Passer au contenu directement.

Les limites des limitations contractuelles de responsabilité — Partie I

Sur Internet, les clavardeurs utilisent souvent l’expression « LOL » (c.-à-d., « laugh out loud ») plutôt que d’utiliser l’expression « c’est à rire aux éclats », mais dans le domaine des contrats, il n’y a pas de quoi rire d’une clause « LOL » (c.-à-d., « Limitation of Liability », soit limitation de responsabilité).

Bien que la clause de « limitation de responsabilité » puisse figurer dans bon nombre d’autres accords commerciaux, elle est d’une importance décisive dans tout contrat relatif à l’acquisition de produits ou services liés à la technologie. C’est pourquoi plusieurs décisions récentes examinées ci-dessous (et dans le prochain numéro) qui abordent des questions de limitation de responsabilité contractuelle intéresseront particulièrement les entreprises qui vendent ou achètent des produits et services technologiques.

Clauses de limitation de responsabilité liées à la technologie

Il est extrêmement rare que le fournisseur de matériel, de logiciel et de services de TI ne limite pas sa responsabilité dans le contrat qui intervient entre lui et le client. Malgré qu’il soit difficile de généraliser, la plupart des stipulations de limitation de responsabilité ressemblent plus ou moins à ce qui suit : les dommages « directs » sont limités à un pourcentage défini des produits d’exploitation payés par le client au fournisseur; les dommages « indirects et accessoires » sont généralement exclus et ces deux types de limitation comportent quelques exceptions.

Dans la plupart des cas, il est normal qu’un fournisseur veuille limiter sa responsabilité. Par exemple, si un fournisseur vend à un client un ordinateur portatif d’une valeur de 1 500 $, et que le client utilise cet équipement comme dispositif principal de gestion dans une centrale nucléaire, il est normal qu’en contrepartie des 1 500 $ en revenu, le fournisseur ne souhaite pas assumer l’énorme responsabilité qui pourrait survenir si l’ordinateur ne fonctionnait pas convenablement.

De plus, en limitant sa responsabilité dans un tel scénario, le fournisseur indique au client qu’il devrait prendre les mesures appropriées pour « diminuer les risques » inhérents à la situation autant que possible, que ce soit en achetant plus d’une unité du matériel pour veiller à ce qu’une sauvegarde suffisante soit intégrée dans la conception du système de commande, en introduisant d’autres mécanismes de sauvegarde ou en souscrivant à une assurance appropriée et suffisante pour couvrir les risques de défaillance de l’équipement.

Clauses de limitation de responsabilité non liée à la technologie

La pratique des fournisseurs de produits et services visant à limiter leur responsabilité de façon contractuelle s’est répandue à certains secteurs non liés au TI. Par exemple, dans un arrêt clé de la Cour d’appel d’Ontario, le fournisseur d’un service de surveillance de systèmes de télésécurité déclarait dans son contrat d’abonnement destiné au client que peu importe ses manquements dans l’exécution du contrat, le client ne pouvait recouvrer les dommages d’un montant supérieur à 12 mois de frais d’abonnement. Bien que le tribunal de première instance ait refusé de reconnaître la clause de limitation de responsabilité (et ait accordé des dommages-intérêts de 50 000 $ à la partie demanderesse, une bijouterie ayant été dévalisée en raison de la négligence du fournisseur de service de sécurité), la Cour d’appel de l’Ontario a infirmé la décision de première instance et reconnu la validité de la clause qui réduisait l’indemnisation du client à 890 $ (soit les frais de services pour un an).

Dans une décision de la Cour suprême du Canada (CSC) qui était, jusqu’à récemment, l’arrêt clé sur les clauses contractuelles de limitation de responsabilité, un fournisseur de système d’engrenage servant à actionner de gros convoyeurs à courroie transportant des sables bitumineux en Alberta avait inclus une stipulation de limitation de responsabilité dans son contrat de vente. Là encore, la validité de la clause (en l’espèce, une exclusion de garantie) a été confirmée comme protégeant le fournisseur lorsque le matériel s’est révélé défectueux. En bref, lorsque le produit ou service soulève des risques juridiques précis pour le client, les fournisseurs sont très enclins à limiter leur responsabilité de façon contractuelle.

Enseignements récents de la Cour suprême

La CSC a récemment abordé de nouveau l’importante question de l’opposabilité de ce type de clause. Dans l’affaire Tercon, la CSC a confirmé la possibilité pour des cocontractants de convenir d’une clause de limitation de leur responsabilité respective dans le cas où l’activité faisant l’objet du contrat pourrait donner lieu à un recours en dommages-intérêts.

Dans la décision Tercon, cette approche de l’application des stipulations de limitation de responsabilité a toutefois été assortie de trois exceptions très importantes.

Clauses équivoques de limitation de responsabilité

En premier lieu, il est nécessaire que le libellé de la clause de limitation de la responsabilité soit clair et que cette clause s’applique sans équivoque au scénario de responsabilité en cause. Dans le même ordre d’idées, si le tribunal juge que la clause de limitation de responsabilité est ambiguë, il pourrait refuser de la faire appliquer.

À cette étape, il est nécessaire de se rappeler que le créancier pourrait décider, en fonction de la nature de la faute, d’intenter un recours en responsabililté contractuelle ou un recours en responsabilité extracontractuelle. Néanmoins, la CSC a trouvé, il y a plusieurs années, que lorsqu’elle est convenablement rédigée, la clause de limitation de responsabilité peut servir à limiter la responsabilité du fournisseur non seulement en cas de violation du contrat, mais également à l’égard d’une réclamation en responsabilité civile extracontractuelle.

Clauses abusives de limitation de responsabilité

Dans l’affaire Tercon, la Cour a également conclu qu’une clause de limitation de responsabilité pouvait être jugée invalide si elle était abusive au moment de la formation du contrat. Ce deuxième motif permettant d’invalider des clauses de ce type tourne généralement autour de la question de l’inégalité du pouvoir de négociation entre les parties respectives au moment de la formation du contrat.

Dans la plupart des cas impliquant deux personnes morales ou plus, chacune dotée d’une direction professionnelle, et habituellement représentée par des conseillers juridiques, il serait difficile de contester la validité de la clause de limitation de responsabilité pour des motifs d’iniquité. Il s’agirait toutefois d’une autre histoire dans le contexte d’un contrat de consommation, où les entreprises présentent habituellement des contrats d’adhésion, notamment dans les contrats « d’achat au clic » conclus sur Internet. Lorsque ces contrats conclus virtuellement comportent des clauses de limitation de responsabilité, elle courrent un risque réel d’être déclarées inopposables, particulièrement si elles sont rédigées de manière outrancière et difficile à comprendre. Au Canada, au cours des dernières années, plusieurs entreprises ont été surprises (et atterrées) de constater que la stipulation de limitation de responsabilité dans leur contrat type en ligne avait été déclaré invalide par un juge.

La leçon à tirer de ces décisions est que les clauses de limitation de responsabilité, notamment dans le contexte de la consommation, doivent être rédigées de façon très soignée et impartiale. Les entreprises canadiennes auraient avantage à adopter une clause modérée qui sert à protéger adéquatement les fournisseurs tout en offrant à l’utilisateur certains recours.

La belle mort de l’inexécution fondamentale

Il existe un troisième motif permettant à un tribunal de déclarer inopposable une clause de limitation de responsabilité. Cette approche reposait traditionnellement sur le principe de l’« inexécution fondamentale », à savoir, un défaut d’exécution du fournisseur si fondamental qu’il se trouvait au cœur du marché intervenu entre les parties. Dans ce cas, un tribunal pouvait choisir de refuser au fournisseur l’opportunité de profiter de la protection conférée par la clause de limitation de responsabilité.

Dans l’arrêt Tercon, la CSC prononce la mort du principe de l’inexécution fondamentale : « Nous devrions saisir l’occasion […] d’éliminer le jargon associé à l’inexécution fondamentale » [notre traduction]. La CSC indique cependant que les tribunaux peuvent toujours refuser de faire respecter une clause de limitation de responsabilité sur la base d’une considération d’ordre public prépondérante. La CSC précise également que des comportements se rapprochant « de l’acte criminel grave ou de la fraude monumentale » ne sont que des exemples de cas où un tribunal pourrait déroger au principe général de la liberté contractuelle et refuser à une partie le droit de se retrancher derrière la protection de sa clause de limitation de responsabilité.

Un exemple cité par la CSC mettait en évidence une situation dans laquelle un fournisseur avait sciemment vendu des produits défectueux à ses clients. La stratégie du fournisseur consistait à se fier à la protection apparente qu’offrait une clause de limitation de responsabilité dans les contrats conclus avec ses clients pour empêcher toute réclamation en responsabilité du manufacturier. Dans cette décision, la Cour avait refusé de permettre au fournisseur de se prévaloir de la clause de limitation de responsabilité. La CSC a en effet spécifié qu’il s’agissait là d’un bon exemple d’une situation où les tribunaux, afin de protéger l’intérêt public, devraient refuser d’appliquer une clause de limitation de responsabilité.

La principale leçon à tirer de l’arrêt Tercon est claire : ces stipulations visant à limiter la responsabilité peuvent servir de pierre angulaire à la structure d’un contrat entre deux parties (particulièrement pour une entreprise chargée de fournir des produits et services qui peuvent être intrinsèquement dangereux) néanmoins, afin de s’assurer qu’elles demeurent valides celles-ci doivent être négociées et rédigées avec soin. Il est également bon de se rappeler que ces clauses ne seront pas salvatrices pour la partie défaillante dans tous les cas.

Dans la continuité de celui-ci, le prochain numéro portera sur deux causes qui illustrent d’autres limites des stipulations de limitation de responsabilité.