Passer au contenu directement.

« La ferme! » n’est pas de la violence verbale

La Cour supérieure de justice de l’Ontario a renversé une récente décision arbitrale qui confirmait la décision d’un employeur de congédier le plaignant, préposé aux bénéficiaires, pour violence verbale. Le plaignant a crié « La ferme! » à un patient. Cette affaire rappelle des faits importants aux employeurs, particulièrement lorsqu’ils appliquent une politique de tolérance zéro.

Faits

Le plaignant est un employé de longue date de Community Living Thunder Bay, où il exerçait les fonctions de préposé aux bénéficiaires. L’employeur fournit des services et des soins 24 heures sur 24 à des personnes qui souffrent de déficience intellectuelle, ce qui leur permet de fonctionner avec dignité dans un cadre social. Selon l’employeur, les préposés qui sont embauchés pour prendre soin de ces personnes sont en position de confiance.

Le 19 avril 2006, le plaignant, deux autres préposés aux bénéficiaires et deux patients prenaient place à bord d’une fourgonnette pour une excursion d’un jour devant les mener de Thunder Bay à Kakabeka Falls. Pendant le trajet, le plaignant aurait prétendument crié « La ferme! » à l’un des patients. Les autres préposés auraient prétendu que, pendant le même voyage, le plaignant aurait fait un commentaire inapproprié en passant devant un abattoir en référence au patient et à l’abattoir. Plus tard au cours de la même soirée, les deux préposés aux bénéficiaires ont été témoins d’un incident survenu entre le plaignant et le deuxième patient, lequel incident a par la suite été rapporté à l’employeur comme en étant un de violence physique. Le rapport de cet incident ne comprenait aucun renseignement au sujet de l’événement qui serait survenu plus tôt ce jour-là dans la fourgonnette. Le plaignant a été suspendu alors que l’employeur enquêtait sur l’allégation de violence physique. Les deux employés et le plaignant ont été interrogés. Pendant les entrevues, l’épisode où le plaignant a crié « La ferme! » a été dévoilé à l’employeur. Prenant en compte les entrevues, l’employeur a congédié le plaignant.

Convention collective et politiques pertinentes

La convention collective intervenue entre l’employeur et le syndicat renferme une disposition selon laquelle tout acte de violence entraînerait le congédiement de l’employé. Dans la convention collective, le congédiement était décrit comme la « pénalité précise » aux fins de l’article 48(17) de la Loi de 1995 sur les relations de travail (Loi). L’article 48(17) de la Loi permet à un arbitre de substituer au congédiement la pénalité adéquate lorsque la convention collective ne prévoit pas de pénalité précise.

L’employeur a adopté un code de conduite à l’intention de son personnel ainsi qu’une politique contre la violence. La politique contre la violence définit à la fois la violence physique et verbale. La définition de la violence verbale comprend « toute communication avec une personne qui pourrait raisonnablement être perçue comme étant dévalorisante, fallacieuse, suggestive, abusive, insultante, désobligeante ou humiliante » [trad.].

Arbitrage

L'arbitre Levinson a présidé la séance dans cette affaire. Il a évalué les allégations faites par les deux employés témoins des présumés incidents du 19 avril 2006. Lorsqu’il a rendu sa décision, l’arbitre a reconnu que la norme de preuve en pareil cas exigeait une évaluation selon la prépondérance des probabilités, évaluant si la preuve était « suffisamment claire, convaincante et forte » [trad.].

En ce qui a trait à l’allégation de violence physique, l’arbitre a conclu que la preuve présentée par le plaignant et les deux autres employés était incompatible et irréconciliable et ne pouvait donc pas être établie en fonction du critère de prépondérance des probabilités. Il est arrivé à la même conclusion à l’égard de l’allégation de commentaire inapproprié concernant le patient et l’abattoir.

Cependant, l’arbitre a déclaré, sur le fondement de la preuve présentée, que le plaignant avait réellement crié au patient « La ferme! ».

L’arbitre devait par la suite déterminer si les agissements du plaignant, à savoir le fait de dire au patient « La ferme! », constituait de la violence au sens de la convention collective. À cet égard, l’arbitre a conclu que les agissements du plaignant entraient dans la définition de violence contenue à la politique contre la violence de l’employeur et que le contexte dans lequel la déclaration avait été faite était abusif.

Compte tenu du libellé de l’article 7.11 de la convention collective, l’arbitre n’avait pas le pouvoir de substituer au congédiement une autre mesure disciplinaire.

Appel

La décision rendue par l'arbitre Levinson confirmant le congédiement a été renversée lors de l’appel au motif qu’elle était déraisonnable pour les raisons suivantes :

1. Au moment où la convention collective a été négociée, ni l’une ni l’autre des parties ne croyait qu’un seul incident où il a été dit « La ferme! » à voix forte constituerait de la violence. La Cour a cité un extrait de la décision rendue dans l’affaire Central Park Lodges :

Chaque interaction inappropriée avec un résident n’est pas nécessairement de la violence envers le résident. Les aides soignants ont le droit de faire des erreurs et ne peuvent être astreints à une norme de perfection. [trad.]

2. La politique contre la violence de l’employeur, plus particulièrement la définition de violence, n’était pas mentionnée dans la convention collective ni n’en faisait partie.

3. La Cour a indiqué que pour conclure que le fait de crier « La ferme! » constituait de la violence selon la définition donnée à ce terme dans la politique contre la violence, l’action doit avoir les caractéristiques qui figurent dans la définition, c’est-à-dire que l’action doit être dévalorisante, insultante, humiliante ou désobligeante. Cependant, aucune preuve n’a été présentée qui pourrait démontrer que ces caractéristiques étaient présentes.

Conseils à l’intention des employeurs

Cette affaire rappelle aux employeurs les faits suivants :

  • Les employeurs qui interagissent avec le public ou avec des clients vulnérables devraient toujours avoir une politique écrite comportant une définition claire du terme violence. Au besoin, des exemples peuvent également y figurer.
  • Une convention collective doit comprendre ou intégrer la politique de l’employeur ou la définition de violence.
  • Même s’il s’agit d’une question délicate comme le vol, l’abus de confiance, la violence, etc., les arbitres et les tribunaux évalueront toujours l’ensemble des faits et des circonstances.
  • Même si l’employeur a une politique de tolérance zéro pour le harcèlement, la violence, etc., rien ne garantit que de telles politiques auront préséance dans tous les cas.