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La Cour européenne de justice statue que les avocats internes d’une société ne sont pas tenus à la confidentialité des communications entre avocats et clients dans le cadre d’enquêtes sur la concurrence de la Commission européenne

Le 14 septembre 2010, la Cour européenne de justice, le plus haut tribunal de l’Europe, a statué que les communications entre une société et ses avocats internes ne bénéficient pas de la protection de la confidentialité de la communication entre avocats et clients (le secret professionnel de l’avocat au Canada) lorsque la société fait l’objet d’une enquête des autorités de concurrence de l’Union européenne.

En appel de la décision rendue dans l’affaire Akzo Nobel Chemicals Ltd. c. Commission, Akzo conteste la saisie et l’utilisation par la Commission de deux courriers électroniques échangés entre la société et son avocat interne au cours d’une perquisition en 2003 dans les bureaux de la société au Royaume-Uni. La Commission était à la recherche de preuves d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles. Akzo a fait valoir que les communications par courriel électronique entre la société et ses avocats internes bénéficiaient de la protection de la confidentialité, tandis que la Commission était d’avis contraire. En 2007, le Tribunal de première instance a statué que les communications ne bénéficiaient pas de la protection de la confidentialité; la Cour européenne de justice confirme maintenant cette décision.

La Cour fonde sa décision en grande partie sur l’absence d’indépendance de l’avocat interne en raison de sa relation d’emploi : « L’avocat interne ne saurait [...] être assimilé à un avocat externe du fait de la situation de salariat dans laquelle il se trouve, situation qui, par sa nature même, ne permet pas à l’avocat interne de s’écarter des stratégies commerciales poursuivies par son employeur et met ainsi en cause sa capacité à agir dans une indépendance professionnelle ».

Ce raisonnement est conforme à la décision que ce même tribunal a rendue en 1982 dans l’affaire AM & S Europe Ltd. c. Commission, dans laquelle le tribunal a établi les deux conditions de la confidentialité des communications écrites entre avocats et clients : l’échange avec l’avocat doit être lié aux « droits de la défense du client », et l’échange doit émaner d’un « avocat indépendant, c’est-à-dire non lié au client par un rapport d’emploi ». Dans l’affaire Akzo, la Cour a examiné ces conditions et en est arrivée à la conclusion suivante : « Il en résulte que, du fait tant de la dépendance économique de l’avocat interne que des liens étroits avec son employeur, l’avocat interne ne jouit pas d’une indépendance professionnelle comparable à celle d’un avocat externe ».

La Cour a rejeté l’argument d’Akzo selon lequel l’avocat interne inscrit à un barreau ou à un ordre des avocats — comme c’est le cas en l’espèce — est, du fait de ses obligations professionnelles et des règles de déontologie et de discipline professionnelle qui en découlent, tout aussi indépendant qu’un avocat externe. Les appelants ont par ailleurs fait valoir que le « paysage juridique » avait sensiblement évolué depuis 1982 — plusieurs États membres ayant notamment décidé d’étendre la portée de la confidentialité des communications aux avocats internes — et que la décision dans l’affaire AM & S devrait être revue. La Cour a également rejeté cet argument, soulignant qu’il n’existe aucune tendance prépondérante au sein des États membres en faveur d’une protection de la confidentialité des communications des avocats internes.

La décision n’est sans doute pas surprenante compte tenu de l’avis consultatif de l’avocat général rendu en avril selon lequel la Cour devrait rejeter l’appel pour des motifs analogues à ceux auxquels la Cour a à terme souscrit. (L’avocat général dans cette affaire, MJuliane Kokott, est l’un des huit conseillers juridiques nommés de la Cour européenne de justice; les avocats généraux rendent à l’intention de la Cour des avis qui, toutefois, ne lient pas la Cour.)

La décision de la Cour sur cette affaire est définitive.

Remarques de McCarthy Tétrault

Le raisonnement dans l’affaire Akzo diverge du droit canadien et américain aux termes duquel les communications avec tous les avocats, internes ou externes, en vue d’obtenir ou de fournir un avis juridique bénéficient du secret professionnel des avocats, et a d’importantes répercussions pour les sociétés faisant affaire en Europe et celles parties à des instances en matière de concurrence devant la Commission européenne.

Les avocats internes en Europe auraient avantage à ne donner des avis en matière de droit de la concurrence que sous une forme non écrite et non enregistrable. Les sociétés pourraient également chercher à embaucher des conseillers juridiques externes afin de garantir la protection des communications, et devraient même envisager d’exclure les conseillers juridiques internes des discussions. Cette décision sera coûteuse, notamment en temps, pour les sociétés qui devront désormais s’en remettre davantage aux conseillers juridiques externes.

Les avocats en droit de la concurrence, tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle de l’Europe, ont fortement critiqué la décision qui ne reconnaît pas la valeur et le jugement indépendant des conseillers juridiques internes. Elle est également incompatible avec la notion selon laquelle les conseillers juridiques internes devraient être les principaux conseillers quant à l’application du droit de la concurrence et peut ainsi les détourner de l’objectif qui est d’encourager l’observation de la législation sur la concurrence.

En ce qui a trait aux communications avec les conseillers juridiques non qualifiés européens, bien que la décision n’en parle pas expressément, l’avocat général est d’avis que la protection du secret professionnel des avocats ne devrait pas être étendue aux communications avec les avocats internes qui sont membres d’un barreau ou de l’ordre des avocats dans un pays tiers, au motif que les compétences et obligations déontologiques de ces avocats ne sont pas reconnues. Un conseiller juridique interne canadien, de même qu’un conseiller juridique externe non qualifié européen ici au Canada, devrait donc être prudent lorsqu’il conseille des sociétés qui font affaire en Europe, notamment s’il prévoit fournir (ou reproduire) des conseils (courrier électronique) écrits aux employés de ces sociétés en Europe.

Cette décision est par ailleurs importante pour les conseillers juridiques canadiens (tant internes qu’externes) du fait que les enquêtes en matière de concurrence sont souvent de nature internationale et peuvent comprendre l’échange d’informations entre les autorités antitrust. Cette décision évoque le spectre d’un possible échange de communications par des conseillers juridiques internes européens obtenues par la Commission européenne avec des autorités étrangères.

Même si la décision dans l’affaire Akzo ne s’applique qu’aux communications entre des sociétés et des conseillers juridiques internes dans le cadre d’enquêtes sur la concurrence de la Commission européenne, on craint que le raisonnement puisse servir éventuellement à limiter davantage le secret professionnel des avocats dans les États membres de l’Union européenne de façon plus générale.