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La Cour conclut qu’une omission importante dans le document d’information relatif à la franchise donne uniquement un droit de résolution dans un délai de 60 jours

Dans une décision récente importante, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a récemment accueilli une requête en jugement sommaire partiel dans l’affaire Caffé Demetre v. 2249027 Ontario Inc.. Il s’agit de la première demande de résolution d’un contrat de franchisage tranchée depuis que le nouveau test devant être appliqué à une telle requête en jugement sommaire ait été élaboré par la Cour suprême du Canada dans Hryniak c. Mauldin. L’affaire est l’une des premières où un tribunal de l’Ontario a tranché qu’un franchisé était assujetti à un délai de 60 jours pour présenter une demande de résolution même s’il manquait un fait important dans le document d’information relatif à la franchise. L’affaire démontre également que les demandes de résolution fondées sur des manquements allégués dans le document d’information relatif à la franchise en violation de la Loi Arthur Wishart de 2000 sur la divulgation relative aux franchises (Loi) et des dispositions analogues dans la législation en matière de franchise de l’Alberta, du Manitoba, du Nouveau-Brunswick et de l’Île-du-Prince-Édouard peuvent être tranchées en ayant recours au cadre nouvellement élargi de la requête en jugement sommaire.

Contexte

Dans l’affaire Caffé Demetre, le franchiseur a entrepris un recours contre l’un de ses franchisés après que le franchisé eut omis de répondre à divers avis de manquement et eut démarré une entreprise concurrente sous un autre nom dans le local occupé par la franchise. De son côté, le franchisé a signifié un avis de résolution du contrat de franchisage et a déposé une demande reconventionnelle. Le franchisé s’est appuyé sur le paragraphe 6(2) de la Loi qui autorise la résolution, dans un délai de deux ans, « si le franchiseur ne lui a jamais remis le document d’information ». Le franchisé a fait valoir que le document d’information ne mentionnait pas « tous les faits importants » au sujet de la franchise, contrairement à ce qui est prescrit au paragraphe 5(4) de la Loi, de telle sorte qu’il ne pouvait aucunement être considéré comme un document d’information.

Plus particulièrement, le franchisé a prétendu que le franchiseur a omis de divulguer : (1) qu’il était partie à un litige l’opposant à un ancien franchisé qui occupait le même local et qui a démarré une entreprise concurrente, Spin Desserts, à 7,5 kilomètres du local en question; (2) qu’il mettrait en œuvre une nouvelle politique relative aux pourboires interdisant aux franchisés de prendre possession d’une portion des pourboires de leurs employés; (3) qu’il mettrait en œuvre une nouvelle politique exigeant du dirigeant du propriétaire de chaque franchise qu’il assume seul la responsabilité de fabriquer la crème glacée dans le local; et (4) qu’il exigerait du franchisé qu’il effectue des travaux de réaménagement et de rénovation.

Le franchiseur a présenté une requête en jugement sommaire partiel à l’égard de la demande de résolution du franchisé en vertu de la Loi.

Décision

Manquements allégués dans le document d’information

La Cour a d’abord considéré les quatre manquements allégués dans le document d’information comme suit :

(1) Omission de divulguer le litige avec Spin Desserts : La Cour a souligné que même si le recours n’a été déposé qu’un mois après la délivrance du document d’information, les courriels du franchiseur démontraient que ce recours était envisagé au moment de la divulgation. Toutefois, le recours n’impliquerait pas une responsabilité éventuelle des franchisés, mais simplement une mesure proactive prise pour protéger la propriété intellectuelle de l’exploitation en entier puisque le concurrent a prétendument utilisé les recettes de la franchise. En outre, le lieu où le concurrent s’est installé fait en sorte qu’il n’y aura aucune répercussion, quelle qu’elle soit, sur les ventes du franchisé. La Cour a souligné que, par conséquent, il était « difficile de voir comment l’existence du litige pourrait avoir un effet important sur le prix que devra payer le franchisé au sens de la définition de « fait important » [traduction]. Toutefois, la Cour a conclu que ce litige en particulier aurait dû être divulgué dans le document d’information à titre de fait important. Cette conclusion est difficile à réconcilier avec la réglementation de l’Ontario, laquelle exige seulement la divulgation de certains recours entrepris contre le franchiseur.

(2) La politique relative aux pourboires : Le nouvelle politique qui interdit aux employeurs de retenir une portion des pourboires obtenus par leurs employés découle de la législation provinciale et a fait son apparition en août 2012, soit 14 mois après la remise du document d’information. Aucune preuve démontrant qu’elle était envisagée au moment où le document d’information a été remis n’a été présentée et, par conséquent, elle ne pouvait être considérée comme un fait important.

(3) La politique relative à la fabrication de la crème glacée : La politique exigeant que les dirigeants des propriétaires des franchises assument seuls la responsabilité de la production de la crème glacée a été adoptée 20 mois après la remise du document d’information et, par conséquent, ne pouvait être considérée comme un fait important qui aurait dû être divulgué.

(4) Travaux d’aménagement et de rénovation : En août 2012, le franchiseur a inspecté l’état, l’apparence et la propreté des locaux du franchisé et lui a fourni une liste d’éléments à corriger conformément à ses droits prévus au contrat de franchise. Le franchisé a refusé d’effectuer quelque travail que ce soit. La Cour a conclu, encore une fois, que le problème ne pouvait être considéré comme un fait important puisqu’il est survenu 14 mois après la remise du document d’information. En outre, le contrat d’acquisition de la franchise conclu par le franchisé avec le propriétaire précédent exigeait que ce dernier remette le magasin en état. Le franchisé n’a pris aucune mesure pour exiger du propriétaire précédent qu’il effectue quelque amélioration que ce soit. Même si des rénovations avaient été exigées en 2011 au moment où le document d’information a été remis, cet élément ne pouvait être considéré comme un fait important puisque le coût aurait été supporté par le propriétaire précédent et n’aurait entraîné aucuns frais pour le franchisé.

La Cour a conclu que seul le litige avec Spin Desserts pouvait être considéré comme un fait important. Bien qu’il soit permis de croire que cette conclusion pourrait être contestée en raison du libellé clair de la réglementation qui traite de l’exigence de divulguer les litiges, la conclusion de la Cour est importante sur le plan des conséquences du manquement d’un franchiseur de divulguer ce fait important. Selon la Cour, puisqu’il n’y avait aucun fondement pour inférer que le litige aurait pu avoir des répercussions financières sur l’exploitation du franchisé et que le problème constituait simplement ce que la Cour a qualifié de « manquement quant au contenu » [traduction], celui-ci ne pouvait donner ouverture qu’à un droit de résolution devant être exercé dans un délai de 60 jours (plutôt que de deux ans). La Cour a conclu que seuls les manquements « graves et importants » dans la divulgation permettaient à un tribunal de conclure que ces manquements équivalent à une absence de divulgation :

« [Un] manquement quant au contenu entraîne seulement des droits de résolution en vertu du paragraphe 6(1) [60 jours]. Ce sont seulement les manquements graves et importants dans le document d’information qui permettent à la Cour de conclure que ceux-ci équivalent à une absence de divulgation (laquelle entraîne un droit de résolution pouvant être exercé dans un délai de deux ans). Le recours général de la résolution est limité aux "circonstances d’un manquement absolu de fournir le document d’information" » [traduction].

Jugement sommaire

La Cour a accueilli la requête en jugement sommaire partiel, rejetant la demande de résolution. La déposée à la Cour consistait en divers documents, les plaidoiries des défendeurs ainsi que les faits non contestés et les admissions du franchisé au cours de son contre-interrogatoire; essentiellement, les faits n’étaient pas contestés. Dans ces conditions, le juge Heeney a conclu « que le processus de la requête en jugement sommaire [lui] a fourni la preuve requise pour trancher cette partie du litige de manière juste et équitable au moyen d’une procédure rapide, abordable et proportionnée » [traduction].

Il est important de souligner que la requête visait uniquement à rejeter la demande reconventionnelle en résolution du franchisé parce que les parties avaient convenu qu’un procès serait nécessaire pour régler les autres questions. La Cour a examiné s’il était rentable d’entreprendre une requête en jugement sommaire partiel lorsque les deux parties ont reconnu que le procès serait quand même nécessaire et a conclu que si la question de la résolution était réglée, cela augmenterait les chances d’éviter un long procès.

Principales leçons

La Cour a réaffirmé le principe de base selon lequel le point de référence approprié pour l’examen des manquements allégués dans un document d’information relatif à la franchise est le moment où le document d’information est remis. Sous réserve de changements importants survenant avant la signature du contrat de franchisage ou le paiement de la contrepartie, les problèmes qui surviennent après le fait ne peuvent être considérés comme des faits importants ayant été omis dans les documents d’information.

De manière plus importante, cette décision fait partie de l’évolution de la distinction entre les manquements suffisants pour justifier la résolution en vertu des paragraphes
6(1) (dans un délai de 60 jours) et 6(2) (dans un délai de deux ans). Le raisonnement de la Cour dans cette affaire laisse entendre que les faits importants qui doivent être divulgués dans le contexte d’une divulgation exhaustive, mais qui n’auront vraisemblablement pas d’incidence sur le prix qui sera payé pour la franchise ou sur les ventes du franchisé (comme le litige avec Spin Desserts dans cette affaire), peuvent ne pas être suffisants pour donner ouverture au recours en résolution pouvant être exercé dans un délai de deux ans. Cela devrait rassurer les franchiseurs. Toutefois, nous attendrons une conclusion formelle à ce sujet de la part de la Cour d’appel lorsqu’elle sera appelée à se pencher sur un problème similaire.

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