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Canwest Media et Goldman Sachs

L’échec et la résurrection de Canwest représentent un microcosme de la récession que l’on a connue en 2008 et 2009. Criblée de dettes provenant d’acquisitions dans le secteur de la diffusion et de l’édition, privée de revenus publicitaires par le repli des clients et tourmentée par les journaux et stations de télévision locale « non rentables », Canwest a fait défaut à ses obligations financières au début de 2009. À ce moment, les vautours l’encerclaient et la famille Asper était confrontée à l’effondrement de son empire médiatique.

En fin de compte, le sauvetage de l’entreprise médiatique de Canwest était tributaire de l’assimilation et de la croissance de sa plus récente acquisition, une entreprise de télévision spécialisée achetée à Alliance Atlantis en 2007, qui comprenait History Television, Showcase et HGTV. Au cours de la récession, la diffusion traditionnelle à « temps d’antenne gratuit » sur le réseau de télévision Global de Canwest avait subi de graves baisses de produits d’exploitation et de bénéfices, mais l’entreprise de télévision spécialisée a été à peine touchée. Même si les revenus publicitaires diminuaient, les revenus d’abonnement continuaient de s’accumuler.

Canwest n’avait pas financé son acquisition des chaînes de télévision spécialisée auprès d’Alliance Atlantis en 2007 en s’endettant, chemin de financement qu’elle avait emprunté au moment d’établir son entreprise d’édition. Canwest a plutôt financé l’acquisition par l’entremise d’un coinvestissement de capitaux propres avec Goldman Sachs. Goldman Sachs a fourni près de 500 millions de dollars pour une participation en capitaux propres de 65 % dans la nouvelle société de portefeuille de télévision spécialisée, CW Investments. Canwest a apporté les 35 % restants mais, afin de respecter les exigences en matière de contrôle canadien qu’impose le CRTC, Canwest était propriétaire de 66 ⅔ % des actions avec droit de vote. Le plan d’affaires de Canwest était de regrouper son entreprise de télévision traditionnelle avec les stations spécialisées nouvellement acquises et de racheter la participation de Goldman Sachs d’ici à 2013.

À titre de pourvoyeur de capitaux temporaires dans une entreprise culturelle réglementée par le CRTC et contrôlée par Canwest, Goldman Sachs se devait d’être protégée par un contrat qui prévoyait des droits de gouvernance de base ainsi que le droit de vendre ses actions dans CW Investments. Pour répondre à ces besoins, Goldman Sachs a négocié une convention d’actionnaires multiparties, la convention CW, qui accordait à Goldman Sachs une représentation au conseil et le droit de vendre ses actions à CW Investments, la moitié en 2011 et l’autre moitié en 2013. Après l’exercice des droits de vente, Canwest aurait été l’unique propriétaire de l’entreprise de télévision spécialisée et Goldman Sachs aurait reçu un rendement préétabli de ses capitaux investis.

Lorsque la récession a frappé en 2008, la situation financière de Canwest avait changé. Même si l’entreprise de télévision spécialisée représentait la seule lueur d’espoir dans l’empire médiatique en difficulté, le reste de Canwest subissait les contrecoups du fléchissement de l’économie et de la baisse des revenus publicitaires. Ayant un désespérant besoin de fonds pour répondre aux demandes de ses prêteurs, mais possédant une entreprise potentiellement viable, Canwest a attiré l’attention d’investisseurs dans des titres de créances en difficulté qui cherchent des occasions d’investir dans des titres de créances sous-évalués d’entreprises éprouvant des difficultés. Dans Canwest, les investisseurs dans des titres en difficulté voyaient l’occasion d’acheter des billets de Canwest Media cotés en Bourse moyennant un fort escompte puis de forcer ensuite la vente d’actifs non stratégiques pour réduire la dette et convertir la dette restante en la propriété d’une entreprise médiatique de Canwest restructurée; ce que l’on appelle la stratégie « prêter pour posséder ».

L’un des attraits majeurs de l’entreprise médiatique de Canwest était l’entreprise de télévision spécialisée toujours très rentable dont Canwest était copropriétaire avec Goldman Sachs. Si les investisseurs dans les titres en difficulté, affectueusement baptisés les « vautours » dans l’industrie, pouvaient forcer Goldman Sachs à vendre sa participation de 65 % dans CW Investments à bas prix, les vautours auraient pu réaliser un profit correspondant à de nombreuses fois leur investissement initial dans les titres en difficulté en convertissant leurs billets en actions de Canwest Media restructurée. La pierre d’achoppement était la convention CW, laquelle garantissait à Goldman Sachs un rendement minimal sur ses capitaux investis par l’exercice de son droit de vendre ses actions à CW Investments à un prix fixe.

Non découragés (ou ne connaissant peut-être pas tous les droits contractuels de Goldman Sachs), les vautours ont élaboré un plan pour obtenir le contrôle du processus de restructuration de Canwest et exercer des pressions sur Goldman Sachs pour qu’elle abandonne les droits qu’elle avait soigneusement négociés et protégés par la convention CW.

Pendant tout le début de 2009, ils ont acheté des billets de Canwest Media moyennant de forts escomptes, regroupant le contrôle des billets dans les mains de quelques investisseurs dans des titres en difficulté qui pouvaient agir de concert. En mai 2009, ils ont fourni à Canwest Media un financement provisoire garanti pour rembourser sa dette bancaire garantie existante. Dans la convention de prêt-relais, ils ont négocié le contrôle véritable de chaque étape de Canwest dans son processus de restructuration. Ils ont ensuite forcé Canwest à vendre sa position majoritaire dans le réseau Ten en Australie. Le produit a servi à rembourser le prêt-relais et à effectuer un versement forfaitaire de 400 millions de dollars, soit environ 50 % du montant nominal des billets. Étant donné que bien des investisseurs dans des titres en difficulté avaient acheté les titres de créances de Canwest Media à 15-25 % de leur valeur nominale, ils étaient déjà gagnants à la suite de la vente de Ten. L’étape finale était d’obliger Canwest Media à introduire une instance en restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) et de se charger de Goldman Sachs.

Grâce à de la chance ou à une gestion adroite, les investisseurs dans des titres en difficulté ont obtenu un cadeau du gouvernement canadien qui a mis en vigueur des modifications de grande portée à la LACC le 18 septembre 2009. Les modifications ajoutaient de nouvelles dispositions traitant du « déni ou de la résiliation » des conventions qui n’avaient pas été interprétées ni mises à l’épreuve. En introduisant son instance le 6 octobre 2010, Canwest Media est devenue la première grande entreprise à demander la protection de la LACC en vertu de la version modifiée de cette loi.

Profitant de la modification, les investisseurs dans des titres en difficulté de Canwest, par l’entremise de leur comité ad hoc, ont insisté pour que Canwest dénie ou renégocie la convention CW afin, entre autres, d’annuler les droits de vente qui fixaient le prix de sortie garanti de Goldman Sachs. Canwest avait besoin de l’appui des investisseurs dans des titres en difficulté pour compléter sa restructuration et a donc amorcé sa campagne pour obtenir des concessions de Goldman Sachs, utilisant la menace du déni de la convention CW comme outil de négociation.

La première étape de la campagne a été de dépeindre l’acquisition en 2007 des chaînes de télévision spécialisée comme une incursion imprudente par Canwest dans le boom des fusions et acquisitions qui était à son sommet en 2007. Cette interprétation faisait abstraction du fait que la télévision spécialisée représentait la seule lueur d’espoir de Canwest Media et la base de sa réussite future en tant qu’entreprise restructurée.

La deuxième étape visait à gérer le processus de commercialisation auprès des nouveaux investisseurs dans Canwest Media pour permettre la participation des seuls investisseurs canadiens intéressés à acheter 20 % de Canwest Media restructurée (laissant 80 % aux créanciers).

La troisième étape consistait à exclure Goldman Sachs du processus de restructuration en interdisant à quiconque détenait des renseignements confidentiels au sujet de Canwest de s’adresser à Goldman Sachs.

La quatrième étape visait à empêcher une opération concurrente en pressant le tribunal d’approuver une opération avec Shaw Communications, le partenaire canadien identifié dans le processus de commercialisation sous le contrôle du comité ad hoc. Comme on pouvait s’y attendre, la convention avec Shaw exigeait un déni de la convention CW ou la capitulation de Goldman Sachs. Par suite de l’approbation de la convention avec Shaw, le décor était planté pour la bataille finale avec Goldman Sachs.

Les droits de vente de Goldman Sachs exigeaient de CW Investments qu’elle achète les actions dont Goldman Sachs était propriétaire. CW Investments, partie à la convention CW, était pleinement solvable et en mesure de s’acquitter de toutes ses obligations aux termes de la convention CW. Bien sûr, si CW Investments devait être libérée de son obligation d’acheter les actions de Goldman Sachs, la valeur des actions de Goldman Sachs chuterait, toute la valeur perdue revenant à Canwest Media et à ses nouveaux propriétaires, les vautours et Shaw. Goldman Sachs a fait valoir que Canwest Media ne pouvait se servir de sa propre insolvabilité et de la LACC modifiée pour libérer CW Investments, compagnie solvable, de son obligation aux termes de la convention CW. Les lignes de bataille étaient ainsi dessinées. Goldman Sachs a interjeté appel quant à l’approbation de la convention avec Shaw et s’est préparée à défendre la convention CW et ses droits de vente devant la Cour suprême du Canada, au besoin, pour protéger son investissement.

Dans un effort pour épargner la restructuration de Canwest Media d’un litige complexe et acrimonieux, la Cour a ordonné à tous les intervenants clés — le comité ad hoc de porteurs de billets, Canwest Media, Shaw, le contrôleur et Goldman Sachs — de participer à un processus de médiation mené par le juge en chef de l’Ontario Warren Winkler.

Le processus de médiation créait le premier et unique cadre de négociation valable et, à la surprise de beaucoup, a donné lieu à une opération restructurée que tous les intervenants étaient prêts à appuyer. Dans cette opération, Goldman Sachs a vendu sa participation dans CW Investments à la valeur accumulée de cette participation, en se servant de la formule prévue dans la convention CW, majorée d’une indemnisation pour ses coûts. Les porteurs de billets ont renoncé à leur rêve de devenir actionnaires de Canwest restructurée, mais ont convenu d’accepter le paiement intégral du solde restant des billets. Et Shaw a obtenu ce qu’elle souhaitait réellement : la propriété à 100 % de Canwest Media, sous réserve de l’approbation du CRTC.

En raison du règlement, la portée des nouveaux pouvoirs de déni prévus par la loi n’a jamais été mise à l’épreuve dans la restructuration de Canwest Media. Toutefois, les modalités du règlement donnent à penser que la position de Goldman Sachs dans le litige — selon laquelle les obligations d’une partie solvable dans une convention multipartie ne peut faire l’objet d’un déni en vertu de la LACC — était justifiée, au moins dans cette affaire.

Malheureusement, cette affaire souligne la précarité des droits contractuels en vertu des lois canadiennes en matière d’insolvabilité. Plutôt que d’améliorer la prévisibilité et de protéger les droits fondamentaux et procéduraux des parties ayant des relations contractuelles continues avec des entreprises insolvables, les modifications à la LACC semblent avoir fourni l’occasion à des investisseurs faisant de nouveaux investissements dans des entreprises en difficulté d’exploiter la formulation imprécise des dispositions modifiées et les incertitudes entourant leur portée et leur application.

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