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De nouvelles priorités? La Cour supérieure de justice de l’Ontario se fonde sur Indalex et en arrive à un résultat différent

Les 2 et 9 février 2012, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rendu deux décisions dans les instances en cours mettant en cause Timminco Limited et Bécancour Silicon Inc. (collectivement, « entités Timminco »), en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC), faisant ainsi évoluer le droit relativement à la priorité des réclamations au titre de régimes de retraite dans les procédures d’insolvabilité. Dans ces décisions connexes, le juge Morawetz a rendu des ordonnances qui créent des charges visant à garantir le financement du débiteur-exploitant (DIP), les honoraires et d’autres sommes ayant une superpriorité sur les charges existantes, y compris les fiducies présumées découlant de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario (LRR) ou de la Loi sur les régimes complémentaires de retraite du Québec (LRSR). Ces décisions sont importantes car dans ses motifs, le juge Morawetz s’est fondé en partie sur les motifs donnés par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Re Indalex Limited (Indalex) pour étayer sa décision d’accorder la superpriorité. Dans Indalex, contrairement au résultat atteint dans Timminco, la Cour d’appel de l’Ontario a accordé la priorité aux réclamations au titre du régime de retraite déficitaire sur les sûretés ordonnées par le tribunal pour garantir le prêt DIP. (La Cour suprême du Canada entendra un appel de la décision rendue dans Indalex, le 5 juin 2012.)

Contexte

Les entités Timminco étaient les promoteurs d’un régime de retraite à prestations déterminées enregistré en Ontario, et de deux régimes de retraite à prestations déterminées enregistrés au Québec (régimes). Les trois régimes étaient sous-capitalisés de plus de 14 millions de dollars, sur une base de solvabilité, et le régime enregistré en Ontario était en voie de liquidation, au moment du dépôt de la demande des entités Timminco en vertu de la LACC.

La première décision (disponible en anglais seulement), rendue par la Cour supérieure le 2 février, portait sur la demande des entités Timminco d’une ordonnance accordant trois sûretés superprioritaires : (i) une « charge administrative »; (ii) une « charge des administrateurs et des dirigeants », et (iii) une charge garantissant les sommes à verser aux termes d’un régime de fidélisation du personnel clé (« key employee retention program ») à des employés jugés essentiels à la réussite d’une restructuration (collectivement, les « charges administratives »). Les entités Timminco ont également sollicité une ordonnance suspendant leur obligation de verser des paiements spéciaux aux régimes. La deuxième décision (disponible en anglais seulement), rendue le 9 février, avait trait à la demande des entités Timminco d’une sûreté superprioritaire pour garantir un prêt DIP de plus de 4 millions de dollars qui devait être avancé par QSI Partners Ltd. (charge DIP).

Le Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, soutenu par les Métallurgistes unis (les syndicats), s’est opposé à l’octroi d’une priorité aux charges administratives et à la charge DIP au détriment des réclamations au titre des régimes de retraite (ainsi qu’à toute suspension de paiements spéciaux), étant donné que, de l’avis des syndicats, il y avait insuffisance de faits démontrant que la superpriorité ou la suspension des paiements spéciaux aux régimes étaient nécessaires.

En ce qui concerne les charges administratives en particulier, même si les syndicats ont admis que le tribunal avait le pouvoir d’accorder une superpriorité, ils ont soutenu qu’il s’agissait là d’une mesure extraordinaire, dont les entités Timminco n’avaient pas démontré la nécessité dans cette affaire. Les syndicats ont allégué, notamment, en se fondant sur Indalex, qu’en vertu de la doctrine de la suprématie fédérale, la Cour devrait démontrer que refuser la superpriorité aux charges administratives « entraverait la capacité de l’entreprise à se restructurer et à éviter la faillite ». En l’occurrence, les syndicats ont soutenu qu’étant donné que les entités Timminco n’avaient pas produit de plan de restructuration, il serait prématuré d’accorder une superpriorité aux charges administratives.

Les syndicats, se fondant encore sur Indalex, ont également allégué que les entités Timminco, en tant que promoteurs et administrateurs des régimes, cumulent deux fonctions. Lorsqu’ils assument les fonctions d’un promoteur ou d’une société, les administrateurs des entités Timminco ont une obligation de fiduciaire à l’égard de la société, mais lorsqu’ils exercent leurs fonctions d’administrateur, ils ont une obligation de fiduciaire à l’égard des bénéficiaires des régimes. Les syndicats ont soutenu qu’en sollicitant la superpriorité des charges administratives et de la charge DIP, les entités Timminco étaient en conflit d’intérêts et ne tenaient pas compte de leurs obligations à l’égard des régimes.

Décision

Le juge Morawetz a rejeté chacun des arguments des syndicats. Dans la décision qu’il a rendue le 2 février, il s’est fondé sur la déclaration de la Cour d’appel dans Indalex, selon laquelle « le juge compétent en vertu de la LACC peut émettre une ordonnance accordant des charges superprioritaires ayant préséance sur la législation provinciale, y compris la LRR ».

Le juge Morawetz a également souligné que les superpriorités sollicitées dans cette affaire ne porteraient pas préjudice aux bénéficiaires des régimes, parce qu’en l’absence d’une superpriorité, il s’en suivrait probablement une faillite, ce qui ne mènerait pas à de meilleurs résultats. Le juge a expressément statué que les entités Timminco n’avaient pas enfreint le principe du « cumul des fonctions » mis de l’avant dans Indalex, parce qu’il était dans l’intérêt commun des entreprises et des bénéficiaires des régimes que les entités Timminco évitent la faillite et poursuivent leur restructuration. C’est pourquoi il a également ordonné la suspension des paiements spéciaux aux régimes.

Dans la décision qu’il a rendue le 9 février, le juge Morawetz a approuvé la superpriorité sollicitée pour la charge DIP malgré les objections des syndicats. Il a largement fondé son analyse sur la décision qu’il avait rendue le 2 février, aux termes de laquelle il accordait la superpriorité aux charges administratives (en fait, il a joint ces motifs à sa décision du 9 février, sous forme d’annexe). En rejetant aussi l’argument des syndicats selon lequel la charge DIP ne devrait pas se voir accorder la priorité parce qu’elle ne prévoyait pas le financement de paiements spéciaux, le juge Morawetz a conclu qu’il était « irréaliste de s’attendre à ce qu’une partie ayant des motifs commerciaux consente des avances aux entités Timminco aux fins du versement de paiements spéciaux ou d’autres paiements, dans le cadre des régimes de retraite ».

Remarques de McCarthy Tétrault

Les décisions dans l’affaire Timminco constituent un important point de repère sur le parcours du pourvoi dans Indalex devant la Cour suprême du Canada. Bien qu’un certain nombre d’avocats aient dit que les résultats dans Indalex (octroi de la priorité de déficits actuariels de régimes de retraite sur un prêt DIP) semblent être motivés par les faits particuliers à cette affaire, les décisions dans le dossier Timminco prennent expressément en compte et appliquent l’analyse réalisée dans Indalex pour en arriver à un résultat différent : accorder la priorité au prêt DIP. L’affaire Timminco pourrait rassurer les employeurs et les prêteurs sur le fait que le tribunal, dans une procédure relative à la LACC, peut accorder (et le fera) la priorité à un prêt DIP sur toute fiducie présumée dans le cas de l’insuffisance de capitalisation d’un régime de retraite dans les circonstances appropriées, et que la décision dans Indalex ne constitue pas un empêchement à cet égard.

Étant donné que les décisions dans Timminco ne reposaient que sur la prise en compte d’un prêt et d’une charge DIP résultant d’une ordonnance d’un tribunal dès le début d’une affaire, Timminco n’aborde pas certains aspects de la décision dans Indalex qui préoccupent les prêteurs quant aux sûretés sur le fonds de roulement garanties par des contrats de sûreté régis par la Loi sur les sûretés mobilières de l’Ontario (LSM). En vertu de la LSM, toute fiducie présumée aux termes de la LRR a priorité sur les sûretés réelles (autres que les sûretés en garantie du prix d’achat) relatives aux stocks et aux comptes. Dans l’affaire Indalex, il a été décidé qu’à la liquidation d’un régime de retraite, la totalité du déficit est subordonnée à la fiducie présumée. Afin d’éviter que la totalité d’un déficit à la liquidation d’un régime de retraite n’ait priorité sur la sûreté, les prêteurs ayant des comptes et des stocks comme sûretés cherchent parfois à provoquer une faillite avant toute distribution des produits de la vente, lorsque les actifs d’un emprunteur ont été vendus dans des procédures en vertu de la LACC. Dans une faillite, les tribunaux statuent que la fiducie présumée perd son efficacité et donc, sa priorité. Cette approche des « priorités inversées » a été acceptée par les tribunaux par le passé, mais dans la situation particulière d’Indalex, la Cour d’appel n’a pas soutenu la transition à une procédure de faillite. Par conséquent, il existe de nombreux aspects de la décision dans Indalex pour lesquels d’autres directives et indications de la Cour suprême du Canada pourraient dissiper les incertitudes et faciliter les pratiques de prêts commerciaux.

Pour lire les commentaires de McCarthy Tétrault à ce jour sur Indalex, veuillez consulter nos bulletins électroniques des 8 avril 2011, 21 avril 2011 (disponible en anglais seulement) et 1er décembre 2011, ainsi que l'article paru dans le CoConseil McCarthy Tétrault : litige, volume 5, numéro 1, accessible ici.

Pour plus de renseignements sur la façon dont cette affaire pourrait s’appliquer à votre cas, veuillez communiquer avec un membre de nos groupes Droit de la faillite et de la restructuration, ou Régimes de retraite, avantages sociaux et rémunération des dirigeants, ou encore, votre avocat habituel chez McCarthy Tétrault.

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