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Loi sur Investissement Canada : Le ministre de l’Industrie bloque l’acquisition d’Allstream par Accelero Capital Holdings pour des motifs de sécurité nationale

Le 7 octobre 2013, le ministre de l’Industrie, M. James Moore, a bloqué l’acquisition proposée au coût de 520 millions $ de la division Allstream de Manitoba Telecom Services Inc. (Allstream) par Accelero Capital Holdings (Accelero).

Accelero avait demandé l’approbation du ministre conformément à la Loi sur Investissement Canada (LIC), laquelle prévoit que, lorsqu’un non-canadien (comme Accelero) se propose d’acquérir le contrôle d’une entreprise canadienne importante (comme Allstream), le non-Canadien doit déposer une demande d’examen auprès du ministre de l’Industrie. L’opération a été examinée aux termes des dispositions relatives à l’avantage net et à la sécurité nationale de la LIC.

Dans un communiqué de presse, le ministre Moore a déclaré qu’à la suite de l’examen relatif à la sécurité nationale, l’acquisition proposée d’Allstream par Accelero ne serait pas autorisée. Le ministre Moore a fait la simple déclaration suivante comme motif du refus :

« MTS Allstream exploite un réseau national de fibre optique qui fournit des services de télécommunications essentiels aux entreprises et aux gouvernements, y compris le gouvernement du Canada. »

Premier refus connu en vertu du régime relatif à la sécurité nationale de la LIC

Il s’agit du premier refus connu d’une opération en vertu du régime d’examen relatif à la sécurité nationale de la LIC, lequel régime a été introduit en 20091.

D’après notre expérience, la portée d’un examen relatif à la sécurité nationale peut être très large. Il est également important de rappeler qu’un examen relatif à la sécurité nationale peut s’appliquer à une opération (quelle qu’en soit la taille, et même rétroactivement) si le contrôle ultime de l’acheteur est détenu à l’extérieur du Canada. Un examen peut être entrepris à l’égard de l’acquisition d’une participation majoritaire ou minoritaire dans une entreprise existante ou le démarrage d’une nouvelle entreprise.

Les critères d’évaluation d’une opération en particulier sont plutôt vagues : le gouvernement n’a qu’à être convaincu qu’il a « des motifs raisonnables de croire que l’investissement [par un non-Canadien] pourrait porter atteinte à la sécurité nationale ». Les expressions « porter atteinte » et « sécurité nationale » de sont pas définies. De plus, les recours sont très larges. Le gouvernement peut bloquer une opération en instance ou en permettre la réalisation sous réserve de conditions. Il peut également ordonner des cessions à l’égard d’opérations déjà réalisées.

Le ministre peut demander de l’information du non-Canadien ou de toute autre personne visée. L’investisseur aura également la possibilité de présenter des observations au ministre. Le ministre prend en considération l’information qui lui est présentée, consulte le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et d’autres agences et envoie ensuite un rapport au gouverneur en conseil (c’est-à-dire le cabinet fédéral) avec des recommandations. Le cabinet prend ensuite une décision et un décret qui peut bloquer l’investissement, autoriser l’investissement à des conditions ou exiger la cession (dans le cas d’un investissement déjà réalisé).

Au cours des dernières années, le ministre de l’Industrie a fait preuve de plus en plus de rigueur quant à l’application de la LIC, comme en fait foi l’augmentation de la durée des examens et l’échelle et la protée des engagements écrits que les investisseurs étrangers sont tenus de donner au ministre pour obtenir l’approbation. La LIC fait également l’objet de modifications qui resserrent les règles relatives aux investissements effectués par des entreprises d’État2.

Motif du refus de l’acquisition d’Allstream

À la lecture du communiqué de presse de MTS Allstream, il est évident que l’entreprise a été prise au dépourvu par la décision du gouvernement. Elle a été « extrêmement surprise » par le rejet en raison « d’inquiétudes non précisées liées à la sécurité nationale3 », y compris l’offre des parties de prendre « toutes les mesures nécessaires » pour dissiper les inquiétudes du gouvernement. MTS Allstream a de plus déclaré :

Lorsqu’elle a décidé d’aller de l’avant avec cette transaction, MTS Allstream a été fortement influencée par le fait que les dirigeants d’Accelero forment un groupe de gestionnaires réputés et chevronnés qui a déjà reçu auparavant l’autorisation d’investir dans des actifs de télécommunications et d’exploiter des entreprises dans plusieurs pays, dont le Canada (par l’intermédiaire de Wind Canada) et plusieurs de ses partenaires commerciaux. Soulignons que ce même groupe de dirigeants a été à la source d’investissements d’environ un milliard de dollars dans le secteur canadien des télécommunications, à commencer par les enchères du spectre réservé aux services sans fil évolués de 2008. Le soutien actif que le gouvernement fédéral a apporté par le passé aux dirigeants d’Accelero a joué un rôle important dans la décision de MTS Allstream de vendre à Accelero à la fin du processus d’examen stratégique de la société. La société a aussi été fortement influencée par le fait que la transaction projetée cadrait parfaitement avec les récents changements apportés à la politique fédérale en vue d’augmenter les investissements étrangers directs dans le secteur canadien des télécommunications.

L’examen des demandes en vertu de la LIC se fait conformément à des dispositions très rigoureuses en matière de confidentialité. À part la déclaration du ministre voulant que « MTS Allstream exploite un réseau national de fibre optique qui fournit des services de télécommunications essentiels aux entreprises et aux gouvernements », on ne peut que spéculer quant aux raisons du rejet de l’opération. Par ailleurs, la nature de l’examen effectué dans le présent cas – la sécurité nationale – ne vient qu’ajouter une couche d’opacité. Il se peut que seules les personnes détenant des autorisations en matière de sécurité nationale aient accès aux précisions concernant les inquiétudes du gouvernement relativement à la sécurité nationale.

Qu’en est-il des investissements futurs?

Les investisseurs étrangers futurs voudront savoir, avant de proposer une opération, quelle est la politique du ministre à l’égard de l’application des considérations relatives à la sécurité nationale. Il faudrait idéalement faire preuve de clarté, de transparence et de prévisibilité à l’égard de ces questions. Malheureusement, sauf ce que l’on peut déduire du communiqué de presse du ministre à l’égard d’Accelero/Allstream et des informations de presse entourant le rejet par le ministre en 2008 de l’acquisition de MDA par Alliant Techsystems4, on ne dispose que de peu de directives du gouvernement canadien quant au type d’opérations qui sont davantage susceptibles d’attirer l’attention en matière de sécurité nationale.

Le rejet de l’acquisition proposée par Accelero fait ressortir l’importance du repérage précoce et de la gestion minutieuse des questions sensibles. En rendant cette décision, le gouvernement du Canada montre qu’il se prévaudra des pouvoirs qu’il détient en vertu de la LIC pour rejeter des investissements étrangers en invoquant des inquiétudes relatives à la sécurité nationale. Maintenant plus que jamais, avant de présenter une opération qui soulève de telles questions de sensibilité au ministre à des fins d’approbation, les investisseurs et leurs conseillers devront impérativement évaluer avec soin s’il existe une base suffisante justifiant que le ministre en vienne à une conclusion positive. Même si elle a été négligée dans le passé, l’importance de la sécurité nationale représente un aspect d’une opération qui ne peut plus être sous-estimée.


1 En 2008, l’acquisition de MDA par Alliant Techsystems a été rejetée au motif qu’elle ne respectait pas le critère de « l’avantage net du Canada ». Toutefois, selon les informations de presse publiées à l’époque, le désir d’Alliant Techsystems d’acheter l’entreprise d’imagerie satellitaire et spatiale de MDA avait déclenché une vive opposition en raison des craintes de perdre le contrôle canadien sur ce qui était perçu comme un élément clé de la technologie spatiale canadienne. À cet égard, il semble que le principal motif du refus du gouvernement était lié à des inquiétudes relatives à la sécurité nationale du Canada.
2 Voir Projet de modifications de la Loi sur Investissement Canada : les entreprises d’État dans le collimateur, publié le 8 mai 2013.
3 Voir le communiqué de presse de MTS AllStream, (en anglais seulement) publié le 7 octobre 2013.
4 Voir la note 1.

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