :

  1. l’ordonnance est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice, vu l’absence d’autres mesures raisonnables pouvant écarter ce risque; et
  2. les effets bénéfiques de l’interdiction de publication sont plus importants que ses effets préjudiciables sur les droits et les intérêts des parties et du public, notamment ses effets sur le droit à la libre expression, sur le droit de l’accusé à un procès public et équitable ainsi que sur l’efficacité de l’administration de la justice.

Appliquant ces principes, la Cour a accueilli la requête de la commissaire visant à mettre sous scellé les documents stratégiques et de commercialisation recueillis auprès d’autres opérateurs sans-fil, mais a refusé d’accorder l’ordonnance en ce qui concerne les taux d’appels interrompus.

La Cour a jugé que l’ordonnance de mise sous scellés était nécessaire afin d’écarter un risque sérieux pour la bonne administration de la justice. La Cour a accepté l’argument du Bureau selon lequel sa capacité d’avoir accès aux renseignements pertinents dépend de sa capacité de donner une garantie de confidentialité à la partie qui lui transmet ces renseignements. La Cour a reconnu que l’ordonnance demandée était nécessaire pour prévenir le risque que la divulgation publique de renseignements confidentiels ait pour effet de dissuader les entreprises de collaborer avec le Bureau.

Quant au deuxième volet de l’analyse proposée dans Sierra Club, la Cour a jugé que les taux d’appels interrompus étaient d’une importance fondamentale pour la demande de la commissaire. Si ces renseignements étaient mis sous scellé, le public ne pourrait assister à une partie importante de l’audition traitant de l’objet principal de la demande de la commissaire. Comme le public a intérêt à ce que jugement soit rendu après une analyse du bien-fondé de la demande, la Cour a conclu que les effets préjudiciables de l’ordonnance proposée sur le droit du public de savoir si la plainte de la commissaire était bien fondée et sur l’intérêt public envers l’administration de la justice dépassaient ses effets bénéfiques. Par conséquent, la Cour a rejeté la demande de la commissaire de mettre sous scellé les renseignements relatifs aux taux d’appels interrompus.

Quant aux autres renseignements visés par la requête, la Cour a accepté de les mettre sous scellé parce qu’ils ne sont pas d’importance fondamentale pour la demande de la commissaire. La Cour a donc conclu que les effets préjudiciables de la mise sous scellé de ces renseignements n’excédaient pas ses effets bénéfiques sur la confidentialité, qui est importante pour les intérêts de la commissaire.

Sur la questions des attentes des tiers, la Cour a souligné que les garanties de confidentialité données par le Bureau et la commissaire sont bien connues et décrites dans le Bulletin d’information sur la communication de renseignements confidentiels aux termes de la Loi sur la concurrence publié par le Bureau en 2007 (Bulletin). Le Bulletin reconnaît que l’article 29 de la Loi vise à protéger presque tous les renseignements fournis au Bureau ou obtenus par ce dernier, et que le Bureau prendra toutes les mesures raisonnables pour maintenir la confidentialité de ces renseignements, notamment en demandant des ordonnances de confidentialité ou de mise sous scellé. Le Bulletin reconnaît toutefois que ces ordonnances relèvent ultimement de la discrétion du tribunal et indique clairement que compte tenu du régime législatif encadrant les activités du Bureau, il y a un risque que les renseignements confidentiels soient divulgués si le dossier se retrouve devant les tribunaux.

Remarques de McCarthy Tétrault

L’article 29 de la Loi assure la protection des renseignements confidentiels fournis au Bureau et ce dernier ne les divulguera pas volontairement dans le cadre d’une enquête. Toutefois, comme le rappelle la présente décision, le maintien de la confidentialité ne dépend pas entièrement de la volonté du Bureau et les renseignements confidentiels peuvent devenir publics si un tribunal refuse d’accorder l’ordonnance demandée par le Bureau. Quiconque fournit des renseignements au Bureau doit donc être conscient du risque que ces renseignements puissent devenir publics si la commissaire intente des procédures.

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