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Décision de la Cour suprême du Canada, un avertissement pour les vainqueurs de procédures d’arbitrage international qui tardent à agir

L’arbitrage, comme mode de règlement de différends dans des opérations commerciales internationales, soulève un ensemble de questions particulières auxquelles on n’accorde souvent pas toute l’attention et la diligence qu’elles méritent. L’attrait principal de l’arbitrage international est probablement qu’une sentence rendue aux termes d’une clause d’arbitrage valide a une finalité virtuelle et une validité internationale pour ce qui est de son application. Cette sentence est définitive et ne pourra pas faire l’objet d’un appel, comme c'est le cas pour une décision judiciaire, l’intention étant que les parties soient en mesure de mettre une sentence arbitrale à exécution avec une intervention minimale des tribunaux.

C’est précisément ce que Yugraneft Corporation a tenté de faire en Alberta, où se trouvait le débiteur de la sentence arbitrale, Rexx Management Corporation. Malheureusement, Yugraneft a attendu trop longtemps et le délai de prescription local pour exécuter une sentence arbitrale avait expiré. Par conséquent, la demande que Yugraneft a présentée en 2006 aux tribunaux de l’Alberta pour la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale étrangère obtenue contre Rexx en Russie en 2002 était prescrite et a été rejetée.

Les faits

Yugraneft, une société russe qui exploite des champs de pétrole en Russie, avait acheté des matériaux de Rexx, une société albertaine. Après un différend contractuel, Yugraneft avait obtenu gain de cause dans sa demande d’arbitrage contre Rexx devant le tribunal international d’arbitrage commercial de la Chambre de commerce et d’industrie de la Fédération de Russie et s’était vu octroyer environ 1 million US en dommages-intérêts par le tribunal d’arbitrage en septembre 2002. Plus de trois ans plus tard, en janvier 2006, Yugraneft a présenté une demande à la Cour du banc de la Reine de l’Alberta pour la reconnaissance et l’exécution de la sentence arbitrale. La Cour (dont la décision a été maintenue par la Cour d’appel) a rejeté la demande au motif qu’elle était prescrite en vertu du délai de prescription applicable de deux ans prévu à la loi de l’Alberta intitulée Limitations Act.

La décision de la CSC

La CSC a confirmé la décision de la Cour d’appel de l’Alberta malgré des interventions et des observations de ADR Chambers Inc., du Congrès d’arbitrage canadien et de la London Court of International Arbitration (et des arguments présentés par Rexx) voulant que la loi de l’Alberta intitulée Limitations Act ne s’applique pas.

La Cour a rejeté l’argument selon lequel la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales étrangères ne sont pas assujetties aux délais de prescription, malgré le fait que ni la convention de New York ni la Loi type n’imposent expressément un délai de prescription quant à la reconnaissance et à l’exécution. Même si la liste des motifs figurant dans la convention de New York et la Loi type, pour lesquels la reconnaissance et l’exécution d’une sentence peut être refusée, ne mentionne pas les délais de prescription locaux, la Cour s’est fiée à l’article III de la convention de New York. Cette convention prévoit que la reconnaissance et l’exécution se font « conformément aux règles de procédure suivies dans le territoire où la sentence est invoquée ». S'exprimant au nom d’une Cour unanime, le juge Rothstein a souligné que même si l'article V de la convention de New York énonce une liste exhaustive des motifs sur lesquels peut se fonder une opposition à la reconnaissance et à l’exécution, les tribunaux de l’État contractant peuvent rejeter une demande de reconnaissance et d’exécution d'une sentence arbitrale si cette demande est prescrite. La Cour a statué qu’aux fins de la convention de New York, « les délais de prescription applicables, en vertu du droit national, à la reconnaissance et à l’exécution des sentences arbitrales sont des ‘règles de procédure’ » au sens de l’article III de la convention de New York.

Remarques de McCarthy Tétrault

Exécution des sentences arbitrales internationales au Canada

Le Canada et ses provinces sont dotés d’ensembles précis de règles relatives à l’exécution des sentences arbitrales internationales. En 1986, le Canada a, avec le consentement des provinces, ratifié la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (New York, 1958) (la « convention de New York »)1 et adopté la Loi type de la CNUDCI sur l’arbitrage commercial international (la « Loi type »). Pour ce qui est de l’exécution, les sentences arbitrales internationales peuvent, sous réserve d’exceptions précises très limitées, être mises à exécution dans tout territoire canadien. Le Canada et les provinces sont dotés d’ensembles précis de règles pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales, bien que la forme de la loi habilitante puisse varier. De nombreuses provinces, comme l’Alberta et l’Ontario, ont mis en œuvre la convention de New York et la Loi type dans la même loi (c.-à-d., la loi de l’Alberta intitulée International Commercial Arbitration Act et la Loi sur l’arbitrage commercial international de l’Ontario). Toutefois, l’Alberta a annexé aussi bien la convention de New York que la Loi type à sa propre loi intitulée International Commercial Arbitration Act, tandis que l’Ontario n’a annexé que la Loi type puisque, conjointement avec les dispositions introductives de la loi, elle servait à mettre en œuvre la convention de New York en Ontario. D’autres provinces, comme la Colombie-Britannique, ont adopté des lois sur l’arbitrage commercial international pour mettre en œuvre la loi type et des lois distinctes sur les sentences arbitrales étrangères pour mettre en œuvre la convention de New York.

Essentiellement, la convention de New York et la Loi type prévoient les mêmes motifs selon lesquels l’exécution d’une sentence arbitrale internationale peut être refusée, notamment : i) l’incapacité d’une partie, ii) l’absence de préavis ou l’incapacité à présenter une cause, iii) le fait que la sentence tranche des questions qui ne sont pas couvertes par la convention d’arbitrage, iv) le fait que le tribunal n’a pas été dûment constitué, v) le fait que la sentence a été annulée ou suspendue dans le territoire d’origine, ou vi) le fait que la sentence est contraire à l’ordre public.

Importance de la décision

Cette décision est importante étant donné que la Cour a refusé de reconnaître et d’exécuter une sentence arbitrale internationale sur la base d’un délai de prescription provincial plutôt qu’en fonction des motifs de refus aux termes de la convention de New York ou de la Loi type.

Il sera intéressant de voir comment la jurisprudence évoluera dans d’autres territoires canadiens puisqu’il y a des différences dans le mode de mise en œuvre, par chaque province, de la convention de New York et de la Loi type, et cela pourrait avoir de curieux résultats en matière d’exécution. Par exemple, la Loi sur l’arbitrage commercial international de l’Ontario, qui met en œuvre tant la convention de New York que la Loi type, mais à laquelle seule la Loi type est annexée, ne comporte pas de disposition correspondant à l’article III de la convention de New York, alors que la loi de l’Alberta intitulée International Commercial Arbitration Act en contient une, que la Cour suprême a invoquée.

Les parties ayant obtenu gain de cause en arbitrage et qui souhaitent exécuter une sentence dans une province donnée devraient prendre bonne note de la législation provinciale qui s’applique aux sentences d’arbitrage commercial international et de la législation provinciale sur les délais de prescription qui pourrait être applicable lorsque la sentence est présentée au tribunal à des fins de reconnaissance et d’exécution.


 

1 Aux termes de la convention de New York, la procédure à suivre pour obtenir l’exécution d’une sentence arbitrale est très simple. La sentence arbitrale n’a pas à être confirmée par les tribunaux du territoire où s’est déroulé l’arbitrage. Aux termes de l’article IV de la convention de New York, la partie qui demande l’exécution d’une sentence est uniquement tenue d’en fournir l’original dûment authentifié au tribunal dans le territoire d’exécution et soit l’original soit une copie certifiée conforme de la convention d’arbitrage.