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De récents cas d'application de la loi dans le domaine des valeurs mobilières indiquent que les autorités réglementaires du Canada durcissent le ton

En raison des critiques constantes sur leur capacité à faire appliquer la loi, la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO) et d’autres organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières semblent déterminés à durcir le ton. Ils étalent en effet avec force sur la place publique les mesures qu’ils prennent et optent pour des recours ou interprétations de la législation sur les valeurs mobilières qui peuvent être qualifiés de plus musclés que ce à quoi ils nous ont habitués.

Parmi les nouveautés, citons une approche plus directe au sujet des mesures qui sont envisagées pour renforcer l'application de la loi. Dans une allocution (disponible en anglais seulement) prononcée en février dernier, le nouveau président de la CVMO a fait preuve de plus de transparence sur sa conception de l'application de la loi en lançant de nouvelles idées, notamment les ententes à l'amiable sans admission de responsabilité et la clarification du programme actuel de « crédit de coopération »1.

En juin et juillet dernier, au lendemain des perturbations survenues sur le marché après la publication d'un rapport très critique par un vendeur à découvert sur un émetteur précis (Sino-Forest), la CVMO, qui a voulu illustrer une fois de plus sa volonté de faire preuve d'une transparence accrue, a non seulement confirmé publiquement qu'elle avait sans tarder entamé une procédure d'enquête sur cet émetteur, mais elle avait aussi publié, de façon inhabituelle, un avis complémentaire pour avertir les autres émetteurs qu'elle orienterait son enquête sur d’autres propriétaires d'importants actifs dans les marchés émergents.

En août, la CVMO a pris une mesure encore plus agressive en destituant plusieurs membres de la direction de Sino-Forest en lien avec une interdiction temporaire d'opérations. Fait embarrassant pour la CVMO, elle a dû revenir le même jour sur cette décision. Cela dit, l'émetteur a, de son plein gré, pris des mesures presque sans délai pour parvenir aux mêmes résultats qu'aurait produits l'ordonnance irrégulière de la CVMO.

L'enquête de la CVMO sur les marchés émergents va bien au-delà de Sino-Forest et des émetteurs semblables pour viser le rôle joué par des parties qui exercent, selon elle, un certain contrôle sur l’accès : les vérificateurs, les souscripteurs et les auteurs des rapports sur ces émetteurs. L'évaluation des risques liés à certains émetteurs a été revue à la hausse dans au moins une mise à jour récente d’un rapport de recherche d’un courtier en valeurs mobilières, à la suite de la visite des propriétés et de la vérification des transactions entre des parties liées.

Même si cela ne saute pas aux yeux à première vue, cet intérêt pour un groupe d'émetteurs faisant appel public à l’épargne se trouvant dans la même situation représente une nouvelle illustration de la pratique de la CVMO, au cours des dernières années, qui consiste à rehausser le niveau des pratiques exemplaires en attirant l'attention du public, dans des avis sur la conformité, sur des pratiques d’information continue de sociétés ouvertes que les organismes de réglementation, et la CVMO en particulier, considèrent comme inadéquates.

Dans l'espoir de prouver que les organismes provinciaux de réglementation des valeurs mobilières se montrent plus déterminés à intenter des poursuites pour des violations en matière de valeurs mobilières, les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont annoncé dans leur Rapport sur l'application de la loi 2010  leur intention de recourir aux tribunaux et aux poursuites judiciaires pour faire appliquer la réglementation sur les valeurs mobilières plutôt que de s'en remettre aux procédures d'intérêt public considérées comme plus indulgentes, moins punitives et moins dissuasives que les poursuites. Ces dernières peuvent en effet donner lieu à la constitution de casiers judiciaires et à l'imposition de peines d'emprisonnement.

Dans les provinces de l'Ouest, et tout récemment au Nouveau-Brunswick, les commissions des valeurs mobilières se montrent intraitables dans le cadre d'une série de poursuites et de campagnes de sensibilisation pour combattre des escroqueries et des chaînes de Ponzi ayant trait à la fiscalité et aux retraites, visant des investisseurs individuels et ayant fait subir de lourdes pertes à des particuliers vulnérables.

Les mécanismes ciblés sont plus élaborés que les opérations de placement de titres sans valeur et purement spéculatifs. Ces escroqueries des plus sophistiquées ne rentrent pas facilement dans le champ d'application de la réglementation sur les valeurs mobilières. Pourtant, en assimilant ces mécanismes à des « contrats d'investissement » et en assouplissant ce concept, les agents de mise en application des lois sur les valeurs mobilières ont pu engager des poursuites et parvenir à un règlement. Cette approche a souri aux organismes de réglementation dans les procès intentés contre des parties demanderesses sans avocat, qui n'avaient pas monté d'attaque solide à l’encontre de la théorie juridique invoquée. Dans le cadre de ces poursuites, les commissions ont également dénoncé l'usage douteux des dispenses de prospectus et d'inscription. Voilà qui range un nombre accru d'activités dans la catégorie des cas flagrants de non-conformité à la réglementation sur les valeurs mobilières.

Plusieurs affaires illustrent cette tendance. Dans la décision Synergy Group2 (disponible en anglais seulement), confirmée par la Cour d'appel de l'Alberta, la Commission des valeurs mobilières de l'Alberta a estimé que le concept de « profits » englobe « les avantages financiers » afin d'établir que les ententes permettant aux investisseurs de participer à un système d'abattement fiscal ou de réduction d'impôts remplissent les exigences d'un contrat d'investissement (investissements de fonds dans un projet commun, dans l’espérance d’un profit découlant essentiellement de l'action d'autrui). Dans l'affaire Gold-Quest 3(disponible en anglais seulement), le mécanisme visé a été jugé à la fois comme une chaîne de Ponzi et un système pyramidal. Il permettait de négocier et distribuer illégalement des titres et de faire de fausses déclarations aux investisseurs. L'organisme de réglementation a constaté ceci dans l'affaire Kustom Design4 (disponible en anglais seulement) : comme les fonds prêtés par les investisseurs étaient garantis par un billet et des actes de cession, ils entraient dans la définition d’une valeur mobilière prévue dans la Loi sur les valeurs mobilières (Alberta). La Commission a également estimé que les ententes conclues par les investisseurs représentaient des contrats d'investissement.

Voici d'autres tendances récentes :

  • Recours accru au pouvoir conféré par la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) visant à poursuivre les fraudes (affaire Sextant5, affaire Grmovsek6);
  • Fréquence accrue des procédures pénales même après la conclusion d'un règlement concernant le même comportement visé par la réglementation sur les valeurs mobilières (affaire Agnico Eagle7, affaire Grmovsek8);
  • Poursuites pour négligence des personnes inscrites (notamment pour faute de vérification approfondie de la qualité des produits vendus) qui fait courir des risques aux investisseurs (affaire Portus9, affaire Norshield10);
  • Déclarations selon lesquelles un comportement techniquement légal est contraire à l'intérêt public s'il va à l'encontre des principes fondamentaux de la réglementation sur les valeurs mobilières, et ce, même si le comportement en question n'est pas mauvais au point de nuire à une classe distincte (affaire Eugene Melnyk11);
  • Multiplication des décisions selon lesquelles une violation de la Loi sur les valeurs mobilières (Ontario) par les personnes inscrites s'apparente à un manquement à leurs obligations fiduciaires (affaire Sextant12, affaire Norshield13).


1 Wetston, Howard (février 2011). « Réglementation rigoureuse pour des marchés financiers solides ». Allocution prononcée devant The Economic Club of Canada, à Toronto (Ontario).

2 Synergy Group (2000) Inc. v. Alberta (Securities Commission), 2011 ABCA 194.

3Re Gold-Quest International Corp., 2010 ABASC 18.

4 Re Kustom Design Financial Services Inc., 2010 ABASC 179.

5Sextant Capital Management Inc et al (2011), 34 OSCB 5863.

6Stanko Joseph Grmovsek and Gil I. Cornblum (2009), 32 OSCB 9038.

7R. v. Landen, 2008 ONCJ 561 (CanLII).

8 Ibid, note 6.

9 Madhavi Acharya-Tom Yew, "Failed hedge fund co-founder gets four years in jail" ((disponible en anglais seulement) « Le cofondateur d'un fonds de couverture en faillite est condamné à une peine de quatre ans de prison »), The Toronto Star (26 mai 2011).

10Norshield Asset Management (Canada) Ltd. et al. (2010), 33 OSCB 2139.

11Biovail Corporation, Eugene N. Melnyk et al (2010), 33 OSCB 8914.

12 Ibid, note 5.

13 Ibid, note 10.

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