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Mauvaises nouvelles pour les contribuables agressifs — l’Agence du revenu du Canada l’emporte dans une autre affaire relative à la RGAÉ

Le 16 décembre 2011, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision dans l’affaire Copthorne Holdings Ltd.1 rejetant à l’unanimité l’appel du contribuable. L'article qui suit a fait l'objet d'un bulletin électronique publié le 19 décembre dernier.

Il s’agissait du quatrième appel entendu par la CSC relativement à l’article 245 de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (LIR), une disposition qui de façon générale est connue sous le nom de règle générale anti-évitement (RGAÉ). Cette décision suscitera un intérêt particulier à l’international, car elle porte sur la contestation d’une planification fiscale d’un non-résident du Canada effectuée dans le but de rapatrier des fonds du Canada sans impact fiscal canadien.

La dernière fois que la CSC s’est penchée sur la RGAÉ, il y a deux ans, dans l’affaire Lipson2, les juges étaient étonnamment divisés. Certains ont avancé que le fait qu’il ait fallu 11 mois pour publier la présente décision était attribuable à une division semblable. Ce qui ne s’avère pas être le cas. Ceux qui croyaient assister à un débat radical sur l’avenir de la RGAÉ seront déçus par les motifs du juge Rothstein (pour la Cour), lesquels constituent une analyse bien rédigée conforme au cadre établi au préalable dans l’affaire Trustco Canada3.

Le fait que l’appel a été autorisé par la CSC pourrait bien être le seul aspect remarquable de la décision. Les motifs du juge Rothstein ne diffèrent que légèrement de ceux du juge Ryer pour une formation unanime de la Cour d’appel fédérale, et des motifs de première instance de la juge Campbell. Même si 13 juges se sont entendus sur l’application de la RGAÉ aux termes de ces faits, les motifs du juge Rothstein fournissent certaines précisions utiles à l’égard de la RGAÉ pour l’avenir.

Contexte

Les faits relatifs à l’appel dans l’affaire Copthorne sont complexes. À la base, l’affaire portait sur deux questions : 1) un rachat d’actions faisait-il partie de la même série d’opérations qu’un transfert d’actions antérieur d’une filiale et qu’une fusion « horizontale » ultérieure ayant permis de préserver le « capital versé » (CV) qui aurait été perdu en cas de fusion « verticale » de la filiale avec sa société mère? Et 2) le cas échéant, est-ce que la préservation du CV grâce à la mise en œuvre d’une fusion horizontale plutôt que d’une fusion verticale a donné lieu à un avantage fiscal abusif visé par la RGAÉ? En bref, le CV constitue un montant pouvant généralement être distribué par une société à ses actionnaires sans donner lieu à un dividende réputé. Dans le cas d’un actionnaire non résident, comme dans l’affaire Copthorne, un dividende réputé serait assujetti à une retenue d’impôt s’appliquant aux non-résidents du Canada. Par conséquent, une préservation réussie du CV éliminerait l’impôt canadien sur le rapatriement de fonds à l’étranger jusqu’à concurrence d’un montant égal à ce CV.

Les opérations clés peuvent être résumées de la façon suivante :

  1. La famille Li a incorporé Investments au Canada en 1989. La famille a réalisé d’importantes injections de capitaux propres de sorte que, à la fin de 1991, le CV des actions d’Investments s’élevait à environ 97 millions de dollars.
  2. Investments a affecté les fonds à la capitalisation d’une filiale canadienne, Holdings. Le CV des actions de Holdings s’élevait à environ 67 millions de dollars à la fin de 1991. Holdings a réalisé un placement d’actions avec les fonds, qui a par la suite chuté à une valeur nominale.
  3. Copthorne I était une filiale canadienne en propriété exclusive d’une société des Pays-Bas appartenant indirectement à la famille Li. Le CV de ses actions émises était de 1 $ lorsqu’elle a été établie en 1981.
  4. En 1992, Investments a vendu Holdings à Copthorne I pour 1 000 $, soit sa valeur à ce moment, dans le cadre d’une stratégie d’utilisation des pertes.
  5. En 1993, la famille Li a décidé de fusionner Holdings, Copthorne I et deux autres sociétés afin de simplifier la structure du groupe de sociétés et de regrouper les revenus et les pertes des sociétés fusionnées. Si la fusion de Holdings et de Copthorne avait été réalisée par voie d’une fusion verticale de Copthorne, la société mère, avec Holdings, sa filiale, le CV de la société fusionnée aurait été égal au CV de Copthorne (c.-à-d. 1 $) en raison de l’application du paragraphe 87(3) de la LIR. Holdings a plutôt été vendue à la société mère de Copthorne I aux Pays-Bas pour 1 000 $ (vente de 1993).
  6. Holdings et Copthorne, qui étaient alors des sociétés « sœurs », ont fusionné afin de former Copthorne II et le CV de Copthorne II a été établi par l’addition des CV des sociétés fusionnées, y compris le CV de 67 millions de dollars de Holdings (fusion de 1994).
  7. La vente de 1993 et la fusion de 1994 faisaient partie d’une série d’opérations (série de 1993) visant à appliquer les pertes en capital à l’encontre des gains en capital réalisés au sein du groupe de sociétés canadiennes de la famille Li.
  8. En 1995, une série de restructurations supplémentaires (série de 1995) a été réalisée par la famille Li afin d’éviter les incidences négatives des modifications apportées au régime du revenu étranger accumulé, tiré de biens sur ses investissements.
  9. L’une des étapes préalables de la série de 1995 consistait en l’acquisition par une société liée de la Barbade de la totalité des actions de Copthorne II et d’Investments auprès de leur société mère des Pays-Bas. Les gains en capital résultant de cette vente n’étaient pas imposables au Canada en vertu de la Convention fiscale entre le Canada et le Royaume des Pays-Bas.
  10. En date du 1er janvier 1995, Copthorne II a fusionné avec Investments, sa société sœur, et deux autres sociétés par actions du Canada, afin de former Copthorne III. Par conséquent, la société par actions de la Barbade a reçu les actions de Copthorne III qui avaient un CV combiné de 164 millions de dollars, ce qui représente essentiellement le CV total des actions d’Investments, de Holdings et de Copthorne I.
  11. Immédiatement après la fusion, Copthorne III a racheté certaines de ses actions dont le CV s’élevait à 142 millions de dollars qui étaient détenues par une société liée de la Barbade moyennant le paiement de la somme de 142 millions de dollars. Si le CV des actions n’avait pas été égal à leur montant de rachat, cela aurait donné lieu à un dividende réputé jusqu’à concurrence de tout manque à gagner du CV, lequel aurait été assujetti à une retenue d’impôt de 25 %, réduite à 15 % aux termes de l’accord fiscal entre le Canada et la Barbade.

Le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l’égard de Copthorne en appliquant la RGAÉ afin de refuser la conservation du CV des actions de Holdings grâce aux fusions ultérieures. Le ministre a appliqué la RGAÉ en se fondant sur le fait que la vente de 1993 constituait une opération d’évitement abusive et que le CV des actions de Holdings aurait dû être réduit à néant lors de sa fusion avec sa société mère (antérieure), Copthorne I. Le CV ainsi réduit aurait entraîné un dividende réputé d’un montant de 58 millions de dollars lors du rachat de ses actions par Copthorne III. 

La décision de la CSC

Série d’opérations : Il est (encore) correct de jeter un regard vers le passé

Le paragraphe 248(10) de la LIR prévoit que, lorsque l’on renvoie à une série d’opérations ou d’événements, la série est réputée comprendre « des opérations et événements liés terminés en vue de réaliser la série ».

Dans ce qui pourrait constituer la partie la plus intéressante des motifs du jugement, la CSC a établi une fois pour toutes que le paragraphe 248(10) permet le rattachement prospectif (c.-à-d., vers le futur) ou rétrospectif (c.-à-d., vers le passé) entre une opération et une série au sens de la common law. Le juge Rothstein a clairement indiqué que la même décision avait été rendue dans l’affaire Trustco Canada et qu’il n’y avait aucune raison pour que la Cour infirme sa propre décision rendue récemment.

Une autre précision a été faite concernant les critères de base à rencontrer afin qu’une opération soit liée à une série. En première instance, la juge Campbell a appliqué le raisonnement tiré de l’affaire MIL Investments4 afin de chercher et de trouver un « lien étroit » entre le rachat d’actions par Copthorne III et la série de 1993. Le juge Rothstein a clarifié que le critère de l’opération liée effectuée « en raison de » la série ou « relativement à » celle-ci n’exige pas de « lien étroit », mais requiert tout de même plus qu’une « simple possibilité » ou qu’un lien d’« un degré d’éloignement extrême ». Le temps écoulé entre la série et l’opération liée pourrait être un facteur pertinent et servir de ligne directrice.

La CSC a convenu que la juge de première instance n’avait pas commis d’erreur manifeste et dominante en établissant que la série de 1993 et la série de 1995 (y compris le rachat d’actions) étaient suffisamment liées.

La RGAÉ

Ayant établi que chaque opération dans le cadre de la série de 1993 et de la série de 1995 faisait partie d’une série d’opérations, la prochaine question constituait à déterminer si la RGAÉ s’appliquait.

La RGAÉ prévoit que, si une opération constitue une « opération d’évitement », les attributs fiscaux seront établis de façon raisonnable dans les circonstances afin de supprimer un « avantage fiscal » qui aurait par ailleurs découlé de l’opération ou de la série d’opérations dont elle fait partie.

Toutefois, la RGAÉ ne peut être appliquée que s’il peut être raisonnablement considéré que l’opération d’évitement i) entraînerait, si la LIR était lue sans tenir compte de la RGAÉ, un abus, entre autres, des dispositions de la LIR ou des Règlements ou d’une convention fiscale; ou ii) entraînerait, directement ou indirectement, un abus dans l’application de ces dispositions, compte non tenu de la RGAÉ, lues dans leur ensemble.

i) Avantage fiscal

Tout comme dans l’affaire Trustco Canada, le juge Rothstein a souligné l’important fardeau de la preuve qui incombe aux contribuables afin de réfuter la thèse du ministre qu’il y a avantage fiscal. Un grand respect a été accordé à la juge de première instance, car la conclusion de faits selon laquelle il existe un avantage fiscal ne peut être infirmée que lorsque l’on prouve qu’il y a eu une erreur manifeste et dominante.

Un avantage fiscal peut être établi en effectuant une comparaison entre la situation du contribuable à celle qu’aurait produit un autre mécanisme. En l’espèce, la CSC a conclu que la juge de première instance n’a commis aucune erreur en comparant la vente de 1993 et la fusion de 1994 avec la « solution la plus simple » étant la fusion verticale de Holdings avec sa société mère, Copthorne I. L’avantage fiscal correspondait à la différence entre le rachat d’actions étant libre d’impôt plutôt que de donner lieu à un dividende réputé d’un montant de 58 millions de dollars.

ii) Opération d’évitement

Le contribuable a fait valoir que le but réel de la série de 1993 n’était pas d’obtenir un avantage fiscal, mais de simplifier la structure de la société et de mettre en œuvre une stratégie d’utilisation des pertes. Toutefois, la CSC a conclu qu’il n’y avait eu aucune erreur dans les conclusions de la juge de première instance, selon lesquelles la vente de 1993 visant à faire en sorte que Holdings soit une société sœur de Copthorne I plutôt qu’une filiale n’était pas nécessaire afin d’atteindre les buts visés. L’ajout de la vente de 1993 n’a été réalisé qu’afin de préserver le CV de 67 millions de dollars et, par conséquent, constituait une opération d’évitement faisant partie d’une série d’opérations ayant généré un avantage fiscal.

iii) Opération abusive

La RGAÉ est une mesure de dernier recours et, avant qu’elle ne soit appliquée afin de refuser un avantage fiscal, une cour doit se livrer à une analyse objective, approfondie, point par point. Après avoir résumé les faits de façon concise et avoir réalisé son analyse quant à l’existence d’un avantage fiscal et d’une opération d’évitement, le juge Rothstein s’est concentré sur la question visant à déterminer s’il y avait eu une opération abusive. La majorité de ses longs motifs fournissent un modèle quant au type d’analyse détaillée auquel on s’attend dans le cadre d’un pourvoi lié à la RGAÉ.

L’analyse est ponctuée d’un certain nombre de précisions. Les intervenants se réjouiront sans aucun doute de l’affirmation obligatoire voulant que Duke of Westminster5 soit toujours applicable, et de la phrase mémorable que la « réprobation morale » de la planification fiscale créative est inappropriée. On reconnaît qu’il n’existe aucun principe général allant à l’encontre des réorganisations de société et que les réorganisations motivées par l’aspect fiscal ne seront assujetties à la RGAÉ que lorsque l’on conclut qu’il y a abus. La question souvent posée afin de déterminer s’il y a une différence entre les termes utilisés dans la version anglaise de la LIR, soit « misuse » ou « abuse » obtient irréfutablement une réponse négative.

Tel qu’il est indiqué ci-dessus, la RGAÉ ne s’appliquera que si une opération entraîne un abus d’une disposition en particulier de la LIR. L’objet ou l’esprit d’une disposition en particulier de la LIR doit être déterminé en appliquant la même approche interprétative employée dans toutes les questions d’interprétation législative, à savoir une méthode « textuelle, contextuelle et téléologique unifiée ». Le juge Rothstein a indiqué que bien que la méthode d’interprétation soit la même dans toute interprétation législative, l’analyse de la RGAÉ vise à dégager un aspect différent de la LIR. Dans un cas classique, la Cour applique l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique pour établir le sens du texte de la LIR. Dans le cas de la RGAÉ, l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique vise à établir l’objet ou l’esprit d’une disposition. Il précise que le sens des mots employés dans la LIR peut être suffisamment clair, mais que la raison d’être de la disposition peut ne pas ressortir de la seule signification des mots eux-mêmes. Cependant, la détermination de la raison d’être des dispositions applicables d’une loi telle que la LIR ne devrait pas être confondue « avec le jugement de valeur quant à ce qui est bien ou mal non plus qu’avec les conjectures sur ce qui devrait être une loi fiscale ou sur l’effet qu’elle devrait avoir ».

Le juge rappelle que la RGAÉ ne doit être invoquée que lorsque le ministre concède que les mots utilisés dans la LIR ne couvrent pas les opérations en question. Par conséquent, si l’analyse de la Cour devait uniquement se concentrer sur le texte de la LIR, la RGAÉ deviendrait obsolète.

En regardant au-delà du texte afin de trouver la politique sous-jacente du paragraphe 87(3) de la LIR, le juge Rothstein s’est reporté à certaines sources secondaires examinées dans l’affaire Trustco Canada, mais a finalement établi la politique par l’intermédiaire de l’analyse des dispositions en question. En effet, plutôt que de tenir une discussion théorique visant à déterminer si l’impôt a été minimisé de façon incorrecte pour les fins du régime de CV en général, l’accent a été mis sur le fait de déterminer si l’utilisation du paragraphe 87(3) constituait un abus dans le présent cas. En démontant que la série de 1993, y compris la vente de 1993, visait à contourner le paragraphe 87(3) en transformant une fusion verticale en une fusion horizontale, il était évident pour le juge Rothstein qu’une intention législative de réduire le CV avait été contrecarrée.

À l’avenir, les contribuables peuvent s’attendre à ce que les futurs appels relatifs à la RGAÉ soient axés de la même façon sur les dispositions spécifiques de la LIR, des Règlements ou d’une convention fiscale. On pourrait croire que les motifs unanimes de 13 juges distincts ayant examiné l’appel dans l’affaire Copthorne peuvent signaler que finalement, comme l’indique l’affaire Trustco Canada, les objectifs de prévisibilité et d’uniformité dans l’analyse de l’application de la RGAÉ sont possibles.


1 2011 CSC 63.

2 2009 CSC 1.

3 2005 CSC 54.

4 2006 CCI 460.

5 [1936] A.C. 1.

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