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Mesure d’allègement proposée à l’égard des retenues effectuées par les employeurs non-résidents au titre de l’article 102 du règlement

La rémunération payée pour la prestation de services au Canada par des employés non‑résidents (même en cas d’affectation de courte durée) est assujettie aux exigences du paragraphe 153(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la Loi) et de l’article 102 du Règlement de l’impôt sur le revenu (le Règlement) concernant les retenues, les remises et les déclarations d’impôt sur le revenu canadien. Le 21 avril 2015, le ministre des Finances Joe Oliver a déposé à la Chambre des communes le budget fédéral de 2015, lequel prévoyait une mesure d’allègement pour les retenues prescrites par l’article 102 du Règlement (les modifications proposées). Si les modifications proposées ont été favorablement accueillies par les fiscalises et le milieu des affaires, puisqu’elles allègent le fardeau administratif des entreprises qui font du commerce transfrontalier, on s’inquiète néanmoins de leur insuffisance.

Le régime actuel de l’article 102 du Règlement

Suivant l’article 102 du Règlement, la rémunération reçue par des non‑résidents pour un emploi exercé au Canada est imposable par le Canada, sous réserve d’un allègement prévu par une convention fiscale applicable entre le Canada et le pays de résidence de l’employé. À titre d’exemple, un particulier résidant aux États-Unis et employé par un employeur non‑résident sera généralement exempté de l’impôt canadien sur une rémunération tirée d’un emploi au Canada s’il est présent au Canada pendant 183 jours tout au plus au cours de toute période de 12 mois débutant ou se terminant pendant l’année civile visée et que cette rémunération n’est pas prise en charge par un établissement stable au Canada.

Même si une mesure d’allègement prévue à une convention fiscale permet d’exempter l’employé non‑résident de l’obligation de payer de l’impôt au Canada, les employeurs, qu’ils soient résidents ou non‑résidents, doivent généralement retenir les montants correspondant à l’obligation fiscale de chaque employé qui travaille au Canada. L’employeur doit en outre se procurer un numéro d’entreprise auprès de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), remettre des feuillets T4 à ses employés et produire à l’ARC une déclaration de renseignements T4. L’employé doit obtenir un numéro d’identification-impôt de l’ARC et produire une déclaration de revenu au Canada pour que lui soit remboursé l’impôt retenu. À l’heure actuelle, certains employeurs peuvent obtenir une dispense de l’ARC pour être libérés de leur obligation de retenue. Toutefois, ce système de dispense a été critiqué pour son manque d’efficacité, puisque chaque dispense est accordée à l’égard d’un employé en particulier et pour une période déterminée seulement.

Les modifications proposées

Les modifications proposées prévoient que les « employeurs non‑résidents admissibles » seront dispensés de l’obligation de retenue de l’article 102 du Règlement à l’égard des paiements faits à des « employés non‑résidents admissibles ». Un employeur sera un « employeur non‑résident admissible » à un moment donné s’il respecte les exigences suivantes :

  1. s’il ne s’agit pas d’une société de personnes, l’employeur réside dans un pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale. Dans le cas d’un employeur qui est une société de personnes, au moins 90 % du revenu ou de la perte de la société de personnes pour l’exercice incluant le moment du paiement doit être attribué à des personnes résidentes d’un pays parti à une convention fiscale avec le Canada;
  2. l’employeur n’exploite pas une entreprise par l’entremise d’un établissement stable (au sens prévu par le Règlement) au Canada au cours de l’exercice qui comprend le moment du paiement;
  3. l’employeur est certifié par le ministre du Revenu national au moment du paiement. Pour obtenir la certification requise, l’employeur doit présenter au ministre une demande remplie sur le formulaire prescrit et contenant les renseignements prescrits. Le ministre doit être convaincu que les exigences énoncées ci-dessus, de même que toute autre condition qu’il peut établir, sont rencontrées. La certification peut être révoquée si l’employeur ne remplit pas les conditions susmentionnées.

Un employé sera un « employé non‑résident admissible » à l’égard d’un paiement si, à la fois, il réside à ce moment dans un pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale, il est exempté de l’impôt prévu à la partie I de la LIR relativement au paiement par suite de l’application de la convention fiscale, et il n’est pas présent au Canada pour 90 jours ou plus au cours de toute période de 12 mois pendant laquelle le paiement a été reçu.

Même si un employeur non‑résident admissible ne sera plus obligé de retenir une partie de la rémunération payée à un employé non‑résident admissible, il devra continuer à remplir ses obligations en matière de déclaration relativement à ces paiements. Parallèlement, les employés non‑résidents admissibles devront encore obtenir un numéro d’identification-impôt. L’impôt que devra payer l’employé restera le même s’il appert que l’employé n’a pas droit aux avantages prévus par une convention relativement à la rémunération.

Actuellement, un employeur qui omet de retenir des montants qu’il devait retenir sur le paiement de traitements ou de salaires est passible, en application du paragraphe 227(8) de la Loi, d’une pénalité de 10 % du montant qui aurait dû être retenu (ou de 20 % de ce montant si l’omission a été commise sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde). Il se peut qu’un employé perde son statut d’employé non‑résident admissible au moment d’un paiement en raison d’évènements survenant après le paiement, par exemple si, contrevenant à l’exigence concernant la durée du séjour, il passe 90 jours ou plus au Canada. Toutefois, dans les modifications proposées, aucune pénalité ne s’appliquera si l’employeur n’avait aucune raison de croire, au moment d’effectuer le paiement, que l’employé ne remplissait pas les conditions relatives au statut d’employé non‑résident admissible.

La mesure d’allègement énoncée dans les modifications proposées s’appliquera aux paiements effectués après 2015.

Commentaires

Bien que l’article 102 du Règlement impose des obligations en matière de retenue, de remise et de déclaration relativement à la rémunération payée tant par un employeur qui est résident canadien que par un employeur non‑résident à un employé non‑résident pour la prestation de services d’emploi au Canada, seul l’employeur non‑résident admissible pourra se prévaloir de la mesure d’allègement; les employeurs qui sont résidents canadiens n’y seront pas admissibles. Une des explications de cette exclusion est que, à défaut d’une exception de minimis, il n’y a généralement pas d’allègement au titre des conventions fiscales auxquelles le Canada est partie si la rémunération est payée par un employeur qui réside au Canada ou si la rémunération est prise en charge par un établissement stable de l’employeur au Canada.

Le 26 mai 2015, le Comité mixte sur la fiscalité de l’Association du Barreau canadien et des Comptables professionnels agréés du Canada (le Comité mixte) a rendu publique sa soumission au ministère des Finances, dans laquelle elle se réjouit des modifications proposées mais soulève six éléments nécessitant une plus grande clarté et une réflexion additionnelle. Chacun de ces éléments est brièvement exposé ci-dessous.

  • Définition d’« établissement stable » aux fins de l’employeur non‑résident admissible. Les modifications proposées prévoient qu’un employeur non‑résident admissible ne doit pas exploiter une entreprise par l’entremise d’un « établissement stable (au sens prévu par règlement) » au Canada. Le Comité mixte a présumé que la définition dont il est question dans les modifications proposées est celle énoncée au paragraphe 400(2) du Règlement de l’impôt sur le revenu pour l’application de la répartition interprovinciale du revenu d’une entité qui a des activités dans plus d’une province. Or, le terme « établissement stable » est aussi défini dans chacune des conventions fiscales auxquelles le Canada est partie, et sa définition peut différer de celle du paragraphe 400(2) du Règlement. De ce fait, un employeur non‑résident peut être considéré comme ayant un établissement stable au Canada aux termes de la convention fiscale applicable, mais non en vertu du paragraphe 400(2) du Règlement, et cet employeur n’aurait pas droit à l’allègement prévu dans les modifications proposées. Un tel résultat n’est vraisemblablement pas voulu.
  • Conséquences d’un séjour de 90 jours ou plus d’un employé au Canada. Les modifications proposées ne s’appliqueront que si l’employé non‑résident est présent au Canada pour moins de 90 jours au cours de toute période de 12 mois qui comprend le moment du paiement de la rémunération de source canadienne. Le sens voulu de la « période de 12 mois » est incertain et nécessite des éclaircissements (la période de 12 mois est-elle constituée de l’année civile, de l’exercice financier de l’employeur ou de toute période continue de 12 mois?) De plus, il importe de clarifier si le programme de dispense en vigueur sera modifié de façon à s’appliquer aux employés qui dépassent la limite de 90 jours que fixe la mesure proposée.
  • Attestation confirmant que l’employeur n’a pas d’établissement stable au Canada. Les exigences précises auxquelles un employeur devra satisfaire pour obtenir une certification du ministre n’ont pas été dévoilées. Des précisions doivent être apportées en ce qui concerne le degré d’assurance que l’employeur devra fournir et les éventuelles pénalités auxquelles il s’exposera s’il est déterminé plus tard que l’employeur, dans les faits, avait un établissement stable au Canada.
  • Seuils relatifs à l’exception de minimis. La convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, tout particulièrement, comporte une exception de minimis de 10 000 $ par année civile. Cette exception permet à un employé qui est résident américain et qui a droit aux avantages prévus à la convention de ne pas payer d’impôt au Canada sur la rémunération qu’il reçoit pour la prestation au Canada de services d’emploi de moins de 10 000 $, quelle que soit la façon dont l’employeur comptabilise les coûts. Les modifications proposées ne comprennent pas de seuil de minimis, et le Comité mixte recommande que l’on envisage l’établissement de tels seuils.
  • Allègement pour les sociétés à responsabilité limitée (s.r.l.) des États-Unis ou autres entités non admissibles aux avantages de la convention. Les sociétés à responsabilité limitée des États-Unis qui sont des entités non prises en compte aux fins de l’impôt américain ne sont pas résidentes aux fins de la convention. Les employés qui travaillent pour ces entités peuvent néanmoins être admissibles à l’allègement prévu à l’article XV de la convention fiscale entre le Canada et les États-Unis, soit parce que leur rémunération de source canadienne pour l’année est inférieure à 10 000 $, soit parce qu’ils ont été présents au Canada moins de 183 jours au cours d’une période de 12 mois et que leur rémunération n’était pas prise en charge par un établissement stable au Canada. Il importe de clarifier si ces employeurs auront droit de se prévaloir des mesures d’allègement énoncées dans les modifications proposées.
  • Exigences en matière de déclaration. Le Comité mixte souligne dans sa soumission que les modifications proposées ne contiennent aucune disposition pour réviser les exigences en matière de déclaration auxquelles doivent se conformer les employeurs non‑résidents qui ont des activités au Canada, ceux-ci étant astreints à un lourd fardeau administratif. Il serait souhaitable d’envisager de simplifier les exigences qui leur incombent en la matière.

Il sera intéressant de voir quelle réponse le ministère des Finances apportera aux questions soulevées par le Comité mixte; il est à espérer que les modifications proposées contribueront à alléger le fardeau administratif et les coûts d’entreprise liés aux retenues prescrites par l’article 102 du Règlement.

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