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L’art du commerce : Connaître la position américaine dans les négociations de l’ALENA

Dans l’Art de la guerre, Sun Tzu nous dit que celui qui se connaît lui-même et connaît son ennemi n’a pas à craindre l’issue d’une centaine de batailles. Ce proverbe s’applique tout autant aux négociations commerciales qu’à la guerre. Le 18 mai 2017, les États-Unis ont notifié le Mexique et le Canada de leur intention de renégocier l’Accord de libre-échange nord-américain (« ALENA »). La première ronde de négociations devrait commencer à Washington le 16 août et se poursuivre jusqu’au 20 août.

Le 17 juillet 2017, le représentant au Commerce des États-Unis (« RCEU ») a publié un sommaire des objectifs pour la renégociation de l’ALENA (« Summary of Objectives for the NAFTA Renegotiation »). Ce document expose les objectifs des États-Unis dans la révision de l’ALENA (les « Objectifs américains »). Les Objectifs américains sont sous-divisés en différentes catégories, chacune constituant un élément majeur des négociations de l’ALENA.

En réponse à la publication des Objectifs américains, le gouvernement du Canada a décidé de prolonger indéfiniment la période de consultations, qui devait se terminer le 18 juillet 2017. Toute personne ou organisation canadienne est libre de formuler des commentaires sur les objectifs du Canada.

Il est essentiel pour le gouvernement du Canada de comprendre les Objectifs américains pour négocier une issue compatible avec ses propres objectifs. Il est aussi essentiel pour toutes les parties prenantes, comme les sociétés canadiennes ou multinationales, de comprendre ces Objectifs américains afin de promouvoir leurs intérêts sur chacun des enjeux.

Aperçu des Objectifs américains

Dans l’ensemble, les Objectifs américains reflètent un ajustement de l’ALENA plutôt qu’une réforme complète telle que proposée par Donald Trump lors de la campagne électorale pour la présidence. Dans de nombreux cas, les modifications proposées reflètent les dispositions du Partenariat transpacifique (« PTP »), accord de laquelle les États-Unis se sont retirés peu après l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. En outre, les Objectifs américains semblent fortement orientés vers la correction de déséquilibres perçus et les enjeux commerciaux entre les États-Unis et le Mexique. Bon nombre des dispositions ont trait à des questions sur lesquelles il y a déjà une grande cohérence entre la position américaine et l’état actuel du droit canadien.

Toutefois, plusieurs Objectifs américains démontrent soit un manque de compréhension de la théorie et de la pratique du commerce international, soit une incohérence étonnante (certains parleraient d’hypocrisie), soit une contradiction directe aux positions historiquement fondamentales du Canada, et même des États-Unis. Nous estimons qu’il faut porter une attention particulière aux questions suivantes:

  1. Le commerce des produits – en particulier les produits agricoles
  2. Le commerce des services - en particulier les services financiers
  3. La propriété intellectuelle (« PI »)
  4. Les marchés publics des gouvernements fédéraux et sous-fédéraux
  5. L’élimination des mesures de sauvegarde globales
  6. L’élimination du chapitre 19 et des recours commerciaux
  7. La protection des investissements et le règlement des différends entre les investisseurs et les États (« RDIE »)
  8. Le travail et l’environnement

Dispositions particulières

1. Le commerce des produits

a) Aperçu

Les Objectifs américains concernant le commerce des produits débutent par la déclaration simpliste selon laquelle l’objectif consiste à améliorer la balance commerciale américaine et réduire le déficit commercial avec les pays de l’ALENA.

Cette déclaration fait ressortir deux thèmes majeurs des Objectifs américains : a) ils s’appliquent presque invariablement aux problèmes des États-Unis avec le Mexique; et b) ils démontrent une faible compréhension de l’économie et du commerce international.

La balance commerciale entre deux pays ne constitue tout simplement pas un indicateur de l’équité de leur relation commerciale. Et même si tel était le cas, les données démontrent de façon assez uniforme que les déficits commerciaux entre les États-Unis et le Canada ont fluctué et ont varié de façon relativement constante durant la période de l’ALENA, les deux pays ayant connu des périodes où l’un ou l’autre a affiché un excédent commercial. À l’heure actuelle, les États-Unis ont un excédent commercial avec le Canada. Selon l’opinion récente du RCEU, cela supposerait des concessions additionnelles en faveur du Canada. Éloquemment, depuis la mise en application de l’ALENA, les exportations américaines de produits au Canada ont augmenté de 165 %, tandis que ses importations en provenance du Canada n’ont augmenté que de 150 %. Il s’agit difficilement d’une relation qui nécessite un changement à la lumière de l’objectif américain d’« améliorer la balance commerciale ».

Mais, même s’il y avait des déficits persistants, cela n’est pas en soi mauvais pour l’économie d’un pays. On peut d’ailleurs considérer les mouvements du compte de capital, l’investissement étranger et le fait qu’une économie américaine en santé fait augmenter les dépenses de consommation ce qui fait à son tour augmenter les importations de même que la production nationale.

Prenons par exemple le pétrole. Les États-Unis ont un déficit commercial assez élevé dans les produits pétroliers. Le déficit commercial dans le pétrole s’élevait annuellement à plus de 100 milliards de dollars en 2015 et en 2016, selon le Bureau of Economic Analysis des États-Unis. Si les déficits commerciaux constituaient une certaine force négative persistante sur l’économie américaine, la solution consisterait simplement à fermer les frontières américaines aux importations de pétrole et l’industrie américaine s’épanouirait instantanément.

Il s’agit d’une supposition manifestement inexacte, et une telle mesure entraînerait vraisemblablement la dévastation de l’économie américaine et d’importantes pénuries de carburant. Alors qu’il peut y avoir un déséquilibre commercial à l’égard de ces produits, la disponibilité de pétrole moins coûteux et plus abondant entraîne de fortes incidences en aval pour les utilisateurs finaux.

Il ne s’agit que d’un exemple. Les importations d’autres produits servent d’intrants pour l’industrie américaine, ce qui permet aux fournisseurs de services américains d’améliorer leur propre excédent commercial dans les services.

b) Règles d’origine

Les règles d’origine constituent le pilier de tout accord de libre-échange majeur en délimitant les produits qui reçoivent un traitement tarifaire préférentiel et un accès libre de droits de douane. Aux termes de l’ALÉNA, les produits sont admissibles au traitement préférentiel s’ils sont entièrement obtenus ou produits sur le territoire de l’ALÉNA. De nombreux produits peuvent également être considérés comme des produits d’« origine » si, pendant le processus de fabrication dans le territoire de l’ALENA, leurs composantes étrangères subissent un changement de classification tarifaire comme l’indique la règle d’origine particulière applicable au produit final.

Certains produits font l’objet d’exigences additionnelles centrées sur le pourcentage de leur valeur qui découle des intrants originaires d’un pays de l’ALENA : une exigence de « teneur en valeur régionale ». Cela fait généralement en sorte qu’il est plus difficile d’utiliser des intrants non originaires d’un pays de l’ALENA dans la fabrication du produit final. Ces exigences sont généralement utilisées pour des produits complexes ou des produits qui nécessitent une protection supplémentaire, comme les automobiles.

Les Objectifs américains réclament le renforcement des règles d’origine afin que les avantages de l’ALENA ne s’appliquent qu’aux produits qui proviennent réellement des pays de l’ALENA. C’est un objectif que partage en grande partie le gouvernement du Canada et il s’agit d’un domaine où ces deux parties pourraient facilement trouver un terrain d’entente.

Dans une certaine mesure, la partie mise à l’écart est le Mexique, que certains ont accusé de servir de point d’entrée de produits étrangers déguisés en produits originaires de l’ALENA. Il est probable que les États-Unis s’attarderont à faire passer certains produits sous le coup des exigences plus restrictives de « teneur en valeur régionale » et à accroître la valeur régionale requise pour les produits déjà visés par une telle restriction.

Tous les fabricants canadiens, américains ou mexicains qui produisent et vendent des produits composés d’intrants étrangers devront être très attentifs aux négociations sur ces règles. Ce chapitre est exceptionnellement technique, mais il s’agit d’une des parties les plus fondamentales de l’Accord. La détermination de ce qui fait qu’un produit est un « produit ALÉNA » joue un rôle de gardien. Des changements entraînent des coûts tarifaires extrêmement importants pour les fabricants dont les produits ne sont pas admissibles en vertu d’une définition restrictive de produit d’« origine ».

c) Produits agricoles

Les États-Unis s’opposent depuis longtemps au système de gestion de l’offre du Canada qui établit des quotas stricts sur la production et l’importation de produits laitiers, de volaille et d’autres produits agricoles. Ce système est mis en place pour soutenir les prix pour les producteurs agricoles canadiens, sans subvention (tel qu’adopté par les États-Unis) et sans générer des surplus que le marché national ne pourrait pas absorber.

Les États-Unis mettront l’accent sur les obstacles non tarifaires aux exportations de produits agricoles et sur les autres « mesures injustifiées ». Étant donné les déclarations et les tweets du Président Trump au Wisconsin en avril de cette année, il s'agit sans aucun doute d’une première salve contre le Canada.

La défense de la gestion des approvisionnements sera vraisemblablement une tâche difficile pour les négociateurs canadiens, particulièrement dans un contexte de « libre échange ». Le Canada a déjà accordé un accès accru, dans une certaine mesure, aux Européens en vertu de l’Accord économique et commercial global (« AECG ») (et il l’a fait lors des négociations du PTP). Il sera donc difficile de se retourner vers les États-Unis et dire que la gestion de l’offre est non négociable.

L’accès additionnel limité accordé à l’UE, ainsi que celui négocié dans le PTP (y compris avec les États-Unis) devraient fournir un filet de sécurité empêchant un trop grand affaiblissement de la gestion de l’approvisionnement au Canada.

Certains soutiendront qu’il est maintenant temps pour le Canada d’abandonner la gestion de l’approvisionnement et de négocier en contrepartie de nouvelles concessions, mais il y aurait probablement une pression réciproque que les États-Unis abandonnent leur propre régime de subventions qui produit des excédents, de sorte que nous verrons probablement un assouplissement de la gestion canadienne de l’approvisionnement semblable au PTP, mais non pas son élimination.

d) Produits numériques

Dans un monde de plus en plus numérique, les produits numériques sont devenus un centre d’attention – avec des chapitres consacrés au commerce électronique apparaissant au PTP et à l’AECG. Certains éléments des Objectifs américains concernant les produits numériques font suite à des engagements antérieurs, y compris l’obtention de l’accès libre de droits de douane pour les produits numériques qui franchissent les frontières des parties. Cela ne causera probablement pas de débat.

Toutefois, ce qui risque de susciter certaines préoccupations, c’est l'Objectif américain visant à interdire les mesures qui restreignent le transfert transfrontalier des données ou qui exigent la mise en place d’installations informatiques locales. L’acceptation de ce type de dispositions créerait une multitude de problèmes. Premièrement, de nombreuses provinces canadiennes limitent rigoureusement la transmission de certains renseignements (comme les renseignements financiers personnels ou les renseignements médicaux) au-delà des frontières. D’importants changements législatifs internes des gouvernements provinciaux seraient nécessaires à l’acceptation de telles mesures.

Deuxièmement, un tel changement se révélerait probablement difficile sur le plan politique. De nombreux pays, dont le Canada, affichent un fort scepticisme concernant les garanties de protection de données et de renseignements personnels des États-Unis – particulièrement en ce qui concerne les renseignements sur les non-citoyens. Ce scepticisme, de la part des citoyens et des fonctions publiques, sera difficile à surmonter.

Troisièmement, apporter ce genre de changement nécessiterait une exemption particulière pour certains types de transfert de données par exemple, les transferts de plans ou d’assistance technique concernant les produits assujettis à la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée du Canada ou au International Traffic in Arms Regulations des États-Unis. Dès que les parties s’engagent sur la voie des exemptions, la pression monte pour augmenter les exceptions d’application générale aux données ou aux renseignements personnels.

e) Facilitation douanière

Les Objectifs américains relatifs à la facilitation des formalités douanières portent en grande partie sur des questions mineures, avec des engagements généralement similaires à ceux qui existent dans la version actuelle de l’ALENA. Le Canada comble ou excède déjà pratiquement tous les éléments des Objectifs américains.

Toutefois, les États-Unis recherchent un traitement semblable à celui américain des importations de minimis. Il s’agit des importations dont la valeur est suffisamment faible pour que les procédures douanières habituelles, dont l’imposition de droits de douane, ne soient pas justifiées. Au Canada, le niveau de minimis actuel est de 20 $, tandis qu’il se situe à 800 $ aux États-Unis.

Particulièrement en raison de l’évolution vers le commerce électronique, l’établissement d’un seuil de minimis plus élevé serait favorable aux entreprises qui exercent leurs activités en ligne. Le tout serait vraisemblablement peu utile aux grands détaillants canadiens qui feraient face à de plus en plus de pression de la part des magasins en ligne qui envoient des articles à faible valeur à un plus grand nombre d’individus, demeurant ainsi sous le seuil de minimis.

Même si les droits de douane sur des articles peuvent ne pas être élevés (particulièrement si le Canada et les États-Unis conviennent d’une plus grande libéralisation sur certains produits actuellement visés par les droits de douane, comme sur certains textiles), la TPS/TVH n’est généralement pas calculée sur les importations sous le seuil de minimis, de sorte que la protection des revenus fiscaux aux frontières fera également l’objet d’un débat.

Si le gouvernement du Canada cède du terrain sur ce front, cela représenterait vraisemblablement un gain majeur pour les consommateurs canadiens, mais pourrait porter un dur coup à une industrie déjà précaire. Dans la mesure où le commerce électronique pour les livraisons de faibles quantités aux consommateurs canadiens provient davantage des États-Unis que du Canada, l’impact sur les détaillants canadiens pourrait être considérable.

2. Le commerce des services

Alors que l’ALENA était exhaustif à l’égard de l’élimination des tarifs applicables au commerce des produits, les engagements concernant les services étaient beaucoup plus limités. Selon la version actuelle de l’ALENA, le chapitre des services suit une approche dite de « liste positive », ce qui signifie que les engagements à l’égard de la libéralisation pris par une partie ne s’appliquent qu’aux secteurs de services expressément énumérés.

Depuis l’ALENA, les accords de libre-échange adoptent de plus en plus une approche dite de « liste négative ». Cette approche, suivie entre autres dans l’AECG, applique les engagements de libéralisation à tous les secteurs de services sauf à l’égard de ceux expressément exclus. Compte tenu du rôle de plus en plus important que jouent les services dans une économie post-industrielle, l’accès aux marchés est considéré crucial tant pour les États-Unis que pour le Canada.

Cela explique pourquoi l’un des Objectifs américains consiste à améliorer l’accès aux marchés étrangers pour les fournisseurs de services. Le gouvernement canadien accueillera probablement très favorablement cet objectif considérant qu’il a fait d’une telle approche la norme dans ses accords de libre-échange. La garantie d’accès réciproque pour le Canada aux marchés américains sera une question fondamentale, particulièrement l’accès pour les fournisseurs de services canadiens qui doivent se déplacer ou être présents aux États-Unis pour fournir leurs services.

Deux industries majeures sont désignées comme prioritaires dans les Objectifs américains: les télécommunications et les services financiers. Il y aura fort probablement des obstacles à toute concession majeure pour ces deux secteurs. La réglementation canadienne de l’industrie des services financiers a joué un grand rôle pour prévenir que la crise bancaire américaine contamine le Canada. Les États-Unis ont également souligné l’élimination de toute restriction au flux des données transfrontalier – ce qui sera également difficile à mettre en œuvre pour les raisons mentionnées dans la section précédente concernant les produits numériques.

L’industrie des télécommunications comporte également des obstacles structurels et juridiques à l’entrée au Canada, secteur pour lequel les États-Unis devraient tenter d’obtenir une libéralisation considérable. Compte tenu des préoccupations politiques et économiques, il pourrait être difficile de déréglementer l’industrie afin de répondre aux demandes américaines.

3. La propriété intellectuelle

Les protections en matière de PI sont devenues monnaie courante dans les accords de libre-échange. Le Canada a un chapitre entier sur la PI dans l’AECG, et les dispositions relatives à la PI dans le PTP sont aussi très détaillées. Le Canada a fait des concessions sur la PI dans ses accords de libre échange antérieurs, notamment concernant la durée des brevets pour les produits pharmaceutiques, les dispositions sur l’enregistrement sur caméscope concernant la criminalisation de certaines atteintes aux droits d’auteur et le renforcement de notre régime de PI généralement.

Encore une fois, les Objectifs américains concernant la PI visent probablement en majeure partie le Mexique, puisque le Canada a déjà adopté bon nombre de ces positions. Le Canada est passé à un régime d’application sévère conformément à l’Accord de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce international. Le Canada a également édicté des interdictions quant à l’utilisation d’appareils et de logiciels pour contourner les mesures de protection technologique (aussi connues comme des « serrures numériques ») pour préserver l’intégrité des produits numériques.

Les mesures adoptées par le Canada satisfont déjà à plus de la moitié des Objectifs américains ce qui pourrait permettre au Canada de bénéficier d’un levier considérable lui permettant d’obtenir des concessions dans d’autres secteurs de la part des États-Unis sans important sacrifice et sans effet majeur sur notre propre économie. D’ailleurs, en convenant de mesures plus sévères en matière de PI, le Canada protège pareillement ses propres innovateurs.

Néanmoins, deux des Objectifs américains seront probablement fortement contestés. Le premier a trait au renforcement de la norme canadienne de protection des droits de PI. Il pourrait s’agir d’une façon déguisée de tenter de forcer le Canada à adopter un système de type « avis et retrait » pour l’application des droits d’auteur. Il s’agit de la forme principale de protection des droits d’auteur aux États-Unis, et elle est beaucoup plus agressive que le système canadien de type « avis et avis ». Selon le régime américain de type « avis et retrait », lorsqu’un fournisseur de services en ligne reçoit un avis de contenu attentatoire sur son service, il doit le retirer. Selon le régime canadien de type « avis et avis », un fournisseur de services en ligne placé dans la même situation ne doit que transmettre cet avis de violation à l’utilisateur qui en serait l’auteur.

Cet élément a été négocié dans le cadre du PTP et il a été convenu d’adopter le système de type « avis et retrait », avec une exception applicable aux quelques pays (dont le Canada) qui avaient un système de type « avis et avis ». Les États-Unis exerceront probablement une pression accrue pour amener le Canada à apporter ce changement.

Deuxièmement, les États-Unis semblent être préoccupés par le système canadien des indications géographiques (« IG »). Les IG sont codifiées en droit canadien et signifient que certains produits sont associés à la production dans une certaine région au moyen de certaines méthodes. Le scotch, le bourbon et le champagne en constituent des exemples courants.

Le Canada a récemment adopté une vaste gamme de nouvelles IG dans le cadre de ses engagements en vertu de l’AECG. Les États-Unis exerceront probablement une pression pour exempter par exemple les fromages américains courants comme le feta ou le parmesan. Il est toutefois improbable que d’importantes concessions à cet égard puissent être faites sans contrevenir aux engagements pris par le Canada en vertu de l’AECG.

4. Les marchés des gouvernements fédéraux et sous-fédéraux

Dans le PTP et dans l’AECG, le Canada a fait d’importantes concessions sur les marchés publics, y compris en ouvrant les marchés publics des gouvernements sous-fédéraux. Dans l’AECG et pour la première fois dans un accord de libre-échange, ces dispositions incluaient l’approvisionnement des municipalités et des services publics. Étant donné que le marché public canadien est évalué à plus de 200 milliards de dollars et que le marché public américain est évalué à 1 700 milliards, le libre accès représente pour les soumissionnaires d’énormes nouveaux marchés des deux côtés de la frontière.

Malheureusement, les Objectifs américains semblent dire une chose et son contraire. D’un côté, on demande un meilleur accès aux marchés publics du Canada et du Mexique. D’un autre côté, on demande d’exclure les gouvernements sous-fédéraux américains et de conserver, et voire même d’étendre, les dispositions américaines discriminatoires (comme les dispositions favorisant les petites entreprises et les exigences d’achat aux États-Unis).

Il s’agit d’un domaine où le Canada peut démontrer une certaine force. Même si le marché public canadien est relativement plus petit que le marché américain, il représente une excellente opportunité pour les entreprises américaines. Ces entreprises risquent concrètement de perdre ces marchés en faveur de concurrents européens qui participeront bientôt au marché public canadien avec un niveau de protection beaucoup plus grand et davantage d’accès que leurs homologues américains.

Cela pourrait permettre au Canada et aux entreprises canadiennes de mettre de la pression sur les États-Unis afin d’adopter des mesures plus conformes aux dispositions de l’AECG, et au niveau des gouvernements sous-fédéraux. Si les États-Unis devaient adopter des engagements équivalant à ceux de l’AECG, cela constituerait une libéralisation heureuse du marché public américain. Entre-temps, permettre au Canada d’avoir accès au marché public américain sur un pied d’égalité avec les sociétés américaines ne constituerait pas une charge importante pour le marché américain. Étant donné l’intégration de bon nombre d’entreprises et de chaînes d’approvisionnement nord-américaines au-delà des frontières, les principaux entrepreneurs américains qui désirent diversifier leurs sources d’approvisionnement pourraient même appuyer cette mesure.

5. L’élimination de l’exclusion des mesures de sauvegarde globales de l’ALENA

Le RCEU a également proposé l’élimination de l’exclusion des mesures de sauvegarde globales actuellement consacrées à l’article 802 de l’ALENA. Provenant de la législation protectionniste américaine des années 40, une mesure de sauvegarde permet à un pays de minimiser les effets du commerce libéralisé sur les industries nationales. Plus particulièrement, elle permet la suspension des importations et l’application de droits de douane, et même des mesures de représailles, lorsqu’une nation estime que les importations d’un produit augmentent jusqu’à un niveau qui cause ou menace de causer un préjudice grave aux industries nationales. Sous réserve de certaines conditions, les mesures de sauvegarde globales sont autorisées par les accords de l’Organisation mondiale du commerce.

Le chapitre 8 de l’ALENA impose à un gouvernement qui veut appliquer de telles mesures de sauvegarde globales des contraintes importantes lorsque ces mesures touchent des importations d’un autre pays de l’ALENA. Il est important de noter que les importations d’un pays de l’ALENA doivent être exclues d’une telle mesure de sauvegarde sauf (i) si elles constituent une « part substantielle » des importations totales (c.-à-d. que le pays exportateur de l’ALENA figure parmi les cinq principaux fournisseurs du produit visé par la mesure) et (ii) ces importations, considérées séparément, ou, dans des circonstances exceptionnelles, avec les importations en provenance des autres parties de l’ALENA, « contribuent de manière importante » au préjudice grave ou à la menace de préjudice grave à l’industrie nationale. Selon une autre importante exigence du chapitre 8, si une partie de l’ALENA, comme les États-Unis, prend une telle mesure de sauvegarde contre les importations d’un autre pays de l’ALENA, elle doit accorder « une compensation mutuellement convenue ayant pour effet de libéraliser le commerce », à défaut de quoi la partie lésée peut prendre des mesures ayant des effets commerciaux équivalents contre les États-Unis.

Le RCEU considère probablement ces restrictions comme indûment restrictives et minant sa capacité de répondre à des préjudices apparents dans certaines industries. Il a donc exprimé l’intention d’éliminer l’exclusion visant l’ALENA de manière à permettre l’application de futures mesures de sauvegarde globales sans traitement particulier pour le Canada et le Mexique.

6. L’élimination du chapitre 19 et des recours commerciaux

En vertu du chapitre 19 de l’ALENA, les nations membres bénéficient d’un mode de règlement des différends que peuvent invoquer les sociétés lésées, procurant une solution de rechange au contrôle judiciaire par les tribunaux nationaux dans les affaires de droits antidumping et compensatoires. C’est plutôt des groupes spéciaux binationaux qui entendent les demandes et prononcent des jugements qui lient les gouvernements de l’ALENA.

Initialement, les sociétés américaines présentaient souvent des demandes, ayant introduit environ cinquante pour cent (50 %) des instances soumises aux groupes spéciaux binationaux de règlement des différends au cours des deux premières années suivant l’entrée en vigueur de l’ALENA. Au final, les États-Unis ont principalement été visés par les instances de règlement des différends, ayant agi à titre d’intimés dans environ les deux tiers des affaires introduites en vertu du chapitre 19 de l’ALENA.

Notamment, les groupes spéciaux binationaux constitués en vertu du chapitre 19 de l’ALENA ont été convoqués pour les différends relatifs au bois d’œuvre, dans lesquels les exportateurs de bois d’œuvre canadiens ont contesté les droits de douane imposés par le Département américain du Commerce (« DoC »). Le 13 août 2003, un groupe binational de l’ALENA a conclu que les avantages conférés aux exportateurs canadiens ne suffisaient pas pour constituer une subvention justifiant l’imposition de droits de douane. Des groupes spéciaux de l’ALENA ont plus tard rejeté, à cinq occasions distinctes, les droits calculés par le DoC.

Récemment, toutefois, le différend sur le bois d’œuvre s’est malheureusement manifesté de nouveau. Le 24 avril 2017, le DoC a déterminé provisoirement que des subventions donnant ouverture à des droits compensateurs étaient accordées aux producteurs et exportateurs de certains produits du bois d’œuvre en provenance du Canada; une décision définitive à cet égard devrait être rendue au plus tard le 6 septembre 2017. On s’attend à ce que l’imposition de droits de douane soit assujettie au processus de règlement des différends prévu par le chapitre 19 de l’ALENA, que les exportateurs canadiens de bois d’œuvre ont auparavant utilisé avec beaucoup de succès. Il n’est donc pas étonnant que le RCEU ait exprimé le désir d’éliminer le mode de règlement des différends prévu par le chapitre 19 de l’ALENA.

Lors de la négociation de l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis, le principal objectif du Canada était l’élimination des recours commerciaux avec les États-Unis, objectif louable et parfaitement logique pour une véritable zone de libre-échange. Le système de groupes spéciaux binationaux, qui se poursuit actuellement en vertu de l’ALENA, constituait la deuxième meilleure solution. Le Canada a indiqué clairement que ce système est essentiel pour la confiance commerciale et que le Canada ne signerait pas un ALENA qui laisse les exportateurs canadiens à la merci, sans possibilité de révision, des tribunaux américains. Le Canada pourrait fort bien devoir réexaminer son attachement au chapitre 19.

7. La protection des investissements et le RDIE

Les Objectifs américains sont relativement muets quant à la protection des investissements et les modes de RDIE, ne fournissant que deux points d’intérêt. Premièrement, ils parlent d’obtenir davantage de droits pour les investisseurs américains dans les pays de l’ALENA tout en faisant en sorte que les investisseurs étrangers ne bénéficient pas de droits substantiels plus grands aux États-Unis que les investisseurs américains. Deuxièmement, ils parlent de réduire ou d’éliminer les obstacles à l’investissement américain dans tous les secteurs des pays de l’ALENA.

Il est très improbable que le Canada et le Mexique conviennent d’une modification aux dispositions relatives à la protection des investissements qui permettrait d’importants gains pour les investisseurs américains dans leurs territoires sans forme de gains correspondants ou réciproques pour leurs propres investisseurs.

Il est plus probable que les dispositions relatives à la protection des investissements et les modes de RDIE demeurent relativement stables. Les règles actuelles ne s’appliquent certes pas au détriment des investisseurs américains et, historiquement, le gouvernement américain s’est fait un grand défenseur des formes de dispositions sur la protection des investissements que l’on retrouve dans l’ALENA. Ceux qui cherchent à prévoir les modifications mineures que les États-Unis pourraient rechercher auraient avantage à examiner le chapitre sur l’investissement négocié dans le cadre du PTP.

Il sera intéressant de voir si le Canada tentera de convaincre les États-Unis et le Mexique d’adopter la notion de « tribunal de l’investissement » qu’il élabore avec l’UE en vertu de l’AECG. L’UE a d’ailleurs l’intention d’élargir cette notion pour que ce tribunal soit réellement multilatéral et remplace l’arbitrage ponctuel par un système plus analogue à un tribunal qui pourrait développer sa propre autorité d’appel contraignante.

Toutefois, les États-Unis sont généralement peu chauds à l’idée d’organismes judiciaires supranationaux. Compte tenu du nationalisme martelé par la campagne électorale de Trump, et par les dirigeants actuels du RCEU, il semble très improbable qu’un tel accommodement soit accordé.

Le deuxième objectif américain en matière d’investissement, soit un accès accru aux marchés pour les investisseurs américains, ne devrait pas provoquer beaucoup de changements du côté canadien. Traditionnellement, le Canada a toujours fortement protégé la Loi sur investissement Canada, la législation provinciale en matière de valeurs mobilières exigeant que des membres du conseil d’administration canadiens et une représentation au sein de celles-ci, de même que la protection de certaines industries (particulièrement les industries culturelles).

Étant donné que le Canada a récemment fait certaines concessions, comme une hausse majeure du seuil d’examen des transactions prévu par la Loi sur investissement Canada, il lui serait vraisemblablement difficile de faire d’autres concessions.

8. Le travail et l’environnement

Les Objectifs américains affirment vouloir intégrer au corps de l’ALENA les accords connexes actuels en matière de travail et d’environnement. Les deux séries d’Objectifs américains semblent être parfaitement conformes à la politique canadienne actuelle – avec un accent sur le fait que les parties devront avoir ou mettre en place des protections adéquates en matière d’environnement et de travail. Étant donné que le Canada serait probablement parfaitement d’accord avec bon nombre de ces exigences (et d’ailleurs serait probablement d’accord avec des engagements encore plus solides que ceux avancés par les États-Unis), on ne peut que présumer que ces dispositions ciblent le Mexique.

Néanmoins, deux points sont intéressants à ce sujet. Premièrement, même si les deux ensembles d’Objectifs américains portent sur l’intégration des dispositions dans le texte de l’ALENA lui-même, et contiennent des dispositions exigeant certaines mesures et exigeant que des groupes spéciaux fassent enquête et veillent au respect des engagements, aucun objectif américain n’énonce de conséquences en cas de violation. L’AECG s’est mérité beaucoup d’attention à titre d’accord de libre-échange « vert » puisqu’il comprenait un chapitre sur l’environnement. Toutefois, sans disposition d’application concrète, y compris la perte de concessions lors d’une violation, ces engagements demeurent symboliques. Malgré toutes ses affirmations progressistes, l’AECG relève de cette catégorie : les chapitres sur l’environnement et le travail manquent de mordant.

Deuxièmement, les Objectifs américains sur le travail ne traitent pas de la liberté de mouvement des citoyens ou des résidents à des fins commerciales. L’un des principaux éléments de l’AECG était la reconnaissance du fait que, pour la prestation convenable des services, il doit y avoir une garantie pour les voyageurs d’affaires et les voyages d’affaires entre les pays participants. Il y avait aussi des dispositions sans précédent relatives au cadre de reconnaissance réciproque des titres professionnels pour les travailleurs (comme les architectes, les ingénieurs et les avocats).

Il sera probablement difficile pour le gouvernement du Canada de soutirer des concessions à cet égard des États-Unis. Par ailleurs, compte tenu de l’orientation actuelle des demandes américaines, dont un accès général pour les fournisseurs de services faisant affaire à l’étranger, il pourrait y avoir certaines possibilités de libéralisation pour les professionnels et les gens d’affaires.

Conclusion

Les Objectifs américains donnent un aperçu des résultats potentiels des négociations de l’ALENA et procurent des renseignements très utiles aux parties prenantes canadiennes intéressées par l’issue de ces négociations. À l’approche des négociations, le temps presse pour que les parties intéressées puissent faire des représentations au gouvernement concernant leurs opinions sur les éléments de l’ALENA qui, selon elles, devraient être abordés.

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