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Ententes de règlement visant les brevets et Loi sur la concurrence — il faut « quelque chose de plus » pour établir l’existence d’un complot

La Cour d’appel fédérale a récemment confirmé que les ententes de règlement visant les brevets peuvent être assujetties aux dispositions de la Loi sur la concurrence (la « Loi »); cependant, « quelque chose de plus » que le simple exercice des droits de brevet est nécessaire pour conclure à un complot aux termes de la Loi.

Lorsqu’elle a rendu sa décision dans l’affaire Apotex Inc. v. ADIR, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision de la Cour fédérale selon laquelle la simple affirmation des droits de brevet n’est pas suffisante pour conclure à l’existence d’un complot aux termes de la Loi. Même si la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont jugé que la preuve présentée dans cette affaire était insuffisante pour conclure à un complot, le jugement laisse entrevoir la possibilité qu’un règlement visant les brevets puisse, dans certains cas, violer la Loi lorsque le règlement ou la conduite des parties comprend « quelque chose de plus » que la simple affirmation des droits de brevet.

Dans l’affaire en cause, ADIR, société pharmaceutique innovatrice et propriétaire du brevet du périndopril (un inhibiteur ECA antihypertenseur), et Servier Canada Inc., le titulaire de licence canadien, ont entamé une action en contrefaçon de brevet contre Apotex Inc., fabricant de produits génériques. Apotex a contesté l’action en s’appuyant sur divers motifs. En plus de prétendre que le brevet était invalide, Apotex a déposé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts en vertu de l’article 36 de la Loi sur le fondement qu’ADIR avait obtenu le brevet en violation de l’article 45, la disposition de la Loi sur les complots. La demande reconventionnelle d’Apotex reposait sur une entente de règlement conclue par ADIR et deux autres parties dans le cadre de procédures de conflit visant des demandes de brevets en co-instance. La procédure a été réglée et le brevet a été délivré à ADIR avec le consentement des parties.

Apotex a prétendu qu’ADIR (et les autres parties aux procédures de conflit) a conclu l’entente de règlement pour éviter i) qu’une revendication visant le périndopril ne soit présentée, ou ii) que des revendications visant le médicament accordées à diverses parties se chevauchent. Apotex a fait valoir que l’acquisition du brevet réduisait indûment la concurrence dans le marché des inhibiteurs ECA, en violation de l’article 45, causant ainsi un préjudice à Apotex et lui permettant de recouvrer des dommages-intérêts aux termes de l’article 36 de la Loi.

Lors du procès de première instance, la juge Snider de la Cour fédérale a conclu que le brevet était valide et qu’Apotex avait contrefait le brevet. La juge Snider a rejeté la demande reconventionnelle en dommages-intérêts d’Apotex aux termes de l’article 36 de la Loi, concluant que chaque étape des procédures de conflit et la délivrance du brevet étaient conformes à la Loi sur les brevets ou aux Règles de la Cour fédérale, et qu’il ne s’agissait que d’une simple affirmation des droits de brevet. Selon la juge Snider, sans « quelque chose de plus », la simple affirmation des droits de brevet ne peut constituer une violation de l’article 45 de la Loi. La juge Snider a de plus indiqué que la délivrance du brevet n’accordait à Servier, titulaire de licence du brevet d’ADIR, que le pouvoir de marché inhérent au brevet, et que Servier ne faisait qu’exercer les droits prévus aux termes de la Loi sur les brevets.

Selon la Cour d’appel fédérale, la juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a émis ses conclusions sur l’allégation de complot, qui étaient fondées sur des constatations de fait. Toutefois, en énonçant le jugement unanime de la Cour, la juge Layden-Stevenson n’a pas écarté qu’une entente de règlement puisse constituer une infraction en vertu de la Loi :

Nous ne disons pas qu’une entente de règlement ne pourrait en aucun cas constituer le « quelque chose de plus » mais ce n’est pas le cas en l’espèce. J’ai de la difficulté à concevoir comment une entente qui effectue une réparation susceptible d’être accordée par le tribunal et qui a été soumise à son approbation pourrait constituer une infraction en vertu de la Loi sur la concurrence. [Traduction]

Remarques de McCarthy Tétrault 

Même s’il n’y avait pas suffisamment de preuve en l’espèce pour appuyer une conclusion de complot aux termes de la Loi, la Cour d’appel fédérale a renforcé la possibilité qu’un règlement visant un brevet puisse soulever des questions aux termes de la Loi lorsque celui-ci implique plus que le simple exercice des droits de brevet. Les soi-disant « règlements par paiement inversé » en vertu desquels un titulaire de brevet effectue des paiements à un prétendu contrefacteur pour retarder l’entrée d’un produit sur le marché pourraient constituer un exemple de « quelque chose de plus » que le simple exercice des droits de brevet.

Il est important de préciser que cette affaire a été conclue en vertu de l’ancienne disposition criminelle de la Loi sur les complots. Aux termes de cette disposition, la Couronne (et les demandeurs dans le cadre de recours civils) doivent démontrer qu’une entente est susceptible de réduire « indûment » la concurrence. Les modifications qui sont entrées en vigueur en mars 2010 ont supprimé cette exigence pour les soi-disant « véritables cartels » (c.-à-d. les ententes entre concurrents pour fixer les prix, partager les marchés ou limiter la production). Ces ententes sont dorénavant susceptibles de poursuites criminelles et de poursuites civiles en dommages dès que l’existence de l’entente est établie. Il incombe alors aux parties à une telle entente de prouver que l’arrangement contesté est accessoire et raisonnablement nécessaire à une entente plus large qui n’est pas elle-même un véritable cartel.

Même si, en raison de cette modification, il pourrait être plus facile pour la Couronne et les demandeurs dans le cadre de recours civils de prouver l’existence de complots, les conclusions de la Cour d’appel fédérale en l’espèce voulant qu’il doit y avoir « quelque chose de plus » que le simple exercice de droits de propriété intellectuelle pour prouver un complot sont toujours pertinentes et applicables.

Aux termes des modifications qui sont entrées en vigueur en mars 2010, une nouvelle disposition civile relative aux ententes entre concurrents (article 90.1) a également été ajoutée à la Loi. Nous croyons que le Bureau de la concurrence examinera probablement les règlements visant les brevets aux termes de cette nouvelle disposition civile plutôt qu’aux termes de la disposition criminelle sur les complots. Cette nouvelle disposition civile permet à la Commissaire de la concurrence de demander des mesures correctives auprès du Tribunal de la concurrence relativement à des ententes entre les concurrents qui empêchent ou diminuent sensiblement la concurrence dans un marché.