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Décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire de la Caisse Drummond

En juin 2009, la Cour suprême du Canada a rejeté un appel de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond c. Canada.

Les faits relatifs à cette affaire sont les suivants : Le 18 septembre 2000, la Caisse populaire Desjardins de l’Est de Drummond (la « Caisse Drummond ») a ouvert à Entreprises Camvrac Inc. (« Camvrac ») un crédit de 277 000 $ aux termes d’un contrat d’ouverture de crédit. Une semaine plus tard, Camvrac a déposé 200 000 $ à la Caisse Drummond conformément à une « convention d’épargne à terme ». Ce dépôt venait à échéance cinq ans plus tard, n’était pas négociable ni cessible et il ne pouvait être hypothéqué ou donné en garantie qu’en faveur de la Caisse Drummond. Le même jour, la Caisse Drummond et Camvrac ont conclu une « convention de mise en garantie d’épargne » aux termes de laquelle Camvrac, « pour garantir le remboursement » du crédit consenti, s’engageait à laisser les 200 000 $ en dépôt et autorisait la Caisse Drummond à retenir la somme jusqu’au remboursement de la dette de Camvrac envers la Caisse Drummond. En cas de défaut de la part de Camvrac aux termes du contrat d’ouverture de crédit, Camvrac avait convenu qu’il y aurait compensation entre le contrat d’ouverture de crédit et le dépôt à terme. Camvrac s’est trouvée en défaut quant au prêt le 25 novembre 2000 et elle a par la suite fait cession de ses biens. Le 21 février 2001, la Caisse Drummond a inscrit sur son exemplaire de la convention d’épargne à terme la mention « Fermer le 21/2/2001 pour réalisation de garantie ». En juin, sa Majesté a mis la Caisse Drummond en demeure de lui payer la totalité des sommes que lui devait Camvrac par prélèvement sur le dépôt à terme.

Selon les modalités des contrats intervenus entre la Caisse Drummond et Camvrac, les juges majoritaires de la Cour suprême ont conclu que Camvrac avait « conféré expressément à la Caisse Drummond un droit sur le bien de Camvrac », principalement en refusant à Camvrac la capacité de retirer le dépôt à terme tant que l’ouverture de crédit ne serait pas annulée et que cela créait une garantie au sens de l’article 224(1.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) (LIR). Les juges majoritaires de la Cour ont établi une distinction entre un tel arrangement et une entente de compensation simple qui permet à une banque d’appliquer des fonds se trouvant dans le compte du déposant à une dette possible du déposant envers cette banque. Les éléments distinctifs d’un contrat prévoyant un droit de compensation sont les suivants : i) le déposant n’est pas tenu de conserver quelque montant déposé dans le compte en garantie de quelque dette du déposant envers la Banque et, par conséquent, « aucun droit sur un bien du client ne protège la banque en permanence contre un défaut éventuel »; et ii) le client peut retirer les fonds déposés à quelque moment que ce soit et, par conséquent, « le remboursement n’est garanti par aucun bien particulier ».

La juge Deschamps, exprimant sa dissidence, a conclu que les garanties ne peuvent provenir que de « droits réels » à l’égard du bien d’un débiteur et ne peuvent jamais découler d’engagements contractuels. Par conséquent, un droit de compensation ne peut être assimilé à une garantie, même si ses effets peuvent s’y apparenter. Pour rendre sa décision, la Cour suprême s’est fondée sur les dispositions de la LIR. Cependant, étant donné que la définition de « garantie » donnée au paragraphe 224(1.3) de la LIR est similaire à celle utilisée dans les lois provinciales sur les sûretés mobilières (LPSM), cette décision pourrait avoir le malencontreux effet de fournir un motif permettant de prétendre qu’un droit de compensation, dans des circonstances similaires à celles examinées par la Cour suprême, crée une garantie au sens des LPSM, rendant ainsi l’enregistrement nécessaire pour que la sûreté du créancier soit opposable à l’encontre de tiers. L’industrie des dérivés constitue un exemple de l’incidence que peut avoir cette affaire sur la pratique en cours.

La grande majorité des contrats dérivés sont établis au moyen d’un contrat-cadre standard de l’International Swaps and Derivatives Association, Inc. (l’ISDA®). Les ententes de garantie aux termes de cet accord sont rédigées au moyen de l’annexe sur le soutien du crédit (l’ASC) de l’ISDA. Le libellé canadien recommandé dans le cas de liquidités aux termes de l’ASC de l’ISDA crée une relation débiteur-créancier à l’égard des liquidités et prévoit un droit de compensation portant sur ces liquidités. De par ses modalités, l’ASC de l’ISDA ne crée pas de garantie à l’égard des liquidités; il y a toutefois une obligation de transférer les liquidités à la « partie garantie », et la « partie garantie » n’est pas tenue de retourner ces liquidités à moins que l’exposition de la partie garantie n’ait diminué. En outre, le but du transfert de liquidités est de fournir une aide au crédit, ou de « garantir » les obligations éventuelles en vertu de l’accord-cadre de l’ISDA.

Par conséquent, même si des facteurs différencient l’affaire de la Caisse Drummond des accords de garantie conclus aux termes de l’ASC de l’ISDA (avec les modifications canadiennes), on retrouve aussi certaines similitudes. Il existe donc un risque que l’entente de compensation souhaitée puisse être transformée en garantie. La question serait alors de savoir si des états de financement doivent être enregistrés pour rendre opposable le privilège de la partie garantie (à moins que les liquidités ne soient détenues dans un compte de dépôt de titres, auquel cas, l’opposabilité peut être obtenue par une prise de « contrôle » des liquidités aux termes d’un accord de prise de contrôle, de la même manière que le contrôle est obtenu à l’égard de titres) ou de savoir si les droits de compensation du créditeur/de la partie garantie offrent un recours efficace. Le maintien de la validité des droits de compensation fait l’objet d’un soutien législatif précis, notamment l’article 40 de la Loi sur les sûretés mobilières (Ontario). Les droits de compensation sont aussi protégés par l’article 97(3) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (Canada), de sorte que l’opposabilité par voie d’enregistrement ne devrait pas être nécessaire aux fins de protection contre une réclamation par un syndic de faillite. À l’heure actuelle, toutefois, il n’est pas certain que la compensation protégerait efficacement un créancier/une partie garantie non enregistré dans le contexte des LPSM et d’une analyse de la faillite, et un raisonnement judiciaire plus approfondi pourrait être nécessaire avant que la question ne soit éclaircie.

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