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La Cour suprême des États-Unis statue sur l’admissibilité des pratiques commerciales au brevetage

Le 28 juin 2010, la Cour suprême des États-Unis a rendu sa décision tant attendue dans l’affaire Bilski v. Kappos, qui porte sur d’importantes questions entourant la brevetabilité de pratiques commerciales et d’autres objets, tels que des logiciels et des procédés novateurs en général. En l’espèce, la Cour suprême a confirmé la décision de la Cour d’appel du Federal Circuit qui avait rejeté la demande de brevet de Bilski au motif que l’objet de l’invention n’était pas brevetable.

La demande de Bilski décrivait une méthode de protection contre le risque relatif aux variations des prix des marchandises vendues par des fournisseurs de marchandises à un prix fixe. La méthode permettait aux fournisseurs et aux consommateurs de minimiser les risques découlant des fluctuations de la demande pour ces marchandises au cours de périodes précises. L’examinateur des brevets des États-Unis avait initialement rejeté la demande pour plusieurs motifs. Il avait notamment invoqué le motif qu’afin d’être réputé brevetable, un procédé doit être lié à un « procédé technologique ». Le Board of Patent Appeals and Interferences (le « BPAI ») a confirmé la décision de l’examinateur visant à rejeter la demande, mais non au motif qu’un procédé doit être « technologique » afin de bénéficier d’une protection. Plutôt, le BPAI a conclu que la demande ne visait que le processus psychologique qui ne transformait pas l’objet physique et que la demande portait sur une idée abstraite, ce qui rendait dans chaque cas l’objet de la demande inadmissible à la protection par brevet.

Dans le cadre de l’appel instruit par la Cour d’appel du Federal Circuit, la Cour a décidé de faire entendre l’affaire par l’ensemble des juges, ce qui témoigne sans aucun doute de l’importance des questions sur lesquelles elle devait statuer. Le Federal Circuit a confirmé la décision du BPAI, 11 des 12 juges ayant convenu que la demande ne décrivait pas un procédé brevetable. La majorité des juges dans le cadre de l’appel a rejeté son propre critère appliqué depuis longtemps à l’admissibilité de l’objet. Selon ce critère les inventions admissibles doivent être « utiles, concrètes et donner des résultats tangibles », telle que le stipulait la décision rendue par le Federal Circuit dans l’affaire State Street il y a de cela plus d’une décennie. La majorité des juges du Federal Circuit avait également conclu qu’un procédé revendiqué n’était admissible à la protection par brevet que s’il était lié à une machine ou à un appareil précis, ou s’il transformait un article précis en un état différent ou en une chose différente. Ce critère est maintenant connu par les intervenants dans le secteur des brevets comme le critère de la « machine ou de la transformation » aux fins de l’admissibilité à la protection par brevet. L’ensemble des juges du Federal Circuit dans l’affaire Bilski, appliquant le critère de la machine ou de la transformation, a donc conclu que la demande de Bilski n’était pas liée à un procédé admissible à la protection par brevet.

L’opinion de la majorité des juges de la Cour suprême a été rédigée par le juge Kennedy. Ce dernier était d’avis que le critère de la machine ou de la transformation ne constitue pas l’unique critère afin de déterminer si une invention est un procédé admissible au brevetage. Ce critère demeure toutefois un « indice utile et important » et un « outil d’enquête » pour déterminer si certaines inventions sont admissibles à un brevet. La majorité des juges conclut également de façon affirmative que la législation américaine sur les brevets n’exclut pas catégoriquement les pratiques commerciales de sa portée, bien que la Cour ne donne que très peu de détails concernant les nouvelles lignes directrices visant à établir les critères devant être appliqués afin de déterminer la brevetabilité des pratiques commerciales. La majorité des juges de la Cour suprême a également refusé d’adopter les interprétations passées du Federal Circuit à l’égard de l’objet admissible à la protection par brevet, y compris le critère « utile, concret et donnant des résultats tangibles » exposé dans la décision de la Cour dans l’affaire State Street.

Pour ce qui est de la demande de brevet en particulier sur laquelle ils devaient statuer, la majorité de la Cour suprême a conclu que la demande ne couvrait pas d’objet brevetable étant donné qu’elle ne visait qu’une idée abstraite. Les membres se sont donc appuyés sur des précédents de la Cour suprême se rapportant à trois décisions rendues dans les affaires Benson, Flook et Diehr. La Cour a conclu que le concept de couverture et sa réduction à une formule mathématique, tel qu’il a été conclu dans les réclamations relatives à la demande de brevet de Bilski, équivalaient à une idée abstraite non brevetable.

Le juge Stevens, avec lequel trois autres juges se sont mis d’accord, a souscrit à la décision de la majorité dans cette affaire dans le cadre d’une opinion distincte, mais a conclu dans une opinion minoritaire que les pratiques commerciales ne sont pas, en soi, brevetables en vertu de la législation américaine sur les brevets. Le juge Breyer a également rédigé une opinion distincte exprimant son interprétation du jugement afin de clarifier les divers motifs adoptés par l’ensemble des membres de la Cour. Les motifs courants, selon le juge Breyer, comprenaient notamment ceux soutenant que : i) la disposition applicable pertinente de la législation américaine définissant l’objet admissible n’est pas sans limite; ii) le critère de la transformation physique ne constitue qu’un indice à l’égard de la brevetabilité des revendications de procédés qui ne tient pas compte de machines précises; iii) le critère de la machine ou de la transformation décrit par le Federal Circuit ne constitue pas l’unique critère afin de déterminer la brevetabilité; et iv) le critère se rapportant à l’aspect « utile, concret et donnant des résultats tangibles » figurant dans la décision State Street ne doit pas être approuvé. Le juge Scalia a adhéré à l’opinion du juge Breyer en ce qui a trait aux éléments susmentionnés.

La décision rendue par la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Bilski laisse clairement entendre que le Federal Circuit devra, au cours des prochaines années, élaborer d’autres critères afin d’établir l’admissibilité à la protection par brevet, notamment à l’égard des pratiques commerciales qui, à la suite de cette importante décision, n’ont pas été entièrement exclues d’une admissibilité possible en vertu de la législation américaine sur les brevets.

Contrairement à la décision dans l’affaire Bilski, la législation canadienne stipule actuellement que lorsqu’un objet revendiqué consiste par sa substance en un schéma, un plan ou des règles applicables à la conduite des affaires, il ne peut alors être breveté en vertu de la Loi sur les brevets du Canada. C’est la position adoptée par le commissaire aux brevets et la Commission d’appel des brevets dans les affaires Amazon.com et U-Haul. Les professionnels du milieu des brevets au Canada attendent impatiemment une décision dans l’affaire Amazon.com, laquelle a été portée en appel devant la Cour fédérale du Canada.