Passer au contenu directement.

Des modifications aux lois anticorruption et à la réglementation commerciale au Canada rendent encore plus importants les contrôles préalables dans le cadre de fusions et d'acquisitions

Cet article a initialement été publié dans Financier Worldwide Special Report: Mergers & Acquisitions, édition de juin 2013.

L'évolution récente des lois canadiennes en matière de lutte contre la corruption, de sanctions économiques et de contrôles des exportations a une incidence importante sur le contrôle préalable qui devrait être effectué à l'égard des sociétés visées dans le cadre de fusions et d'acquisitions et d'autres opérations de regroupement telles les coentreprises.

De nouvelles mesures, des mesures élargies ainsi que l'application plus rigoureuse des règles, plus particulièrement dans les secteurs de l'extraction des ressources comme l'énergie et l'exploitation minière, ont rendu les choses plus difficiles pour ceux qui investissent dans des sociétés canadiennes. Aujourd'hui, il arrive de plus en plus souvent que des acquéreurs ou investisseurs éventuels retardent des opérations, en révisent le prix ou les abandonnent en raison de défauts de conformité réels ou apparents dans les activités de la société visée.

Un faux pas dans ce domaine peut avoir des incidences importantes. En plus des poursuites criminelles et des sanctions, les défauts de conformité peuvent également entraîner des dépenses importantes au titre des enquêtes internes, une incapacité de transporter des produits ou de transférer de la technologie à l'étranger, le report ou l'annulation de commandes de clients, une interdiction de faire affaire avec le gouvernement et des atteintes importantes à votre réputation par rapport à vos partenaires commerciaux, y compris les banques, les investisseurs, les clients, les fournisseurs et tout autre intervenant. En outre, la pratique maintenant bien établie aux États-Unis des recours collectifs intentés par des actionnaires suite à des allégations de défaillance des gestionnaires dans la mise en œuvre des contrôles internes en bonne et due forme apparaît au Canada.

Les autorités canadiennes de plus en plus déterminées

Au cours des dernières années, les autorités canadiennes responsables de la mise en œuvre et de l'application des lois anticorruption et de la réglementation commerciale, dont la Gendarmerie royale du Canada (GRC), l'Agence des services frontaliers du Canada, Affaires étrangères et Commerce international Canada et les procureurs de la Couronne ont intensifié leurs efforts à cet égard.

L'expérience du Canada en matière de lutte contre la corruption est un bon exemple. En 2008, la GRC, après de nombreuses années à n'avoir pris aucune mesure d'application importante, a constitué une unité spéciale responsable de l'application de la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers (LCAPE). En juin 2011, Niko Resources a été déclarée coupable d'avoir violé la LCAPE et a dû payer une pénalité de 9,5 millions de dollars1. En janvier dernier, Griffiths Energy a également été reconnue coupable et a dû payer une amende de 10,35 millions de dollars2. À l'heure actuelle, la GRC mènerait plus de 35 enquêtes sur des sociétés et des particuliers canadiens soupçonnés d'avoir violé la LCAPE.

Cinq aspects qui nécessitent une attention particulière en ce qui a trait au contrôle préalable

Bien que la liste suivante ne soit pas exhaustive, elle présente cinq aspects sur lesquels vous devriez initialement porter votre attention avant d'approfondir toute autre question :

i) Où la société visée exerce-t-elle ses activités?

Repérer les pays avec lesquels la société visée fait affaire est un élément essentiel de l'évaluation de l'exposition au risque à la fois du point de vue de la lutte contre la corruption et de la réglementation commerciale. Où ses clients, ses fournisseurs, ses titulaires/concédants de licence, ses créanciers et ses autres partenaires commerciaux sont-ils situés?

À l'heure actuelle, le Canada exerce des contrôles commerciaux de divers degrés à l'égard des activités visant le Bélarus, la Birmanie (Myanmar), la Corée du Nord, la Côte d'Ivoire, Cuba, l'Égypte, l'Érythrée, la Guinée-Bissau, l'Iran, l'Iraq, le Liban, le Libéria, la Libye, le Pakistan, la République démocratique du Congo, la Sierra Leone, la Somalie, le Soudan, la Syrie, la Tunisie et le Zimbabwe. Les activités dans ces pays ou dans des entités établies dans ces pays doivent être examinées attentivement afin de veiller à ce qu'elles respectent les sanctions économiques et les contrôles sur les exportations3.

L'emplacement joue également un rôle important pour ce qui est d'évaluer les risques liés à la conformité à la réglementation relative à la lutte contre la corruption. Les entreprises qui exercent des activités dans des pays en développement ou des pays nouvellement industrialisés en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie et dans certaines régions de l'Amérique latine sont particulièrement vulnérables au risque lié à la corruption. Les classements indépendants des pays en matière de risque lié à la corruption, notamment l'indice intitulé Corruption Perceptions Index4, de Transparency International, constituent un bon point de départ.

ii) Quelles sont les relations de la société visée avec le gouvernement?

Le fait de bien comprendre la manière dont la société visée traite avec le gouvernement sur une base quotidienne, y compris avec les entités gouvernementales et les entreprises commerciales, aide à évaluer l'exposition aux risques éventuels de corruption au sein du gouvernement. L'obtention d'une liste des clients et des fournisseurs gouvernementaux de la société visée est un point de départ incontournable.

Il est également nécessaire de déterminer les licences ou les permis qui sont nécessaires aux fins des activités de la société visée et de revoir les négociations et les activités qu'elle mène relativement à des contrats de concession, d'ententes de partage de production et de conventions de placement avec le gouvernement. Lorsque la société visée importe ou exporte des produits et que, de ce fait, elle négocie avec des autorités douanières, il s'agit alors d'un important rapport avec le gouvernement trop souvent ignoré, plus particulièrement dans le cas des sociétés pétrolières, gazières et minières qui doivent transporter de l'équipement lourd de grande valeur à destination et en provenance d'un pays hôte.

iii) Quelle est la nature des produits, des services et de la technologie de la société visée?

Le Canada contrôle l'exportation et le transfert de marchandises, de services et de technologies aux termes des lois sur le contrôle des exportations et de sanctions économiques. Ces mesures ne sont pas limitées aux articles militaires ou nucléaires mais comprennent de nombreux articles à double usage commercial utilisés chaque jour, y compris des marchandises, des logiciels et de la technologie utilisés à des fins de cryptage et de décryptage de faible niveau. Les marchandises et la technologie d'exportation ou de transfert contrôlé du Canada figurent dans la Liste des marchandises et technologies d'exportation contrôlée du Canada. Des sanctions économiques imposent également des exigences semblables en fonction de la nature des marchandises et des technologies fournies. Par exemple, les sanctions imposées par le Canada à l'Iran interdisent le transfert à l'Iran de tout article, y compris des données techniques, utilisé dans les secteurs de la pétrochimie, du pétrole ou du gaz naturel.

En plus de connaître les produits et les services que la société visée fournit à ses clients, vous devriez également examiner les intrants utilisés dans le processus, la manière dont la recherche et le développement des produits se font et, le cas échéant, le genre de service après-vente et de soutien qui est fourni. Il ne faut pas oublier que ces contrôles ne se limitent pas seulement aux livraisons destinées aux exportations et qu'ils comprennent également les transferts transfrontaliers de renseignements au moyen de transmission de courriels et d'activités de téléchargement ou encore pendant des discussions techniques avec des personnes à l'extérieur du Canada.

iv) Est-ce que la société visée est exposée à des mesures semblables dans d'autres juridictions?

Selon les circonstances, les sociétés canadiennes peuvent être assujetties aux lois anticorruption et à la réglementation commerciale d'autres juridictions. Il est bien connu que la loi américaine intitulée Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) est mise en œuvre largement à l'extérieur du territoire et vise souvent des sociétés canadiennes qui considèrent n'avoir que très peu de liens avec les États-Unis. Par exemple, une société canadienne qui fait en sorte, directement ou par l'entremise de mandataires, que soit versé un paiement frauduleux sur le territoire des États-Unis est assujettie à la FCPA.

Les obligations au titre de la FCPA sont en grande partie semblables à celles prévues dans la LCAPE. Cependant, la loi du Royaume-Uni intitulée Bribery Act 2010 comprend certaines différences importantes dont l'interdiction de corruption dans le secteur privé et l'absence d'exclusion de paiements de facilitation.

Un certain nombre de sanctions et de mesures américaines de contrôle des exportations s'appliquent également sur une base extraterritoriale, particulièrement dans le cadre d'opérations avec l'Iran ou Cuba. Pour ce qui est de Cuba, le Canada a adopté une législation de blocage relativement à ces mesures extraterritoriales américaines. La loi canadienne interdit à une société ou à un particulier du Canada de respecter les sanctions et les contrôles sur l'exportation imposés à Cuba par les États-Unis. Cette situation constitue un conflit de droit complexe lorsque la société visée est ou sera détenue ou contrôlée par des intérêts américains parce que, d'une part, elle est tenue de respecter l'embargo commercial des États-Unis et, d'autre part, le respect de cet embargo constituerait une infraction en vertu de la loi canadienne et exposerait la société canadienne et ses dirigeants, administrateurs et employés à une responsabilité éventuelle.

v) De quelles mesures de conformité la société visée dispose-t-elle?

Bien qu'il y ait rarement suffisamment de temps dans le cadre d'une opération de fusion et d'acquisition pour effectuer un examen complet de la conformité de la société visée aux lois anticorruption ou à la réglementation commerciale, certaines démarches de base peuvent être entreprises afin d'avoir une idée claire du profil de conformité de la société visée et de son exposition éventuelle. Les programmes de conformité en matière de lutte contre la corruption, de sanctions économiques et de contrôle des exportations devraient comprendre les éléments de base suivants : des procédures et manuels écrits en matière de conformité, une révision des opérations et de toutes les parties visées par rapport aux listes d'entités et de particuliers approuvés ou désignés, y compris les listes canadiennes, la nomination d'agents de la conformité, la vérification interne de la conformité, les obligations d'information en matière de non-conformité, la correction et la divulgation volontaire, les programmes de formation, l'examen des contrats et des projets de contrats ainsi que des procédures à suivre en cas de lois incompatibles ou contradictoires.

L'obtention d'une description des procédures en matière de lutte contre la corruption et de contrôle commercial ainsi qu'un exemplaire des manuels de conformité est évidemment un premier pas mais ne saurait suffire.

Il est également important d'examiner la preuve de la mise en œuvre de ces mesures à l'échelle de l'entreprise. Par exemple, à quelle fréquence les employés et les dirigeants ont-ils des séances de formation sur ces politiques? À quel moment les vérifications internes ont-elles été effectuées et quels en sont les résultats? Quelle est la fréquence de déclaration des événements de non-conformité éventuelle à l'interne? Une ligne d'urgence à l'intention des employés est-elle utilisée et quels sont les types de rapports qui sont produits? Quels renseignements divulgués volontairement ont été transmis aux autorités gouvernementales? La société visée a-t-elle fait l'objet d'une enquête ou d'une vérification de la part du gouvernement et, le cas échéant, qu'en a été l'issue? Quelle est la procédure de la société visée pour l'examen et l'établissement de l'état de contrôle de ses marchandises, services et technologies et quelles décisions a-t-elle obtenues à cet égard? Dans quelles circonstances la société visée a-t-elle mis à pied des mandataires ou a-t-elle refusé de retenir les services de mandataires en raison de questions de corruption? Quelles sont les dispositions spécifiques que la société visée a incluses dans ses contrats pour favoriser la conformité en matière de lutte à la corruption et de contrôle commercial? Quelles sont les attestations de conformité que la société visée a obtenues de ses partenaires commerciaux? Dans quel contexte la société visée a-t-elle recours à des tiers pour l'aider dans la mise en œuvre de mesures de conformité (par exemple, les opérations de sélection, l'examen préalable de mandataires, l'examen interne et la vérification, ou les avis juridiques)?

Quelles sont les prochaines étapes?

Les réponses à ces premières questions entraînent inévitablement d'autres questions et cela se poursuivra au fur et à mesure que vous examinerez les sujets de préoccupation et l'exposition éventuelle touchant la société visée et, en fin de compte, l'acquéreur. Les risques peuvent être si élevés que l'opération sera annulée ou, au moins, reportée jusqu'à ce que les risques puissent avoir été gérés au moyen de la mise en œuvre de mesures de conformité améliorées et/ou, au besoin, la divulgation de renseignements aux autorités. Dans d'autres cas, des déclarations et garanties ainsi que des indemnités appropriées peuvent être suffisantes pour répondre à quelque préoccupation que ce soit. À la clôture de l'opération, il est toutefois important d'entreprendre sans délai un examen plus approfondi de la conformité de la société visée en fonction des zones de vulnérabilité éventuelle décelées pendant l'examen préalable réalisé avant l'acquisition et d'aborder toute non-conformité éventuelle.

John W. Boscariol dirige le Groupe du droit du commerce et de l'investissement international de McCarthy Tétrault et se spécialise dans les questions de conformité, de différends et d'application de la loi relativement à des questions de lutte contre la corruption, de sanctions économiques, de contrôle des exportations et d'autres questions liées au commerce et à l'investissement international. Il est co-président du Export Controls and Economic Sanctions Committee de l'American Bar Association SIL et co-président du comité d'exportation de l'Association canadienne des importateurs et exportateurs.


1 Pour obtenir plus de détails sur cette affaire, voir Une analyse plus approfondie de la première grande cause canadienne relative à la corruption d'agents publics étrangers : Niko Resources Ltd.
2 Pour obtenir plus de détails sur cette affaire, voir Examen approfondi de l'affaire Griffiths Energy : Leçons et perspectives entourant l'application des lois anticorruption canadiennes.
3 Ces mesures et d'autres mesures relatives aux sanctions économiques et au contrôle des exportations figurent dans la Loi sur les mesures économiques spéciales, dans la Loi sur les Nations Unies, dans la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, dans le Code criminel, dans la Loi sur les licences d'exportation et d'importation du Canada, ainsi que dans leur règlement d'application.
4 Voir http://cpi.transparency.org/cpi2012/ (en anglais seulement).

Auteurs