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Médias sociaux en milieu de travail : les profils Facebook ne sont pas du domaine privé

Dans une décision récente, la Commission des lésions professionnelles (CLP) conclut que l’information qui se retrouve sur un compte Facebook ne fait pas partie du domaine privé compte tenu de la multitude de personnes qui peuvent avoir accès à cette information.

La décision a été rendue dans le cadre de l’affaire Landry et Provigo Québec inc. dans laquelle une travailleuse a déposé des pages tirées des profils Facebook de ses collègues en preuve à l’appui d’une allégation de harcèlement psychologique. L’employeur s’est objecté à la recevabilité de la preuve au motif qu’elle ne constitue pas l’intégralité des communications échangées, qu’elle constitue du ouï-dire et que la production de cette preuve constitue une atteinte à la vie privée de tiers et par conséquent une atteinte à la Charte des droits et libertés de la personne (Charte). L’employeur a fait valoir que les communications échangées sur la page Facebook d’un tiers font partie du domaine privé et que la production de ces communications en preuve est contraire à la Charte. Il a également fait valoir que le document ne satisfait pas aux exigences de l’article 2855 du Code civil du Québec quant à la présentation d’un élément matériel.

La travailleuse a fait valoir que les documents déposés en preuve sont complets puisque l’on y retrouve les noms et les photos des personnes qui ont rédigé des commentaires, de même que les dates et les heures auxquelles les commentaires ont été affichés sur Facebook. La travailleuse a également soumis que cette preuve ne constituait pas du ouï-dire, car l’employeur pouvait communiquer avec les individus concernés et les faire témoigner.

Selon la CLP, au sens de la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l’information (Loi des TI), Facebook est un document technologique qui a la même valeur juridique que les documents sur support papier ou sur un autre support. La travailleuse n’a produit en preuve que les pages Facebook de ses collègues renfermant des commentaires sur elle. La CLP a conclu que même si toutes les pages contenant des commentaires un jour donné ne sont pas produites, le document n’est pas pour autant incomplet, dans la mesure où les pages produites sont complètes. La CLP a également conclu que conformément à la Loi des TI, le fardeau de la démonstration de la non-intégralité du document appartient à la partie qui en conteste l’admission.

En ce qui a trait à l’argument relatif au ouï-dire, la CLP a conclu que les pages Facebook présentent des garanties suffisantes de fiabilité et que l’employeur a la possibilité de faire témoigner les auteurs des commentaires. La preuve Facebook ne peut donc être déclarée irrecevable au motif qu’il s’agit de ouï-dire.

En ce qui a trait à l’argument d’atteinte à la vie privée, la CLP a expliqué le fonctionnement de Facebook et a indiqué que la travailleuse en avait respecté les principes : l’accès aux commentaires de collègues de travail déposés en preuve est devenu possible lorsque la travailleuse est devenue l’amie d’une personne qui comptait ces collègues de travail dans sa liste d’amis. Ce principe d’interaction des différents utilisateurs est à la base d’un site de réseau social comme Facebook.

La CLP a établi une distinction intéressante, soulignant que chaque commentaire écrit sur Facebook est fait à titre personnel, mais n’a pas un caractère privé.

Une personne qui détient un compte Facebook permet à ses amis et aux amis de ses amis de voir les commentaires qu’elle affiche sur les murs de ses amis. La CLP a indiqué qu’il s’agit là d’une situation qui est loin d’être privée. La CLP a conclu que ce qui se retrouve sur un compte Facebook ne fait pas partie du domaine privé compte tenu de la multitude de personnes qui peuvent avoir accès à ce contenu. Les pages Facebook déposées en preuve ne constituent donc pas une atteinte à la vie privée de tiers.

Cette décision est conforme aux récentes décisions de la Cour supérieure de l’Ontario qui a conclu qu’un utilisateur de Facebook ne peut avoir une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée compte tenu de la multitude de personnes (c.-à-d., le nombre d’amis) qui ont accès à la page d’une personne. Une autre décision rendue en Ontario fait même valoir qu’une partie qui permet un accès limité à son profil Facebook est dans la même situation qu’une personne dont le profil est largement accessible. L’objectif principal de Facebook est de permettre à des personnes de partager de l’information au sujet de leur vie sociale. Permettre à une personne de bénéficier des contrôles de la confidentialité qu’elle établit sur ce genre de site web risque de priver une partie d’accéder à des documents susceptibles de lui garantir un procès équitable.

Reste maintenant à voir si d’autres tribunaux du Québec souscriront à la décision de la CLP.

Conseils à l’intention des employeurs

Les employeurs doivent retenir de cette affaire les points suivants :

  • Les employeurs seraient bien avisés d’aider leurs employés à comprendre la nature publique de leurs communications sur Facebook et d’autres sites Internet de médias sociaux.
  • Les documents technologiques comme Facebook ont la même valeur juridique que les documents sur support papier, et malgré la nature personnelle des communications qui s’y trouvent, ces documents ne sont pas privés et ne bénéficient pas de la protection des droits à la vie privée de tiers.
  • Les politiques de la société en matière de harcèlement et de violence doivent s’appliquer à ce genre de comportement sur des tribunes publiques non traditionnelles, comme les sites Internet de réseaux sociaux.