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La BCSC dit non à la réaction de « blocage » du conseil à une offre publique d’achat hostile

La Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique (BCSC) a publié les motifs finaux de la majorité dans l’affaire Icahn Partners et Lions Gate Entertainment. La BCSC avait rendu une ordonnance d’interdiction d’opérations relativement au régime de droits des actionnaires (RDA) de Lions Gate à la conclusion d’une audition en avril 2010. Dans les motifs sommaires qui avaient suivi, la majorité du comité saisi de l’affaire avait exprimé des réserves à l’effet que les décisions de la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta dans l’affaire Pulse Data Inc. et de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario dans l’affaire NEO Materials Technologies semblaient s’écarter du point de vue des Autorités canadiennes en valeurs mobilières concernant l’intérêt du public en ce qui a trait aux régimes de droits des actionnaires dans les décisions antérieures des commissions des valeurs mobilières canadiennes et de l’Instruction générale 62-202 sur les mesures de défense contre une offre publique d’achat.

On s’attendait à ce que les motifs finaux abordent la question de savoir si un conseil agissant en sa qualité de fiduciaire pouvait utiliser des mesures de défense pour « faire blocage » à une offre publique d’achat hostile sans accorder aux actionnaires la possibilité de décider s’ils doivent ou non déposer leurs titres en réponse à l’offre.

Les motifs de la majorité (disponible en anglais seulement) énoncent clairement le point de vue reconnu selon lequel les mesures de défense face à une offre publique d’achat hostile sont des mesures temporaires qui ne sont tolérées que pour autant qu’elles facilitent l’effort de maximiser la valeur pour les actionnaires grâce à des améliorations apportées à l’offre publique d’achat, à des offres concurrentes ou à des opérations de rechange. Toutefois, les mesures de défense seront annulées si elles sont susceptibles de priver les actionnaires de la possibilité de décider s’ils doivent ou non déposer leurs titres en réponse à l’offre publique d’achat.

Nonobstant la position ferme qu’a adoptée la majorité, cette décision ne se prononce pas sur la question de savoir si l’appui d’actionnaires éclairés à un RDA adopté en réponse à une offre précise, ou la décision du conseil, agissant en sa qualité de fiduciaire, voulant que les intérêts à long terme de la société soient mieux servis en disant tout simplement « non » à une offre publique d’achat hostile, constituaient des motifs suffisants pour refuser d’annuler un RDA.

Le contexte de cette décision remonte au 1er mars 2010, lorsque le Groupe Icahn a offert d’acquérir jusqu’à 10 % des actions en circulation de Lions Gate au prix de 6,00 $ US l’action. Le conseil d’administration de Lions Gate a recommandé de refuser l’offre au motif qu’elle était financièrement insuffisante, qu’elle était coercitive et qu’elle n’était pas dans l’intérêt véritable de la société. Le conseil de Lions Gate a adopté un RDA et convoqué une assemblée des actionnaires devant avoir lieu le 4 mai 2010 pour que les actionnaires votent à l’égard du régime. Icahn a modifié l’offre pour chercher à acquérir toutes les actions en circulation de Lions Gate au prix de 7,00 $ US l’action; cette offre modifiée venait à expiration le 30 avril 2010.

L’offre d’Icahn comportait une condition de dépôt minimal selon laquelle le nombre d’actions déposées, une fois regroupées avec celles appartenant à Icahn, devait être supérieur à 50,1 % des actions de Lions Gate en circulation. L’offre modifiée réservait le droit de renoncer à cette condition de dépôt minimal. Icahn a demandé à la BCSC d’interdire les opérations du RDA de Lions Gate, et le 27 avril 2010, après une audition tenue le même jour, la BCSC a délivré une ordonnance d’interdiction d’opérations relativement au RDA.

Les motifs de la majorité donnaient des détails sur la décision de la BCSC voulant qu’il était dans l’intérêt du public de rendre une ordonnance d’interdiction d’opérations relativement au RDA de Lions Gate compte tenu de l’offre d’Icahn : [traduction] « La majorité adopte le principe que chaque actionnaire d’une société visée doit avoir la possibilité de décider s’il doit ou non déposer ses actions en réponse à l’offre. Le conseil d’une société visée a le devoir fiduciaire d’agir dans l’intérêt véritable de la société, et les autorités canadiennes en valeurs mobilières hésitent à entraver les mesures prises par le conseil d’une société visée pour s’acquitter de son devoir fiduciaire face à une offre d’achat hostile. »

Les mesures de défense comme les RDA ne sont pas contraires à l’intérêt du public lorsqu’elles s’inscrivent dans des efforts pour maximiser la valeur pour les actionnaires grâce à des améliorations apportées à l’offre existante, à des offres concurrentes ou à des opérations de rechange. Toutefois, les mesures de défense ne sont que des mesures temporaires et ne seront pas tolérées si elles privent les actionnaires de la possibilité de décider s’ils doivent ou non accepter une offre.

Les motifs de la majorité reconnaissent que les offres publiques d’achat sont tributaires de faits qui leur sont propres et que des facteurs différents s’appliqueront dans chaque cas. Parmi les facteurs qui sont souvent retenus pour décider s’il est opportun d’ordonner l’interdiction d’opérations relativement aux RDA ou s’il existe des solutions de rechange réalistes à l’offre existante, on compte : i) à quel moment le RDA a été adopté? ii) a-t-il ou non obtenu l’appui d’un grand nombre d’actionnaires? et iii) l’offre existante est-elle coercitive ou déloyale?

Le facteur le plus important dans les motifs de la majorité a été la décision du conseil de Lions Gate de ne pas chercher à améliorer l’opération et à ne pas chercher une opération de rechange à l’offre d’Icahn. En d’autres termes, le conseil de Lions Gate s’est contenté de dire « non » à l’offre d’Icahn.

La BCSC n’a pas cherché à savoir si cette décision constituait un manquement au devoir fiduciaire du conseil mais a conclu qu’après avoir pris sa décision, le conseil de Lions Gate ne devait pas s’attendre à ce que les autorités de réglementation des valeurs mobilières permettent au RDA d’entraver le droit des actionnaires de décider s’ils doivent déposer ou non leurs actions en réponse à l’offre.

La BCSC a conclu qu’en l’absence de tentative de la part du conseil de la société visée de prendre des mesures pour accroître la valeur pour les actionnaires, que ce soit par une amélioration à l’offre ou par la présentation d’opérations de rechange, rien ne justifiait qu’on permette au RDA de continuer de s’appliquer.

Les motifs de la majorité attiraient l’attention sur l’Instruction générale 62-202 et l’ensemble des décisions des commissions des valeurs mobilières canadiennes qui établissent deux principes :

  1. Une autorité canadienne en valeurs mobilières ne tolérera un RDA que pour accorder au conseil de la société visée le temps nécessaire pour s’acquitter de son devoir fiduciaire.
  2. L’objet de ce devoir est d’améliorer l’offre existante ou d’en trouver une meilleure.

La majorité a rejeté l’interprétation des affaires Pulse et Neo en tant que jurisprudence justifiant la proposition que les conseils de sociétés visées puissent consacrer un RDA et faire blocage aux offres qui ne sont pas permises aux termes du RDA si les actionnaires de la société visée ont approuvé le RDA à la suite de la formulation d’une offre. La BCSC a plutôt interprété les décisions Pulse et Neo comme ne représentant pas un changement important par rapport aux positions de principes relatives à l’intérêt du public des autorités canadiennes en valeurs mobilières régissant les RDA, et mentionne expressément le fait que ces deux décisions avaient prévu qu’un changement dans les circonstances pouvait entraîner une interdiction d’opérations à l’égard du RDA.

Même si le régime du « blocage » est franchement rejeté, certaines questions restent sans réponse au sujet de la portée légitime des mesures de défense en réponse à une offre publique d’achat hostile et quant à savoir si le devoir fiduciaire du conseil de la société visée consiste uniquement à chercher des améliorations ou une opération de rechange à l’offre hostile.

Le recoupement du droit des sociétés et du droit des valeurs mobilières est au centre de ces questions. Si le droit des actionnaires de décider s’ils doivent vendre leurs actions en réponse à une offre publique d’achat a la primauté sur le devoir fiduciaire du conseil de gérer au mieux des intérêts de la société, le risque se pose que des circonstances exceptionnelles ou de courte durée l’emporteront sur ce que le conseil juge comme étant dans l’intérêt véritable à long terme de la société. En d’autres termes, les actionnaires pourraient perdre le droit de décider ce qu’ils font de leurs actions.

La décision dans l’affaire Lions Gate appuie fortement le point de vue selon lequel les actionnaires ne peuvent être privés de la possibilité de déposer leurs actions en réponse à une offre par des mesures de défense qu’adopte le conseil de la société visée. Cependant, lorsque l’on lit cette décision conjointement avec les décisions Pulse et Neo, la question demeure incertaine à savoir si une société visée sera toujours tenue de démontrer la possibilité réaliste d’une meilleure offre ou d’une opération de rechange comme condition favorable à un RDA. Une partie minoritaire des commissaires saisis de l’affaire était d’accord avec le résultat, mais non avec l’argumentation. Au moment de la rédaction, ces motifs n’avaient pas encore été publiés.

Pour prendre connaissance de notre article connexe examinant, entre autres, l’approbation par Patrimoine canadien de l’acquisition de Lions Gate par Icahn, cliquez ici.