Passer au contenu directement.

La Cour d’appel de l’Alberta rend une importante décision en matière de protection des renseignements personnels

La Cour d’appel de l’Alberta a récemment renversé une décision du Commissaire à la protection de la vie privée de l’Alberta ce qui aura une incidence importante pour les entreprises en Alberta et en Colombie-Britannique. La Cour a fait preuve de retenue envers les entreprises et l’adoption de politiques raisonnables relativement à la collecte de renseignements personnels. La majorité a statué que la collecte de renseignements personnels ne doit être que « raisonnable ». L’entreprise n’est pas tenue de démontrer qu’elle a adopté les « meilleures pratiques ou les pratiques les moins contraignantes ». Cliquez ici pour un sommaire de la décision (en anglais seulement).

Sommaire

Dans le cadre d’une décision partagée publiée le 29 mars 2011, la Cour d’appel de l’Alberta a renversé une décision prise par le Commissaire à la protection de la vie privée de l’Alberta dans l’affaire : Leon’s Furniture Limited v. Alberta (Information and Privacy Commissioner), 2011 ABCA 94. MGeoff Hall et Kara Smyth de McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l. ont représenté Leon’s, la partie qui a gagné l’appel.

Leon’s a comme politique de prendre en note le numéro du permis de conduire et de la plaque d’immatriculation du conducteur lorsqu’un client prend livraison de marchandises quelque temps après la date d’achat. Leon’s agit ainsi pour pouvoir être en mesure de remettre les renseignements aux policiers en cas d’allégations subséquentes de vol ou de fraude, par exemple, lorsqu’un fraudeur qui prétend être l’acheteur prend possession de la marchandise. Ces renseignements sont gardés dans un endroit sûr et ne servent pas à d’autres fins qu’à celles d’aider les policiers en cas d’allégations de vol ou de fraude.

Le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la politique de Leon’s était illégale aux termes de la loi de l’Alberta intitulée Personal Information Protection Act (la « PIPA »), et a même déclaré que le fait de prendre en note les numéros de plaques d’immatriculation violait la loi. Initialement, la décision du Commissaire à la protection de la vie privée a été confirmée lors d’une révision judiciaire par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta. La Cour d’appel de l’Alberta a renversé cette décision par une majorité de deux contre un.

L’interprétation de la PIPA a entraîné une mésentente importante entre la majorité et la dissidence de la Cour d’appel. La majorité a accepté l’argument de Leon’s selon lequel il devait y avoir un équilibre entre i) le droit d’une personne à la protection de ses renseignements personnels; et ii) le besoin qu’ont les entreprises de recueillir, d’utiliser ou de divulguer des renseignements personnels à des fins raisonnables.

S’exprimant au nom de la majorité, le juge Slatter a souligné que ni l’une ni l’autre des deux valeurs concurrentes n’était prépondérante. Au paragraphe 34, il a indiqué :

[Traduction] « La loi n’accorde pas la primauté à l’une ou l’autre des deux valeurs concurrentes, et toute interprétation selon laquelle une des valeurs doit toujours prévaloir par rapport à l’autre est vraisemblablement déraisonnable. Un équilibre est nécessaire. Cet équilibre n’est pas entièrement mis en œuvre par les autres dispositions de la Loi. » [nous soulignons]

En plus de reconnaître les droits du détaillant, la majorité a reconnu l’intérêt public en général relativement à la prévention de la fraude.

[Traduction] « Cependant, leur importance reconnue [l’importance des droits de la protection des renseignements personnels] ne signifie pas que les droits de la protection des renseignements personnels doivent primer sur tous les autres besoins, valeurs et intérêts de la société. Le fait que les intérêts du client soient importants ne signifie pas que ceux du détaillant ne le soient pas. Notre société est complexe et de plus en plus axée sur l’information et de nombreuses organisations, entreprises et personnes doivent utiliser quotidiennement des renseignements personnels pour des raisons légitimes. » (paragraphe 35)

La majorité a reconnu la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée selon laquelle les numéros de permis de conduire constituent des « renseignements personnels » en vertu de la PIPA et a donc donné une mise en garde à l’égard de l’imposition de restrictions générales sur leur utilisation :

[Traduction] « Les permis de conduire ne sont pas simplement une preuve que le détenteur est autorisé à conduire; l’Albertain moyen utilise son permis de conduire beaucoup plus souvent pour prouver l’identité que le droit de conduire…

Pour établir quelle utilisation des numéros de permis de conduire pourrait être jugée « appropriée dans les circonstances » par des « personnes raisonnables », il faut donc tenir compte de l’importance des permis de conduire en tant que pièce d’identité à l’échelle mondiale…

Bien que la protection des Albertains contre les atteintes à la vie privée, les pratiques de commercialisation inopportunes et le vol d’identité soit un objectif noble, il est déraisonnable d’imposer des restrictions sur l’utilisation des permis de conduire qui diminuent sérieusement leur utilisation comme pièce d’identité. L’article 3 de la Loi reconnaît spécifiquement que les personnes et les organisations ont toutes des raisons légitimes d’utiliser les renseignements personnels de cette façon. » (paragraphes 40-41)

Lors de l’évaluation du caractère raisonnable de la collecte des numéros de plaques d’immatriculation, la majorité a conclu que les numéros de plaques d’immatriculation ne constituent pas des [traduction] « renseignements personnels… au sujet d’une personne » en vertu de la Loi. La Cour a indiqué qu’un numéro d’immatriculation est [traduction] « lié à un véhicule et non à une personne ». (paragraphe 49) [traduction] « Il n’est pas logique de déclarer réellement, comme l’a fait l’arbitre, que tout le monde peut prendre en note le numéro de plaque d’immatriculation d’un client, à l’exception de l’appelant. » (paragraphe 50)

Dans l’évaluation du caractère raisonnable de la décision du Commissaire à la protection de la vie privée, la Cour a déclaré que le Commissaire à la protection de la vie privée avait commis une erreur en concluant qu’une organisation doit mettre en œuvre les politiques les moins contraignantes possibles. La Cour a plutôt conclu qu’une organisation doit mettre en œuvre une méthode raisonnable en matière de collecte de renseignements personnels. La Cour a déclaré :

[Traduction] « …le caractère raisonnable de la décision de l’arbitre est amoindri par son omission à reconnaître que l’appelant était tenu de démontrer que ses politiques étaient « raisonnables » et non pas qu’elles étaient les « meilleures pratiques ou les pratiques les moins contraignantes ». Les articles 3 et 11 ne créent pas un critère de « primauté »; le critère est la question de savoir si l’utilisation des renseignements est « raisonnablement nécessaire ». Cette norme n’exige pas d’une organisation qu’elle prenne en compte, dans toutes les circonstances, les droits de la protection des renseignements personnels. Le défendeur [Commissaire à la protection de la vie privée] n’a pas le pouvoir d’ordonner à une organisation de changer sa façon de faire affaire simplement parce qu’il croit avoir trouvé une meilleure façon de faire. Tant que les activités sont exercées de façon raisonnable, il n’importe pas de savoir s’il peut également y avoir d’autres façons raisonnables de faire. »

Enfin, la Cour a jugé que la conclusion du Commissaire à la protection de la vie privée selon laquelle la politique de Leon’s relativement à la livraison de marchandises à des tiers [traduction] « était déraisonnable est elle-même déraisonnable » :

[Traduction] « L’approche utilisée par l’arbitre [Commissaire à la protection de la vie privée] a été influencée par la perception selon laquelle les droits de la protection des renseignements personnels l’emportent dans toutes les circonstances sur le besoin légitime d’utiliser des renseignements. Il était également déraisonnable de la part de l’arbitre de conclure que la politique de l’appelant était déraisonnable parce que l’arbitre croyait qu’il y avait d’autres façons raisonnables d’exploiter l’entreprise ». (paragraphe 65)

Cette décision constitue évidemment une très grande victoire pour les entreprises, plus particulièrement les entreprises de détail, en Alberta. Il s’agit également d’une décision importante pour la Colombie-Britannique qui possède une législation en matière de protection des renseignements personnels semblable à celle de l’Alberta. Elle a une pertinence limitée à l’extérieur de l’Alberta et de la Colombie-Britannique puisque la décision de la majorité s’appuyait sur une disposition de la loi de l’Alberta, qui est libellée différemment de la législation fédérale en matière de droits de la protection des renseignements personnels (PIPEDA). Cependant, même à l’extérieur de l’Alberta et de la Colombie-Britannique, il s’agit d’une décision importante que nos clients voudront utiliser pleinement pour limiter les excès des commissaires à la protection de la vie privée.

Auteurs