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Être ou ne pas être… un témoin expert (vraiment qualifié)

La définition pratique d’un témoin expert est quelqu’un qui porte le complet, la cravate et le porte-document et qui vient de très loin. Lorsque j’étais juge de première instance, j’ai découvert qu’il y avait des experts pour tous les sujets imaginables et inimaginables. Nous pouvons nous poser deux questions : 1) Combien de ces soi-disant experts étaient utiles, ou même nécessaires?; et 2) Est-ce que le porte-document était une simple boîte à lunch coûteuse?

Même si le témoignage d’un expert peut apporter des avantages à plusieurs procès, il faut voir combien de ces personnes présentées comme étant des experts étaient en fait vraiment compétentes pour témoigner. Permettez-moi de discourir sur certaines embûches et de donner un aperçu de ce qui est nécessaire pour qu’un procès ait lieu de façon juste et efficiente afin d’en arriver à une décision juste.

Les critères ont quelque peu été précisés depuis les conseils du juge Sopinka dans l’affaire R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9. Le sommaire de cette affaire décrit toutefois brièvement les questions en cause :

L’admission de la preuve d’expert repose sur l’application des critères suivants:  a) la pertinence; b) la nécessité d’aider le juge des faits; c) l’absence de toute règle d’exclusion; et d) la qualification suffisante de l’expert.  La pertinence est une exigence liminaire déterminée par le juge comme question de droit.  La preuve logiquement pertinente peut être exclue si sa valeur probante est surpassée par son effet préjudiciable, si elle exige un temps excessivement long qui est sans commune mesure avec sa valeur ou si son effet sur le juge des faits est disproportionné par rapport à sa fiabilité.  Le facteur fiabilité-effet revêt une importance particulière dans l’appréciation de l’admissibilité de la preuve d’expert.  La preuve d’expert ne devrait pas être admise si elle risque d’être utilisée à mauvais escient et de fausser le processus de recherche des faits, ou de dérouter le jury.

Pour être nécessaire, la preuve d’expert doit, selon toute vraisemblance, dépasser l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury et être évaluée à la lumière de la possibilité qu’elle fausse le processus de recherche des faits.  La nécessité ne devrait pas être jugée selon une norme trop stricte.  La possibilité que la preuve ait un impact excessif sur le jury et le détourne de ses tâches peut souvent être contrecarrée par des directives appropriées.  Les experts ne doivent toutefois pas pouvoir usurper les fonctions du juge des faits, ce qui pourrait réduire le procès à un simple concours d’experts.

La preuve d’expert peut être exclue si elle contrevient à une règle d’exclusion de la preuve, distincte de la règle applicable à l’opinion.  La preuve doit être présentée par un témoin dont on démontre qu’il ou elle a acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage.

En résumé, la preuve d’expert qui avance une nouvelle théorie ou technique scientifique est soigneusement examinée pour déterminer si elle satisfait à la norme de fiabilité et si elle est essentielle en ce sens que le juge des faits sera incapable de tirer une conclusion satisfaisante sans l’aide de l’expert.  Plus la preuve se rapproche de l’opinion sur une question fondamentale, plus l’application de ce principe est stricte.

Le juge Sopinka a rappelé l’affaire R. c. Melaragni (1992), 73 C.C.C. (3d) 348 (Div. gén. Ont.) dans le cadre de laquelle le juge Moldaver a appliqué un critère préliminaire de fiabilité à ce qu’il a qualifié de [traduction] « nouvelle technique ou discipline scientifique » (à savoir, « Quel degré de fiabilité a atteint la technique ou la discipline scientifique proposée? ») et il mentionne également deux autres facteurs devant être considérés dans telles circonstances : 1) La preuve est-elle susceptible de faciliter la tâche de recherche des faits de la personne qui recherche des faits (juré ou juge ), ou plutôt susceptible de l’embrouiller et de la dérouter?; et 2) La personne qui recherche des faits est-elle susceptible d’être écrasée par l’infaillibilité « mystique » de la preuve, ou sera-t-elle capable de garder l’esprit ouvert et d’en apprécier objectivement la valeur?

Le juge Binnie a également indiqué dans l’affaire R. c. J.-L.J., [2000] R.C.S. 600 à la page 615 que les tribunaux canadiens étaient ouverts aux nouvelles théories ou techniques scientifiques (comme il en a été fait mention dans l’affaire Mohan), mais soumis au critère du [traduction] « fondement fiable » (reliable foundation) qui a été établi par la Cour suprême des États-Unis dans l’arrêt Daubert v. Merrell Dow Pharmaceuticals, Inc. 509 US 579 (1993), qui viserait ce qui suit :

  1. la théorie ou la technique peut-elle être vérifiée et l’a-t-elle été?
  2. la théorie ou la technique a-t-elle fait l’objet d’un contrôle par des pairs et d’une publication?
  3. le taux connu ou potentiel d’erreur ou l’existence des normes? et
  4. la théorie ou la technique utilisée est-elle généralement acceptée?

Dans l’affaire R. c. Trochym, [2007] 1 R.C.S. 239, la Cour suprême du Canada a déclaré que le témoignage posthypnotique ne devrait pas être admis si le juré n’a pas entendu la preuve d’experts quant à sa fiabilité.

Il est important de tenir compte des remarques du juge Dixon dans l’affaire R. c. Abbey, [1982] 2 R.C.S. 24 à la page 42 lorsqu’il évalue la question de savoir si le témoignage d’un expert est justifié :

Quant aux questions qui exigent des connaissances particulières, un expert dans le domaine peut tirer des conclusions et exprimer son avis. Le rôle d’un expert est précisément de fournir au juge et au jury une conclusion toute faite que ces derniers, en raison de la technicité des faits, sont incapables de formuler. [Traduction] «L’opinion d’un expert est recevable pour donner à la cour des renseignements scientifiques qui, selon toute vraisemblance, dépassent l’expérience et la connaissance d’un juge ou d’un jury. Si, à partir des faits établis par la preuve, un juge ou un jury peut à lui seul tirer ses propres conclusions, alors l’opinion de l’expert n’est pas nécessaire».

Je noterai par ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’avoir un expert pour simplement faire des calculs arithmétiques; dans le cadre de certains procès une calculatrice aurait suffi, plutôt que d’avoir recours à un témoin saugrenu.

Dans l’affaire Smith v. Inco Limited, 2009 CanLII 63374 (ON S.C.), le juge Henderson a souligné au paragraphe 28 qu’il ne s’agit pas de se demander si le témoignage est utile, mais plutôt s’il est nécessaire. Il a par ailleurs indiqué au paragraphe suivant :

[Traduction] Je reconnais que M. Hilsee fait preuve d’une certaine expertise en matière de saisie de données, d’organisation de données, de création de feuilles de calcul et de création de moteurs de recherche, et que l’expertise organisationnelle technique dépasse celle de la plupart des juges des faits. Toutefois, il n’est pas nécessaire que les données soient organisées de cette façon pour prendre une décision sur les questions. Ce qui signifie qu’un juge n’a pas besoin de l’expertise technique permettant de créer une feuille de calcul organisée pour comprendre, cerner et organiser les données en question et en arriver à une conclusion de fait à leur égard.

Les tribunaux criminels ont constitué un terrain fertile quant à la manière de traiter la preuve par opinion d’expert. Il faut toutefois indiquer que toutes les analyses d’affaires criminelles s’appliquent également au litige civil. Les tribunaux civils (qui ont la fâcheuse habitude de « relâcher » les règles de la preuve en général), doivent effectivement évaluer avec plus d’attention l’admissibilité de cette preuve. On entend trop souvent, dans le cadre de procès présidés par un « juge seul », des choses comme : « Je vais tout de même l’accepter [la preuve] et sa valeur sera par la suite déterminée. » lorsque la preuve présentée est contestée. En fait : si la preuve n’est pas admissible, on ne doit même pas en tenir compte. Je m’inscrirais donc en faux contre l’apparent relâchement de ce principe lorsque le juge Binnie a indiqué à la page 612 de l’arrêt R. c. J.-L.J. :

…la Cour a souligné que le juge du procès devrait prendre au sérieux son rôle de «gardien».  La question de l’admissibilité d’une preuve d’expert devrait être examinée minutieusement au moment où elle est soulevée, et cette preuve ne devrait pas être admise trop facilement pour le motif que toutes ses faiblesses peuvent en fin de compte avoir une incidence sur son poids plutôt que sur son admissibilité.

De la même manière, dans l’affaire Johnson v. The Town of Milton (2008) 91 O.R. (3d) 190 (C.A.), le juge Moldaver a indiqué qu’il pouvait y avoir une approche plus souple quant à l’admissibilité dans des causes civiles dans le cadre d’un procès présidé par un juge seul par opposition à un procès avec jury. Mais il n’était certainement pas d’accord avec le principe de « tout est bon », indiquant que cette approche est légalement incorrecte et fait perdre du temps. Il a été indiqué dans l’affaire Wightman c. Widdrington (Estate of), 2009 QCCA 1542 (CanLII), que j’ai souligné dans le cadre d’une autre affaire en parlant du système juridique qu’il [traduction] « … doit être à la disposition de tous — tout le monde a le droit de se présenter devant le tribunal, pour sa propre cause seulement. Les procès ne devraient pas être prolongés sans raison valable par des conseillers juridiques qui tentent de surcharger leur cause avec des ‘experts’ superflus ».

Les tribunaux criminels sont également « verts » dans leur façon de faire — c’est-à-dire, qu’ils croient au recyclage de noms. Les affaires en cause sont R. v. Abbey, 2009 ONCA 624 (CanLII) (disponible en anglais seulement) et R. v. Mohan, 2010 ONCJ 52 (CanLII) (dîsponible en anglais seulement) — les noms sont les mêmes, mais les accusés sont différents de ceux des affaires précédentes. Dans l’affaire Abbey, la question était de savoir si un expert pouvait donner une opinion sur la signification d’un tatouage en forme de larme d’un membre de gang. Il y avait plusieurs significations possibles : i) un membre du même gang ou de la famille de la personne tatouée était décédé; ii) la personne tatouée avait fait de la prison, ou iii) la personne tatouée avait tué un membre de gang rival. Lors de l’appel, l’expert avait été autorisé à donner toutes les significations possibles, mais pas une opinion quant à la question de savoir laquelle des trois significations semblait la plus probable (soit le meurtre — rappelons-nous le commentaire au sujet de l’usurpation du rôle de juge des faits). Au paragraphe 70, le juge Doherty a indiqué que l’utilisation secondaire de cette preuve d’opinion ne s’appliquerait pas directement à la question ultime d’identité et n’a pas demandé au jury de passer directement de l’acceptation de l’opinion à un verdict de culpabilité. Dans l’affaire Mohan, où il s’agissait d’une affaire de conduite avec facultés affaiblies, l’accusé a été en mesure de faire retarder la conclusion de son procès pour conduite avec facultés affaiblies pendant six mois en raison de ses objections quant au caractère adéquat d’un rapport de toxicologie. Toutefois, après avoir indiqué que l’accusé avait admis qu’il était dans un état d’ébriété tellement avancé qu’il ne se souvenait plus de l’accident, le rapport de toxicologie étant donc redonnant, le juge a commenté dans une seule note de bas de page que l’accusé n’avait présenté aucune preuve d’expert lorsqu’il a témoigné au procès.

Dans l’affaire Consulate Ventures Inc. v. Amico Contracting & Engineering (1992) Inc., 2010 ONSC 2181, le juge Newbould a déclaré que l’expert doit témoigner en fonction de ses propres connaissances et non en regroupant simplement dans son rapport les conclusions d’autres témoins. La preuve de la personne qui regroupe des données ne serait pas fiable puisqu’il ne serait pas possible de tester cette preuve. De plus, on ne saurait pas quelle information a été fournie à ces autres personnes.

Il importe que la compétence du témoin expert soit examinée attentivement et que, si elle est acceptée, le domaine d’expertise soit dûment restreint. Il arrive trop souvent que tous les conseillers juridiques dans le cadre d’une affaire acceptent un témoin en tant qu’expert dans une catégorie sans réserve permettant au témoin de s’éloigner de son domaine de compétence. Dans l’affaire Canadian 88 Energy Corp. v. Union Carbide Canada Inc., 2009 ABCA 126 (CanLII) (disponible en anglais seulement), le témoin n’avait pas les compétences d’un expert dans le domaine de la corrosion, mais il a été reconnu dans certains autres domaines. Un expert peut être qualifié en fonction de l’expérience acquise à la « dure école de la vie » par opposition à une formation officielle, comme dans l’affaire R. v. N.O., 2009 ABCA 75 (CanLII) (disponible en anglais seulement). Si un expert est dûment qualifié en fonction d’une formation, d’études et/ou d’expérience, il peut donner une opinion sur une norme même si la qualification est rétroactive en ce sens qu’elle est subséquente au moment de la norme en question, comme dans l’affaire Cleveland v. Hamilton Health Science Corporation, 2009 CanLII 59152 (ON S.C.) (disponible en anglais seulement).

Dans l’affaire R v. Candir, 2009 ONCA 915 (CanLII) (disponible en anglais seulement), le juge Watt a indiqué aux paragraphes 59 et 60 :

[Traduction] [59] Une partie qui respecte les exigences d’une exception énumérée ou de l’exception fondée sur des principes à la règle du ouï-dire supprime ses caractéristiques d’exclusion en tant qu’obstacle à l’admissibilité, mais le fait de supprimer un obstacle à l’admissibilité ne prédétermine pas la réception. Un juge de première instance a le pouvoir discrétionnaire résiduel d’exclure une preuve autrement admissible, y compris le ouï-dire admissible, lorsque son incidence sur le déroulement de la procédure (les coûts) dépasse sa valeur (son avantage) pour en arriver à une juste décision. L’effet défavorable de la preuve peut l’emporter sur sa valeur probante. La présentation de la preuve peut être beaucoup plus coûteuse en temps que la valeur même de la preuve. La preuve peut induire en erreur puisque son effet sur un juge des faits, particulièrement un jury, peut être disproportionné par rapport à sa fiabilité…

[60] La règle générale d’exclusion décrite au paragraphe précédent est suffisamment étendue pour interdire ou de réduire la présentation inutile de la preuve cumulative. Cette superposition judiciaire de la preuve rallonge inutilement les procès, détourne l’attention de leur objet et l’attention du juge des faits. La preuve cumulative, qu’il s’agisse de témoignages, de pièces déposées en preuve ou des deux, est souvent en marge de l’affaire, n’ajoutant rien aux questions contestées et surchargeant plutôt le juge des faits avec des informations marginales ou qui ne prêtent pas à controverse.

Ainsi, si un juge de première instance dans le cadre d’une affaire criminelle a le pouvoir discrétionnaire d’exclure une preuve autrement admissible, alors, a fortiori, un juge de première instance dans le cadre d’un procès civil peut prendre cette mesure. Il est fort souhaitable pour les conseillers juridiques de prévoir, avant le procès civil, les preuves d’experts qui seront présentées et permises et la façon dont elles le seront. Ceci était traditionnellement considéré comme étant de compétence exclusive du juge de première instance. Toutefois, si ce n’est pas possible, il serait utile pour tous les conseillers juridiques de convenir qu’un juge « responsable de la gestion de l’instance » soit autorisé à assumer cette responsabilité.

Il convient de toujours examiner soigneusement la preuve fournie par un expert compétent afin d’évaluer l’effet préjudiciable éventuel sur l’équité du procès : R. v. Ranger, 2003 CanLII 32900 (ONCA)(disponible en anglais seulement).

Dans l’affaire Maple Leaf Foods Inc. v. Schneider Corp. (1998), 42 O.R. (3d) 177 (C.A.) (disponible en anglais seulement), le juge Weiler, au nom de la Cour d’appel, aux paragraphes 194-5, a indiqué que j’avais raison de ne pas admettre de preuve en disant :

[Traduction] Le juge Farley a jugé que les compétences des experts se rapportaient aux sociétés, à leurs titres, aux offres publiques d’achat et aux obligations de leurs administrateurs. Il a refusé les rapports des experts sur trois fondements : i) les opinions exprimées se rapportaient au droit interne, question sur laquelle le tribunal ne peut recevoir de preuve d’opinion; ii) il n’y avait aucune façon de faire spécialisée et normalisée dans ce domaine; et iii) il n’avait pas besoin de l’aide d’experts ni de comprendre les preuves ou les concepts et principes en cause.

J’avais indiqué dans Sopinka, Lederman and Bryant, The Law of Evidence in Canada (1992) à la page 545 ce qui suit : [Traduction] « Les questions de droit interne, par rapport aux questions de droit étranger, ne sont pas des questions pour lesquelles un tribunal recevra des preuves d’opinion. » Il est entendu que s’il est question de droit étranger dans le cadre d’un procès, à moins de preuve contraire d’un expert compétent dans les lois de ce territoire étranger, il est supposé que le droit étranger en question est identique au droit interne : ABN Amro Bank v. BCE Inc., 2003 CanLII 64276 (ON S.C.) (disponible en anglais seulement) au paragraphe 13.3.

Je dois dire qu’on m’a proposé à plusieurs reprises de recevoir l’aide de témoins experts à l’égard du droit interne. Qu’on le veuille ou non, dans chaque cas, je devais dire qu’en tant que juge de première instance, j’étais moi-même l’expert du droit ontarien et canadien. Je peux comprendre la préoccupation du juge dans l’affaire Taubner Estate (Re), 2010 ABQB 60 (CanLII) (disponible en anglais seulement) aux paragraphes 336 et 337 :

[Traduction] [que le supposé avocat expert] a beaucoup plus de connaissances que moi au sujet du droit des entreprises et du droit commercial, et que sa preuve pourrait m’aider. La question de savoir pourquoi la déclaration sous serment de l’avocat dans l’affaire R. v. Q.A.M., 2005 BCCA 615 (CanLII) a été déclarée inadmissible est incertaine. L’approche de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique était nouvelle : rejeter la déclaration sous serment mais la traiter comme si elle avait été une prétention du conseiller juridique. Il n’est pas nécessaire que j’invoque cette approche puisque j’ai déclaré que le rapport de M. Tod était admissible en preuve.

Toutefois, l’approche de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique se veut simplement une variation de ce que je crois être la bonne approche à préconiser, c’est-à-dire reconnaître qu’en cette ère de spécialisation, il est relativement improbable qu’un juge d’un tribunal général soit un spécialiste du domaine visé dans le procès. Il incombe au conseiller juridique qui comparaît d’essayer de convaincre le juge à l’égard du droit qui devrait s’appliquer et de la juste interprétation de celui-ci. Si le conseiller juridique principal ne croit pas qu’il pourrait instruire ainsi le juge, il devrait évaluer la possibilité de retenir les services d’un « expert » à titre de co-conseiller juridique relativement à ce domaine d’argumentation. Par ailleurs, l’expert pourrait aider le conseiller juridique principal dans la préparation d’un exposé du droit ou d’un mémoire pour ajouter à la plaidoirie.

Malheureusement, certains conseillers juridiques peuvent être tellement submergés par l’apparente complexité d’une affaire qu’ils présentent une grande quantité de témoins experts. De nombreux procès ont donc dégénéré en batailles d’experts et en disputes sur la question de connaître le nombre d’experts vraiment nécessaires. La situation en Ontario est celle prévue dans la Loi sur la preuve de l’Ontario, chaque partie ne pouvant présenter plus de trois témoins experts, sauf avec la permission du tribunal. Donc, trois experts au total et non pas la vision dénaturée selon laquelle la restriction visait essentiellement trois experts sur chaque question ou sujet. Voir la décision Bank of America v. Mutual Trust Co., 1998 CanLII 14679 (ON S.C.), affaire dans le cadre de laquelle j’ai dû analyser cette question puisqu’un côté proposait 13 experts, ce qui, bien sûr, incitait l’autre côté à riposter (par « peur de l’inconnu ») avec un grand nombre d’experts. Le juge Hughes a commenté de façon favorable cette affaire dans le cadre de l’affaire Eli Lilly and Company v. Apotek Inc., 2007 FC 1041 (CanLII) concernant le contrôle du nombre d’experts dans les causes présentées en Cour fédérale.

Bien sûr, l’expert proposé biaisé a une place bien à lui à l’un des niveaux du jeu Dante’s Inferno. J’ai bien aimé le témoin proposé dont on ne peut dire qu’il soit neutre et objectif, dans l’affaire Bank of Montreal v. Citak, [2001] O.J. No 1096 (S.C.J.) (disponible en anglais seulement) qui a admis [traduction] « toujours défendre les intérêts de mon client » et « recevoir une bonne rémunération », mais qui a tout de même insisté pour dire que cette position de défenseur ne ferait jamais obstacle à son indépendance ou à son objectivité. La défense des intérêts ne devrait jamais se dissimuler derrière une opinion d’expert. Je l’ai toutefois admiré pour son honnêteté lorsqu’il a déclaré dans son document écrit : [traduction] « C’est vrai que je n’ai pas une expertise particulière dans les mises sous séquestre ». Je l’ai donc cru sur parole!