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La Cour demande l’exécution intégrale du droit de renouvellement d’une franchisée malgré un amer conflit personnel avec le franchiseur

La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu récemment une décision dans l’affaire 760437 Alberta Ltd. v. Fabutan Corporation (Fabutan) qui présente un rappel important aux franchiseurs : la Cour peut bel et bien ordonner l’exécution intégrale du droit de renouvellement d’une franchisée malgré l’existence d’un amer conflit entre les représentants du franchiseur et de la franchisée.

Il y a trois grandes leçons à tirer de la décision de la Cour dans Fabutan :

  1. Fabutan est l’une des rares causes au Canada où la Cour a rendu une injonction définitive (permanente) pour faire exécuter un droit de renouvellement dans un contrat de franchise. Dans cette affaire, il a été ordonné au franchiseur de présenter à la franchisée un nouveau contrat de franchise d’une durée de 10 ans.
  2. Fabutan représente un récit édifiant concernant les conflits de personnalité avec des personnes représentant le franchiseur et la franchisée. La Cour a statué que, malgré le conflit de personnalité et les relations tendues qu'entretenaient les personnes visées, les aspects commerciaux de la relation de franchise pouvaient néanmoins continuer de fonctionner. Pour cette Cour, une preuve solide — démontrant que les aspects commerciaux de la relation ne pourraient plus fonctionner à l’avenir — était nécessaire pour permettre au franchiseur de résilier le contrat et priver la franchisée de l’exécution en nature.
  3. Fabutan offre un rappel important aux franchiseurs quant à la façon d’exercer la discrétion contractuelle relativement à un droit de renouvellement. Les franchiseurs doivent être prudents dans l’exercice de leur discrétion contractuelle afin de renouveler des contrats de franchise de façon judicieuse sans être influencés par un conflit personnel, même si la franchisée a mal agi. Finalement, dans Fabutan, la Cour a été fortement influencée par le libellé bien clair de la clause de renouvellement accordant à la franchisée le droit au renouvellement en l’absence de motif valable à l’effet contraire.

Contexte

Le franchiseur et la franchisée étaient frère et sœur. Dans les décennies qui ont précédé le conflit, la franchisée avait à l’occasion exploité divers emplacements sous franchise, et les contrats relatifs à ces emplacements avaient été renouvelés pour des périodes de 10 ans sans incident. La franchisée, en sa qualité personnelle, avait également prêté de l’argent au franchiseur à plusieurs reprises. Au moment des événements en cause, le franchiseur et des sociétés apparentées devaient environ 450 000 $ à la franchisée.

Le conflit est né d’un courriel que le frère a envoyé aux franchisés de Fabutan laissant entendre que la sœur avait triché lors d’un récent concours de vente de la franchise. Ce conflit a rapidement dégénéré entre les parties. Le frère et la sœur ont tenté d’user de rétorsion à l’encontre des attaques dont ils se croyaient victimes : la sœur en demandant le paiement des prêts impayés, et le frère en menaçant de ne pas renouveler le contrat de franchise de la sœur. Il était évident que d’autres franchisés s’inquiétaient de l’effet que le conflit aurait sur l’entreprise.

Pendant le conflit, diverses options de renouvellement ont été présentées et retirées par le frère à titre de franchiseur. Ces options de renouvellement comprenaient diverses conditions qui n’étaient énoncées que dans le contrat de renouvellement offert à la sœur et non dans le libellé type des renouvellements offerts aux autres franchisés, notamment l’exigence que la franchisée dépose une garantie supplémentaire et cède ses baux au franchiseur. À un moment donné, la sœur a déclaré dans un courriel qu’elle [TRADUCTION] « ne signerait aucune forme de contrat que vous ou vos conseillers juridiques avaient préparé ou prépareraient ». Finalement, le franchiseur a tenté de résilier le bail au motif que la franchisée avait porté atteinte à la réputation du franchiseur ou l’avait discrédité. La franchise a été rétablie en attendant que la Cour tranche les droits de renouvellement.

La Cour ordonne l’exécution en nature du droit de renouvellement de la franchisée

La Cour a conclu que le libellé bien clair de la clause de renouvellement accordait à la franchisée le droit de renouveler le contrat conformément aux modalités du libellé type de renouvellement existant au moment considéré. Ce droit ne pouvait être rejeté que s’il y avait un « motif valable » de résilier le contrat. Les questions dont la Cour a été saisie étaient donc : i) de savoir si l’un ou l’autre des motifs du franchiseur de refuser le renouvellement du contrat constituait un motif valable de résiliation et ii) de savoir si les options de renouvellement proposées par le franchiseur respectaient l’exigence d’être conformes au libellé type des ententes de renouvellement au moment considéré.

En ce qui a trait à l’exigence relative au motif valable, la Cour a rejeté l’argument du franchiseur voulant qu’il ait résilié le contrat parce qu’il s’inquiétait que sa sœur ait causé ou pouvait causer une atteinte à la marque de la franchise. La Cour a conclu que le conflit était une « prise de bec » familiale et que le frère et la sœur avaient agi sans se préoccuper de l’effet que leurs actions auraient sur la réputation de l’entreprise. De plus, la Cour a conclu que, même si la relation personnelle entre le frère et la sœur était évidemment mise à rude épreuve, la relation d’entreprise entre le franchiseur et la franchisée pouvait se poursuivre. Il n’y avait aucune « perte de confiance » ni détérioration de la relation de franchise suffisante pour justifier la résiliation. La conduite de la sœur à titre de créancière exerçant valablement son droit de demander le remboursement des prêts dus par le franchiseur ne constituait pas un motif valable pour résilier un contrat de franchise sans rapport avec ces prêts.

Pour ce qui est de la deuxième question, la Cour a conclu qu’en imposant des conditions particulièrement sévères au contrat de renouvellement de sa sœur, le franchiseur avait omis d’offrir le libellé type de renouvellement de la franchise comme il était tenu de le faire aux termes du contrat de franchise. Par conséquent, la déclaration de la franchisée selon laquelle elle [TRADUCTION] « ne signerait aucune forme de contrat » ne constituait pas un refus de signer un contrat type. Par ailleurs, la Cour a souligné l’obligation de traitement équitable du franchiseur en vertu de l’article 7 de la loi de l’Alberta intitulée Franchises Act et conclu que le franchiseur avait violé son obligation (énoncée dans l’affaire Shelanu Inc. v. Print Three Franchising Corp.) d’agir de bonne foi dans l’exécution du contrat. Les justifications non corroborées présentées par le franchiseur à l’égard du non-renouvellement, la « volte-face » dans la présentation et le retrait de diverses offres de renouvellement, ainsi que les conditions sévères de renouvellement imposées uniquement à la sœur, étaient toutes des exemples de la mauvaise foi du franchiseur dans le cadre de la négociation du renouvellement.

Par conséquent, la Cour a ordonné l’exécution en nature de l’option de renouvellement aux conditions du libellé type du renouvellement existant au moment du conflit, lequel était un renouvellement de 10 ans. Le fait que la sœur ait également agi de façon inappropriée en se livrant à des communications destructives avec son frère et en faisant intervenir d’autres franchisés dans le conflit ne la privait pas du recours en équité visant l’exécution en nature.

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