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Indications de rendement : La Cour impose une sanction administrative pécuniaire de 500 000 $ dans l’affaire Chatr

Le 21 février 2014, la Cour supérieure de justice de l’Ontario (CSJO) a publié sa décision sur la pénalité dans Commissioner of Competition v. Chatr Wireless Inc. and Rogers Communications Inc.1 À la suite d’une demande du commissaire de la concurrence (commissaire), la CSJO avait auparavant conclu que dans certaines villes, Rogers/Chatr avait omis d’effectuer des tests suffisants et appropriés avant de lancer une campagne publicitaire affirmant qu’elle avait un nombre d’appels interrompus inférieur à celui des nouveaux fournisseurs de services sans fil, contrevenant ainsi à la Loi sur la concurrence (loi). Le commissaire demandait une sanction administrative pécuniaire (SAP) de 5 à 7 millions de dollars et une ordonnance interdisant à Rogers d’adopter une conduite répréhensible similaire au cours des 10 prochaines années. La Cour a ordonné à Rogers/Chatr de payer une SAP de 500 000 $, et a refusé de prononcer l’ordonnance d’interdiction recherchée par le commissaire.

Contexte

En novembre 2010, le commissaire a déposé une demande dans laquelle il alléguait que les indications de Rogers/Chatr affirmant qu’elle avait moins d’appels interrompus que les nouveaux fournisseurs de services sans fil étaient fausses et trompeuses et que Rogers/Chatr n’avait pas effectué « une épreuve suffisante et appropriée » avant de fournir ces indications, le tout en contravention des alinéas 74.01(1)a) et b) de la loi. Dans la décision principale rendue en août 20132, la CSJO a rejeté la majorité de la demande du commissaire aux motifs que les indications de Rogers/Chatr étaient en fait véridiques et que Rogers/Chatr avait effectué des tests suffisants afin d’appuyer sa campagne publicitaire. Toutefois, la CSJO a conclu que, dans certaines villes, Rogers/Chatr n’avait pas effectué les tests requis avant de lancer sa campagne publicitaire. Bien que des tests appropriés effectués dans ces villes après le lancement de la campagne publicitaire aient validé la représentation « moins d’appels interrompus », le fait d’avoir donné l’indication avant l’exécution de tests constituait une infraction à la loi. L’audience sur la pénalité a été tenue afin de déterminer la sanction appropriée à la suite de la publication des représentations quant au nombre inférieur d’appels interrompus sans avoir effectué préalablement les tests requis.

Décision

Le paragraphe 74.1(3) de la loi interdit l’imposition d’une SAP si la partie responsable est en mesure d’établir qu’elle a fait preuve de diligence raisonnable. La CSJO a conclu que Rogers/Chatr n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable parce que, malgré des politiques internes soulignant l’exigence d’effectuer des tests appropriés, elle a pris la décision délibérée de se fier à certains « faits technologiques » (y compris la densité de station cellulaire et des systèmes de transmission à l’intérieur) suggérant que son réseau était supérieur afin d’appuyer les représentations contestées, plutôt que d’effectuer des tests appropriés.

Le commissaire demandait une SAP se situant entre 5 et 7 millions de dollars3. En rejetant cette demande et en décidant d’ordonner une SAP de 500 000 $, la Cour a fait une distinction entre la présente cause et d’autres précédents, compte tenu des éléments suivants :

  • le commissaire n’a pas démontré que les indications quant au nombre inférieur d’appels interrompus étaient fausses et trompeuses;
  • Rogers/Chatr a continué à effectuer des tests appropriés au soutien des indications quant au nombre inférieur d’appels interrompus après les avoir fournies au public;
  • les tests effectués à la suite du lancement de la campagne publicitaire appuyaient les représentations quant au nombre inférieur d’appels interrompus.

La CSJO a pris en considération les facteurs prévus par la loi énumérés au paragraphe 74.1(5) afin de déterminer le montant approprié de la SAP, y compris les suivants :

  • Effet sur la concurrence : La Cour a conclu qu’il y avait eu un effet négatif sur la concurrence puisque le marché avait été exposé au risque que les représentations soient trompeuses. Cependant, les déclarations étaient, en fait, véridiques. Par conséquent, le préjudice subi par les concurrents et par le public était réduit.
  • Situation financière de la défenderesse : La Cour a indiqué que cet élément était pertinent et important dans la détermination de l’ampleur de la SAP. Elle a toutefois refusé de conclure que les revenus importants de Rogers constituaient une circonstance aggravante compte tenu du risque d’atteinte à la réputation découlant d’une telle procédure judiciaire.
  • Comportement antérieur de la défenderesse en ce qui a trait au respect de la loi : Rogers n’a jamais été déclarée responsable de publicité trompeuse aux termes de la loi auparavant, mais dans une autre affaire, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé une injonction contre Rogers interdisant à celle-ci de donner des représentations de fiabilité sans effectuer de tests appropriés. Cette cause a été considérée comme une circonstance aggravante.

Paradoxalement, outre les facteurs prévus par la loi, la CSJO a considéré que, puisque la présente cause visait des indications de rendement qui ont été ultérieurement validées, l’atteinte à la réputation subie par Rogers/Chatr en raison des commentaires des plaignants constituait une circonstance atténuante.

Le commissaire demandait également une ordonnance interdisant à Rogers d’adopter une conduite répréhensible similaire à l’avenir. La CSJO a refusé de prononcer une telle ordonnance d’interdiction, reconnaissant que Rogers/Chatr avait subi une atteinte à sa réputation et engagé des frais importants découlant de la demande du commissaire.

Conclusion

Bien que cette cause soit unique puisque les représentations contestées se sont révélées véridiques mais que, uniquement dans certaines villes, aucun test n’avait été effectué avant le lancement de la campagne publicitaire, la décision est importante et sera pertinente pour les déterminations futures de SAP. En raison du grand nombre de facteurs en jeu dans la détermination de l’ampleur d’une SAP ou de la nécessité d’en ordonner une ou non, il est difficile de prévoir avec certitude le montant de la SAP dans des dossiers de publicité trompeuse et d’indications sur le rendement. À la lumière de l’approche agressive du commissaire en matière de publicité trompeuse, il est important d’avoir en place un programme de conformité et de le respecter en tout temps, et de s’assurer d’effectuer des tests suffisants et appropriés avant de faire des représentations sur le rendement d’un produit ou service.

 


1 2014 ONSC 1146.
2 2013 ONSC 5315.
3 La SAP maximale est de 10 millions de dollars pour une première infraction et de 15 millions de dollars en cas de récidive.

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