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Le premier procès en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers du Canada donne lieu à une déclaration de culpabilité

Le 15 août 2013, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a déclaré l’ancien dirigeant d’entreprise Nazir Karigar coupable d’avoir convenu avec des tiers d’offrir des pots-de-vin à des agents publics étrangers, ce qui constitue une infraction en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE).

Karigar a été condamné pour son rôle de premier plan dans un complot visant à corrompre le ministre de l’aviation civile de l’Inde et certains agents d’Air India pour s’assurer que Cryptometrics Canada se verrait octroyer par Air India un contrat d’approvisionnement en logiciel de reconnaissance faciale. Il attend le prononcé de sa peine et pourrait être condamné à un emprisonnement d’une durée maximale de cinq ans.

Il s’agit d’une décision importante1 pour plusieurs raisons. Premièrement, bien qu’il y ait déjà eu trois poursuites en vertu de la LCAPE, cette affaire est la première à faire l’objet d’un procès. Les autres affaires ont toutes deux été réglées par voie de plaidoyer de culpabilité. Deuxièmement, Karigar est le premier particulier, par opposition à une société, à être poursuivi en vertu de la Loi. Troisièmement, dans toutes les affaires antérieures, des avantages financiers avaient été offerts à des agents publics étrangers. Dans cette affaire, bien que la Cour ait conclu que Karigar avait comploté pour offrir des avantages financiers à des agents étrangers, il n’y avait aucune preuve ni aveu qu’ils avaient été réellement accordés.

Application de la LCAPE

La LCAPE est entrée en vigueur en 1999, mais il n’y a eu qu’une seule condamnation en vertu de la Loi entre 1999 et 2007. Son application est devenue une priorité au cours des dernières années, alors que le Canada a fait l’objet de pressions importantes de la part de la communauté internationale pour démontrer son engagement à mettre en œuvre ses lois anticorruption. En 2008, le Canada a établi une unité anticorruption internationale dans le cadre du Programme des infractions commerciale de la GRC. L’unité est composée de deux équipes, l’une à Ottawa et l’autre à Calgary, et se consacre aux enquêtes anticorruption, ce qui comprend l’application de la LCAPE. Tel que mentionné ci-dessus, depuis la création de l’unité anticorruption, outre l’affaire Karigar, il y a eu deux poursuites en vertu de la Loi. Par ailleurs, la GRC a mené de nombreuses enquêtes relatives à des violations de la LCAPE depuis 2008. Il y a actuellement au moins deux procès à venir en vertu de la Loi et il y aurait plus de 35 enquêtes en cours.

L’affaire

Les faits

Les accusations portées contre Karigar découlent de sa conduite en qualité d’agent payé de Cryptometrics Canada, société du secteur de la sécurité établie à Ottawa. En juin 2005, Karigar a communiqué avec Cryptometrics Canada, déclarant qu’il avait de bonnes relations avec Air India et qu’il savait que le transporteur aérien envisageait d’acquérir la technologie qui lui permettrait de s’attaquer au problème de la sécurité du transport aérien. Se posait alors la question de savoir si la technologie de reconnaissance faciale de Cryptometrics Canada était susceptible de régler les problèmes du transporteur aérien. En septembre 2005, Karigar et Cryptometrics Canada ont décidé que Karigar et son adjoint aideraient Cryptometrics Canada à obtenir le contrat d’approvisionnement en technologie de reconnaissance faciale auprès d’Air India en contrepartie de 30 % des flux de revenu en vertu du contrat. Après que cet accord ait été conclu, Karigar a commencé à présenter des cadres de Cryptometrics Canada à des hauts dirigeants d’Air India, en plus de leur fournir des renseignements au sujet des besoins d’Air India et des renseignements privilégiés au sujet de l’appel d’offres.

En février 2006, Air India a publié sa demande de proposition (DP) officielle pour l’approvisionnement en système de sécurité par reconnaissance faciale. Karigar et Cryptometrics Canada ont collaboré à une proposition en vertu de la DP et, au cours d’une réunion entre les parties, l’adjoint de Karigar a déclaré qu’il fallait verser des pots-de-vin aux fonctionnaires indiens pour obtenir le contrat. Karigar a alors remis à Cryptometrics Canada un tableau de ventilation dressant la liste des fonctionnaires auxquels il fallait verser des pots-de-vin, ainsi que le montant de ces pots-de-vin. Étant donné que la proposition avait été élaborée par Cryptometrics Canada, Karigar a continué de fournir des renseignements privilégiés aux dirigeants de la société. Il a également conseillé à la société d’élaborer une deuxième proposition, laquelle devait être présentée sous la dénomination d’une société différente à un prix beaucoup plus élevé, afin de créer une fausse concurrence.

En juin 2006, Cryptometrics U.S.A., la société mère de Cryptometrics Canada, a transféré 200 000 $ US à Karigar, somme qui devait sans doute servir à corrompre un haut dirigeant d’Air India. En mars 2007, une somme supplémentaire de 250 000 $ US a été transférée à Karigar pour obtenir le contrat d’Air India.

Finalement, le contrat d’approvisionnement n’a pas été attribué à Cryptometrics Canada. La Cour a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de ce qui était advenu des 450 000 $ US transférés à Karigar et que, par conséquent, il n’y avait aucune preuve à l’effet qu’un pot-de-vin avait été réellement offert ou versé à un agent public étranger au sens de la Loi. Toutefois, la Cour a conclu que Karigar avait convenu avec des tiers d’offrir des pots-de-vin à des agents publics étrangers et était donc coupable d’un acte criminel en vertu de l’alinéa 3(1)b) de la LCAPE.

Les questions clés

Définition d’agent public étranger – Puisque Air India est une société détenue en propriété et contrôlée par le gouvernement indien, les personnes ciblées par Karigar et ses complices ont été considérées par la Cour comme étant des agents publics étrangers au sens de la LCAPE. Cette décision envoie donc un signal aux sociétés canadiennes à l’effet que la portée de la définition d’« agent public étranger » est large et comprend non seulement les employés et représentants du gouvernement, mais aussi les employés et représentants de sociétés détenues en propriété par l’État ou contrôlées par l’État.

Compétence territoriale – Karigar a été condamné aux termes de l’ancienne version de la LCAPE, laquelle exigeait de la Couronne qu’elle prouve l’existence d’un « lien réel et important » entre l’infraction et le Canada. Karigar a prétendu que ce critère n’était pas respecté, mais la Cour a conclu que la compétence territoriale était clairement établie en l’occurrence puisque : 1) Cryptometrics Canada est une société canadienne établie à Ottawa, 2) Karigar a été un résident canadien pendant de nombreuses années, 3) à tout moment important, Karigar était employé d’une société canadienne ou agissait en tant qu’agent d’une société canadienne, 4) Karigar et ses complices cherchaient à obtenir un avantage déloyal au bénéfice d’une société canadienne et 5) si la soumission avait été retenue, des employés canadiens auraient été chargés d’une grande part du travail exigé en vertu du contrat.

Les modifications récentes de la LCAPE ont supprimé le besoin d’établir un « lien réel et important ». La nouvelle version de la Loi, qui est entrée en vigueur le 19 juin 2013, permet maintenant de poursuivre des citoyens canadiens ou des résidents permanents ou des sociétés du Canada indépendamment de la relation entre l’infraction et le Canada.

Signification de « convient » – L’une des questions clés dans cette affaire a été la signification du mot « convient », particulièrement au sens utilisé au paragraphe 3(1) de la Loi. Karigar prétendait que la Loi exigeait la preuve qu’un pot-de-vin avait été réellement offert ou versé à un agent public étranger. La Cour a rejeté cet argument et a plutôt conclu que le mot « convient » comprend le concept de complot dans la LCAPE et qu’en conséquence l’existence d’un complot ou d’un accord pour corrompre des agents publics suffit à contrevenir à la Loi.

Aucune nécessité d’offrir ou de verser un pot-de-vin – Pour faire suite au paragraphe qui précède, la Cour a conclu qu’aucune preuve à l’effet qu’un pot-de-vin a été offert ou versé n’est nécessaire pour établir que la LCAPE a été violée. La violation de l’article 3 de la Loi peut être établie si la partie qui a présumément versé un pot-de-vin à un agent public étranger ayant le pouvoir d’offrir un avantage commercial croit qu’un pot-de-vin a été versé et si la preuve que l’actus reus d’un complot a été établie.

Conclusion

L’affaire Karigar envoie aux sociétés canadiennes et à leurs dirigeants un message à l’effet que la nouvelle tendance visant à appliquer plus rigoureusement les lois anticorruption au Canada va se poursuivre. Elle met également en évidence le risque auquel s’exposent les parties qui ont recours à des agents extérieurs pour le développement des affaires et des activités à l’échelle internationale, ainsi que les avantages et les risques relatifs à la coopération avec les autorités.

Pour obtenir de plus amples renseignements ou de l’aide concernant ces questions ou toute autre question relative à la corruption, n’hésitez pas à communiquer avec un membre du groupe du droit du commerce et de l’investissement international de McCarthy Tétrault.


1 Voir R. v. Karigar 2013 ONSC 5199 (en anglais seulement)

Auteurs