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La CVMO offre des lignes directrices sur l’utilisation des régimes de droits : Baffinland

De récentes décisions de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario (CVMO) et de la British Columbia Securities Commission (BCSC) ont mené à des débats sur la capacité du conseil d’administration d’une société visée d’utiliser efficacement un régime de droits des actionnaires pour se défaire d’un initiateur dans le cadre d’une offre publique d’achat hostile.

 

La CVMO a semblé ouvrir la porte à une défense fondée sur le fait de « simplement dire non » dans sa décision de la fin de 2009 dans l’affaire Neo Material Technologies en permettant à un régime de droits des actionnaires de mettre fin indéfiniment à une offre partielle hostile. Dans sa décision, la CVMO a fait référence à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire BCE et a mentionné que les régimes de droits [Traduction] « … peuvent être adoptés afin de protéger les intérêts à long terme des actionnaires lorsque, selon l’appréciation commerciale raisonnable des administrateurs, la mise en œuvre d’un régime de droits serait au mieux des intérêts de la société ».

Toutefois, la majorité d’un comité de la BCSC a fermé la porte à la défense fondée sur le fait de « simplement dire non » dans la décision qu’elle a rendu au milieu de 2010 dans l’affaire Lions Gate. Dans cette décision, on affirme qu’une autorité canadienne en valeurs mobilières ne tolérera un régime de droits des actionnaires que pour accorder au conseil d’administration de la société visée le temps nécessaire pour s’acquitter de son devoir fiduciaire et que l’objet de ce devoir est d’améliorer l’offre existante ou d’en trouver une meilleure. La CVMO a profité de cette occasion pour répondre à l’affaire Lions Gate et clarifier sa décision dans l’affaire Neo lorsqu’elle a récemment publié les motifs de sa décision dans l’affaire Baffinland.

Baffinland Iron Mines Corporation est une petite société minière ouverte qui exerce des activités d’exploration d’un gisement minier situé sur l’île de Baffin, au Nunavut. Nunavut Iron Ore Acquisition Inc., filiale d’un groupe de capital d’investissement établi aux États-Unis, a présenté le 22 septembre 2010 une offre publique d’achat non sollicitée pour acquérir la totalité des actions ordinaires en circulation de Baffinland au prix de 0,80 $ l’action au comptant. Après un certain nombre de prolongations, l’offre de Nunavut devait expirer le 22 novembre 2010.

Le 8 novembre 2010, Baffinland a annoncé qu’elle avait conclu une convention de soutien avec ArcelorMittal S.A., une des plus grandes sociétés du domaine de l’acier dans le monde, aux termes de laquelle Arcelor avait convenu de présenter une offre visant l’acquisition de la totalité des actions ordinaires en circulation de Baffinland au prix de 1,10 $ l’action au comptant et certains bons de souscription permettant d’acheter des actions ordinaires au prix de 0,10 $ le bon de souscription au comptant. Arcelor a présenté cette offre publique d’achat amicale le 12 novembre 2010. La première date à laquelle Arcelor pouvait prendre livraison des actions ordinaires de Baffinland déposées et les régler était le 20 décembre 2010, soit la date d’expiration de son offre (près d’un mois après l’expiration prévue de l’offre de Nunavut). Les porteurs d’environ 26 % des actions ordinaires en circulation de Baffinland ont conclu des conventions de blocage avec Arcelor.

Baffinland avait adopté une convention de régime de droits des actionnaires modifiée et mise à jour le 27 janvier 2009 et elle avait été approuvée par les actionnaires de Baffinland le 24 mars 2009 (environ 18 mois avant le début de l’offre de Nunavut). La convention de soutien conclue avec Arcelor empêchait Baffinland de renoncer au régime de droits jusqu’à immédiatement avant l’expiration de l’offre d’Arcelor (ce qui pouvait empêcher Nunavut de prendre livraison des actions aux termes de son offre jusqu’à ce moment).

Nunavut a demandé à la CVMO une ordonnance d’interdiction d’opérations sur le régime de droits des actionnaires. La CVMO a accordé l’ordonnance et a interdit les opérations sur le régime de droits de Baffinland. Conformément aux principes décrits dans le Règlement 62-202 et ceux énoncés par la BCSC dans l’affaire Lions Gate, la CVMO a conclu que les actionnaires de Baffinland devraient décider du résultat des deux offres concurrentes.

La CVMO a consacré une grande partie de sa décision dans l’affaire Baffinland à élaborer sa décision dans l’affaire Neo. La CVMO a mentionné que sa décision d’interdire les opérations sur le régime de droits des actionnaires dans l’affaire Neo était fondée sur le fait que les actionnaires avaient approuvé en grande majorité le régime de droits lorsqu’une offre particulière leur était présentée au moment de voter. La CVMO a conclu qu’elle devait s’en remettre à la volonté des actionnaires exprimée par ce vote. La CVMO explique ensuite pourquoi elle a examiné le devoir fiduciaire du conseil dans l’affaire Neo :

[Traduction] Après avoir conclu qu’elle devait [s’en remettre à la volonté des actionnaires de Neo et ne pas interdire les opérations du régime de droits des actionnaires], la Commission a demandé si certaines circonstances justifieraient une autre conclusion. Cette question visait à savoir si le conseil d’administration de Neo agissait conformément à son devoir fiduciaire en décidant de ne pas solliciter des offres concurrentes. Si le conseil ne respectait pas son devoir fiduciaire, la Commission aurait pu décider d’interdire les opérations du régime de droits de Neo, peu importe le vote des actionnaires (toutefois, la question à savoir si la Commission aurait pris une telle décision reste ouverte).

La CVMO a mentionné que la décision dans l’affaire Neo ne signifie pas que la CVMO s’en remettra au jugement commercial du conseil d’administration pour décider d’interdire les opérations sur un régime de droits des actionnaires, ou qu’un conseil peut décider dans l’exercice de son devoir fiduciaire de « simplement dire non » à une offre publique d’achat. La CVMO mentionne ensuite :

[Traduction] Neo suggère simplement que le fait que le conseil d’administration d’une société visée agisse dans l’intérêt de cet émetteur et de ses actionnaires et respecte ses devoirs fiduciaires est pertinent, bien que secondaire, pour l’évaluation de la Commission au moment de prendre la décision d’interdire les opérations sur un régime de droits. Le fait qu’un conseil d’administration respecte son devoir fiduciaire ne détermine pas le résultat d’une audience sur une pilule empoisonnée.

La CVMO a tenu compte des autres faits et circonstances suivants pour décider que l’ordonnance d’interdiction d’opérations était dans l’intérêt du public : (i) le régime de droits a permis de produire une enchère (c’est-à-dire, qu’il y avait deux offres concurrentes); (ii) le régime de droits ne devrait pas pouvoir être utilisé pour éliminer l’avantage de Nunavut à titre de premier initiateur; (iii) le fait que l’interdiction des opérations sur le régime de droits pourrait amener une offre supérieure de la part de Nunavut; (iv) l’offre de Nunavut n’était pas de nature coercitive en raison de la condition de dépôt minimal; (v) le fait qu’il était improbable que Nunavut puisse acquérir suffisamment d’actions ordinaires pour contrecarrer l’enchère; et (vi) les conditions de la convention de soutien ne peuvent restreindre la capacité de la CVMO d’agir dans l’intérêt du public.

Bien que la CVMO ait maintenant précisé quelque peu la pertinence du respect par le conseil de la société visée de son devoir fiduciaire pour déterminer si elle doit interdire les opérations sur un régime de droits des actionnaires, il reste difficile de concilier l’opinion de la CVMO et celle du comité de la BCSC dans l’affaire Lions Gate. La décision de la CVMO dans l’affaire Neo mentionne que les commissions des valeurs mobilières devraient s’en remettre à la volonté des actionnaires s’ils ont largement soutenu l’adoption d’un régime de droits lorsqu’ils étaient confrontés à une offre publique d’achat. Toutefois, la décision de la majorité du comité de la BCSC dans l’affaire Lions Gate affirme que l’approbation des actionnaires n’est pas pertinente lorsque le conseil d’administration d’une société visée ne cherche pas d’autres offres. Il n’est pas certain que les commissions des valeurs mobilières s’en remettront à la volonté des actionnaires qui ont soutenu activement l’adoption d’un régime de droits lorsqu’ils sont confrontés à une offre hostile et qu’elles accepteront que le régime de droits reste en vigueur pour permettre au conseil de la société visée de poursuivre son plan d’affaires actuel et de ne de pas mettre la société en jeu.

Il serait très intéressant de voir si un tribunal canadien s’en mêlerait et la façon dont il concilierait les opinions des commissions des valeurs mobilières et les devoirs des administrateurs en vertu du droit des sociétés au moment de rendre une décision dans de telles circonstances.

Communiquez avec l'auteur ou l'une des personnes-ressources suivants : Paul Steep, Andrew Matheson

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