Passer au contenu directement.

Modernisation des lois sur le droit d’auteur au Canada — Le gouvernement fédéral présente un nouveau projet de loi sur le droit d’auteur

Le gouvernement canadien a finalement présenté ses modifications proposées au droit d’auteur. Le projet de loi C-32, Loi sur la modernisation du droit d’auteur, vise à corriger les lacunes de la Loi sur le droit d’auteur créées par l’Internet et les autres technologies numériques et à rendre la législation canadienne conforme aux normes internationales. Les changements comprennent des mesures visant à mettre en œuvre les traités de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI), un plafond sur les dommages-intérêts préétablis, une nouvelle exception relative aux « mixages », des précisions quant à la responsabilité des fournisseurs de services Internet (FSI) pour des violations commises par leurs abonnés, ainsi qu’une nouvelle cause d’action pour la violation à une étape ultérieure.

Ce projet de loi diffère sensiblement de ses prédécesseurs, les projets de loi C-60 et C-61, et fait état d’une nouvelle façon de penser du gouvernement sur la meilleure manière de moderniser la Loi sur le droit d’auteur. Même si le projet de loi constitue une avancée par rapport aux tentatives précédentes de réforme du droit d’auteur, des modifications devront être apportées pour veiller à ce que le projet atteigne les objectifs visés par le gouvernement et qu’il n’entraîne pas de conséquences imprévues.

Le préambule du projet de loi décrit ses objectifs qui comprennent :

  • créer une loi-cadre du marché et un instrument indispensable de la politique culturelle qui, au moyen de règles claires, prévisibles et équitables, favorise la créativité et l’innovation de l’économie du savoir;
  • présenter des possibilités et des défis qui ont une portée mondiale pour la création et l’utilisation des œuvres ou autres objets du droit d’auteur protégés;
  • adopter des approches coordonnées en matière de protection du droit d’auteur fondées sur des normes reconnues à l’échelle internationale, notamment celles qui sont incluses dans le Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (ODA) et dans le Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (OIEP);
  • accorder aux titulaires de droits une reconnaissance et une rémunération et leur donner la faculté d’exercer leurs droits;
  • faciliter aux utilisateurs l’accès aux œuvres ou autres objets du droit d’auteur protégés; et
  • améliorer la protection du droit d’auteur, notamment par la reconnaissance de mesures techniques et d’autres mesures, d’une façon qui favorise la culture ainsi que l’innovation, la concurrence et l’investissement dans l’économie canadienne.

Figurent ci-après les faits saillants des modifications proposées.

Mise en œuvre des traités de l’OMPI (OAD et OIEP)

Le projet de loi contient des modifications visant à créer un droit de mettre à disposition et un droit de distribution à l’égard des biens tangibles, à protéger l’information sur le régime des droits et à fournir une protection juridique contre les mesures techniques de protection (MTP). Les dispositions relatives aux MTP sont conformes aux normes internationales et courantes pour de telles dispositions, qui exigent une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre le contournement de MTP.

Le projet de loi contient des exceptions à l’interdiction du contournement des MTP afin de permettre la rétroingénierie, les tests des mécanismes de sécurité et les recherches sur le chiffrement, la création de programmes d’ordinateur interopérables, de permettre aux personnes ayant une déficience perceptuelle d’accéder à des œuvres et de permettre aux consommateurs de protéger leurs renseignements personnels.

Le projet de loi présente également deux nouvelles exceptions qui n’existaient pas dans le projet de loi C-61 : une exception visant les enregistrements temporaires par radiodiffusion et une exemption visant le déverrouillage d’un dispositif sans fil. Le gouvernement a également conservé la flexibilité nécessaire, par la réglementation, pour élargir la catégorie des exceptions lorsqu’il peut être d’intérêt public de le faire ou pour exclure certaines catégories de MTP de la protection si cette protection diminuait indûment la concurrence sur le marché secondaire.

Le libellé proposé relativement au droit de mettre à disposition pour les enregistrements sonores devra faire l’objet de modifications techniques pour correspondre à l’intention déclarée du gouvernement d’être conforme aux exigences de l’OAD et de l’OIEP. Dans sa forme actuelle, le libellé limite le droit exclusif de mettre à disposition, relatif aux enregistrements sonores, à un droit de percevoir des redevances en vertu d’un tarif et, dans les faits, fait en sorte qu’il n’est pas possible de se prévaloir de ce droit exclusif contre les sites et les services illégitimes de piratage.

Exceptions relatives à certains usages de matériel protégé par le droit d’auteur à des fins privées

Le projet de loi créerait de nouvelles exceptions pour le transfert d’œuvres protégées sur tout support ou appareil, la création de copies de sauvegarde et de copies d’enregistrement à des fins d’écoute en différé. Ces exceptions, neutres sur le plan technologique, permettent aux particuliers de faire beaucoup plus de choses avec le contenu. Les titulaires du droit d’auteur ne recevraient aucune rémunération au titre de la redevance pour copie privée pour de telles copies. Ces dispositions dépassent largement les exceptions proposées dans le projet de loi C-61 et devront être examinées avec soin pour s’assurer qu’elles n’entraînent pas de conséquences imprévues.

Exception relative au « contenu non commercial généré par l’utilisateur »

Le projet de loi créerait une nouvelle exception visant à permettre aux particuliers d’utiliser des œuvres existantes pour créer de nouvelles œuvres comme des « mixages » et à permettre aux nouvelles œuvres d’être affichées en ligne. La disposition est assujettie aux conditions suivantes :

  1. la copie ou la diffusion de la nouvelle œuvre ne doit être utilisée qu’à des fins non commerciales;
  2. la source doit être mentionnée « si cela est possible dans les circonstances »;
  3. la personne croit, pour des motifs raisonnables, que l’œuvre ayant servi à la création n’était pas contrefaite; et
  4. la copie ou la diffusion de la nouvelle œuvre « n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation — actuelle ou éventuelle — de l’œuvre […] ou sur tout marché actuel ou éventuel à son égard. »

Le gouvernement a indiqué que la disposition vise à protéger la réalisation et la diffusion en ligne d’une vidéo domestique d’un ami ou d’un membre de la famille qui danse au rythme d’une chanson populaire ou la création d’un « mixage » d’un vidéoclip. Toutefois, la portée de l’article laisse entendre que des conséquences imprévues pourraient survenir. Par exemple, un particulier qui créé une nouvelle œuvre pourrait théoriquement copier de très grandes parties d’œuvres ou de collections d’œuvres tant que la nouvelle œuvre créée comporte un peu de nouveauté ou d’originalité. Aucune exigence ne prévoit que la copie doit être transformatrice ni dans quelle mesure la copie doit être juste de quelque façon que ce soit.

En outre, l’article autorise les entités commerciales à diffuser la nouvelle œuvre à moins que les dommages subis par le titulaire des droits soient tels qu’il y aurait un « effet négatif important » sur l’exploitation actuelle ou éventuelle de l’œuvre existante. L’intermédiaire n’en assumerait aucune responsabilité. Cet article, avec la nouvelle exception relative au stockage, porterait atteinte aux modèles d’affaires actuels dans le cadre desquels le contenu est autorisé sous licence à des fins d’utilisation en ligne, ce qui n’est pas conforme à l’intention déclarée du gouvernement.

Exceptions en matière de violation pour clarifier la responsabilité des FSI

Le projet de loi contient des exceptions très larges pour les intermédiaires et les fournisseurs de réseau Internet, notamment des exceptions liées à la prestation de services réseau, à la mise en antémémoire, au stockage et à la fourniture d’outils de repérage. Ces dispositions sont très semblables aux exceptions prévues dans le projet de loi C-61, sauf que les exceptions liées au fournisseur de service réseau et aux outils de repérage ne s’appliquent pas aux sites qui sont principalement destinés à faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur comme les services illégaux de partage de fichiers poste à poste.

Bon nombre de conditions standards liées à ces types d’exceptions dans le monde ne sont pas incluses dans le projet de loi. Par exemple, il n’est pas nécessaire que les FSI ignorent les violations ou qu’ils soient tenus de retirer le contenu contrefait ou d’en désactiver l’accès pour que ces exceptions s’appliquent. Les exceptions relatives aux FSI ne sont pas non plus conditionnelles à ce que les FSI aient en place une politique visant à freiner les activités de violation du droit d’auteur sur leurs réseaux ou à respecter les codes généralement acceptés de l’industrie, comme c’est le cas dans d’autres pays.

Le projet de loi contient également le régime de « transmission d’avis » (notice and notice) qui figurait dans le projet de loi C-61. Il n’y a aucun régime « d’avis et de retrait » (notice and takedown), régime qui a été mis en œuvre dans d’autres pays, et qui est nécessaire pour traiter efficacement avec les exploitants de sites de piratage qui violent le contenu à grande échelle. Le régime de « transmission d’avis » ne pourrait vraisemblablement pas réagir rapidement en ce qui a trait aux affichages à durée de vie critique comme l’affichage de films, de jeux vidéo ou d’albums piratés avant leur sortie officielle, ce qui pourrait faire obstacle à leur viabilité commerciale.

Plafond des dommages-intérêts préétablis

Le projet de loi crée un plafond applicable dans le cas des violations commises à des fins non commerciales. Il permet également à un juge de réduire ces dommages encore davantage pour un certain nombre de raisons, notamment si les dommages étaient disproportionnés.

Exception permettant aux radiodiffuseurs de copier de la musique pour leurs activités

Cette exception élargit de façon importante l’exception actuelle relative au droit de reproduction mécanique des radiodiffuseurs prévu par la Loi sur le droit d’auteur. Cette modification éliminerait prospectivement les tarifs de reproduction mécanique des diffuseurs qui s’appliquent actuellement aux éditeurs de musique et les tarifs proposés qui s’appliqueraient aux maisons de disque en ce qui a trait aux copies éphémères lesquels tarifs sont maintenant homologués.

Autres exceptions

Le projet de loi créerait également les exceptions suivantes :

  • De nouvelles exceptions visant à permettre :
    • la rétroingénierie des programmes d’ordinateur à des fins d’interopérabilité, la recherche sur le chiffrement et les tests des mécanismes de sécurité des réseaux dans le but d’en évaluer la vulnérabilité; et
    • la reproduction temporaire, comme la reproduction en mémoire tampon, qui constitue une partie essentielle de l’exécution d’un processus technologique.
  • Trois nouvelles catégories d’exceptions liées à l’utilisation équitable : les exceptions relatives à la parodie, à la satire et à l’éducation.
  • De nouvelles exceptions relatives à l’apprentissage à distance et à l’accès aux renseignements publiés dans Internet.

Ces exceptions devront être étudiées attentivement puisque leur libellé et leur étendue diffèrent sensiblement de l’approche adoptée dans d’autres territoires relativement à ces types d’exceptions.

Violation à une étape ultérieure — cause d’action contre ceux qui facilitent la violation

Le projet de loi C-32 crée une nouvelle cause d’action contre une personne qui fournit un système dont elle sait ou devrait savoir qu’il « est principalement destiné à faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur ». Cette cause d’action vise les services de piratage comme les sites illégaux de partage de fichiers poste à poste. Le projet de loi crée un ensemble évolutif de facteurs visant à guider les tribunaux dans l’application de cette nouvelle règle, notamment :

  1. le fait que la personne a fait valoir, même implicitement, dans le cadre de la commercialisation du service ou de la publicité relative à celui-ci, qu’il pouvait faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur;
  2. le fait que la personne savait que le service était utilisé pour faciliter l’accomplissement d’un nombre important de ces actes;
  3. le fait que le service a des utilisations importantes, autres que celle de faciliter l’accomplissement de ces actes;
  4. la capacité de la personne, dans le cadre de la fourniture du service, de limiter la possibilité d’accomplir ces actes et les mesures qu’elle a prises à cette fin;
  5. les avantages que la personne a tirés en facilitant l’accomplissement de ces actes;
  6. la viabilité économique de la fourniture du service si celui-ci n’était pas utilisé pour faciliter l’accomplissement de ces actes.

Le libellé de cet article devra être examiné attentivement pour veiller à ce que l’objectif en matière de politique visant à « ériger en violation du droit d’auteur le fait de faciliter la commission de telles violations en ligne » est atteint. Par exemple, l’exigence selon laquelle le service Internet ne doit pas « [être] principalement destiné à faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit d’auteur » peut être formulée de façon trop étroite pour viser adéquatement toutes les menaces de piratage en ligne.

De plus, la cause d’action limite uniquement deux des nouveaux refuges à la disposition des intermédiaires Internet, notamment les exceptions liées aux services réseau et aux outils de repérage. Curieusement, une exigence qui a trait aux refuges relatifs à la reproduction en antémémoire et aux services de stockage prévoit que les FSI doivent se conformer à la disposition, ce qui peut éventuellement entraîner des conséquences imprévues très importantes, particulièrement lorsque cet article est lu parallèlement à la très large exception relative au stockage.

Entre outre, la nouvelle cause d’action ne permet pas le recouvrement de dommages-intérêts préétablis contre les personnes qui facilitent le piratage, minimisant ainsi l’intention du gouvernement de permettre aux titulaires de droit d’auteur de combattre les pirates Internet en poursuivant les entités qui font la promotion du partage illégal de fichiers poste à poste.

Remarques de McCarthy Tétrault 

Le projet de loi C-32 est long et complexe et devra être lu avec beaucoup d’attention afin d’en comprendre pleinement la portée et l’application. On peut constater dès la première lecture que le projet de loi tente de résoudre bon nombre des problèmes posés par l’Internet et l’ère numérique. Toutefois, de nombreuses dispositions du projet de loi devront être fignolées pour s’assurer qu’elles respectent les objectifs énoncés du gouvernement sans entraîner d’importantes conséquences imprévues.

Auteurs