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Bonnes nouvelles pour les employeurs : le droit de gestion fixe des limites au respect de la vie privée des employés

Les bonnes choses viennent par trois, adage bien connu, du moins pour les employeurs. Trois récentes décisions d’arbitrage appuient en effet le droit de l’employeur de gérer la sécurité et l’efficacité de ses activités au moyen de politiques relatives à la technologie sur les lieux de travail, à la vérification régulière de casiers judiciaires et à la vérification du registre des appels de téléphones cellulaires, même si ces politiques peuvent porter atteinte aux droits au respect de la vie privée des employés.

Dans la décision International Union of Elevator Constructors, Local 1 v. Otis Canada Inc. [2010] B.C.C.A.A.A. no 121 (QL) rendue en 2010, l’arbitre John Steeves a statué que les dispositifs télématiques dans les véhicules d’entreprise ne portaient pas atteinte aux droits à la vie privée des employés. Otis Canada Inc. avait installé dans ses véhicules des dispositifs qui, au moyen de la technologie satellitaire, transmettaient des renseignements sur le démarrage, l’arrêt et le temps d’immobilisation de chaque véhicule, de même que le nom de l’employé conduisant le véhicule. L’information était transmise aux gestionnaires et servait à évaluer la consommation d’essence et à établir si l’entretien régulier avait été effectué et si l’utilisation du véhicule était autorisée ou non (la société avait mis en place une politique stricte interdisant l’utilisation de véhicules de l’entreprise à des fins personnelles). Les dispositifs n’étaient pas dotés de la technologie GPS, et ne pouvaient donc pas transmettre de l’information détaillée sur la localisation des véhicules.

Le syndicat représentant les employés a déposé un grief de principe selon lequel l’employeur recueillait des renseignements personnels (la localisation de l’employé) au moyen des appareils télématiques, et violait par conséquent la convention collective et la loi de la Colombie-Britannique intitulée Personal Information Protection Act (PIPA). Au sens de l’article 1 de la PIPA, on entend par renseignements personnels [trad.] « un renseignement sur une personne identifiable, notamment un renseignement personnel sur un employé, mais à l’exclusion a) des coordonnées ou b) des renseignements sur le produit du travail. » La PIPA interdit la collecte, l’utilisation ou la divulgation de renseignements personnels sans le consentement de la personne. L’employeur a fait valoir que les renseignements recueillis étaient reliés à son activité et ne constituaient donc pas des « renseignements personnels » au sens de la PIPA et que, même si les renseignements constituaient des « renseignements personnels », la collecte et l’utilisation étaient raisonnables.

Le grief a été rejeté. L’arbitre Steeves a conclu que les dispositifs servaient à consigner le temps de travail des employés et qu’il s’agissait là de l’un des droits de gestion généraux de l’entreprise de savoir ce que font les employés lorsqu’ils travaillent et utilisent des véhicules de l’entreprise. Il a également conclu que le seul renseignement personnel recueilli était le nom de l’employé et qu’il n’y avait donc pas violation de la PIPA. On craignait en outre l’utilisation des renseignements à des fins d’enquête ou de sanction disciplinaire à l’égard d’un employé, mais les renseignements recueillis par les dispositifs n’étaient pas visés par la définition de « renseignement personnel », et il n’y avait donc pas atteinte à la vie privée des employés dans les circonstances.

Un deuxième grief de principe visant le droit à la vie privée des employés a été rejeté par l’arbitre Wayne Moore dans Vancouver Firefighters’ Union, Local 18 v. Vancouver (City) [2010] B.C.C.A.A.A. no 81 (QL). Dans cette affaire, le syndicat a formulé un grief contre une politique mise en place par la Ville de Vancouver aux termes de laquelle les employés de son service d’incendie et de sauvetage qui occupent « certains emplois de confiance » devaient se soumettre à des vérifications de casiers judiciaires à tous les cinq ans. Il s’agissait principalement d’emplois dans le cadre desquels l’employé entretient des liens durables ou étroits avec des personnes vulnérables ou d’emplois dont les principales fonctions consistent notamment en la protection de la sécurité des personnes et/ou des biens corporels. Les employés qui ne se conformaient pas à la politique étaient passibles de sanction disciplinaire ou de congédiement.

Le syndicat ne s’opposait pas à la pratique de l’employeur quant aux vérifications du casier judiciaire au moment de l’embauche, mais prétendait que la divulgation obligatoire permanente de renseignements sur le casier judiciaire d’un employé et les vérifications obligatoires de casiers judiciaires à intervalles de cinq ans portaient atteinte aux droits au respect de la vie privée d’un employé prévus par la législation et la common law et outrepassaient les droits de gestion de l’employeur en vertu de la convention collective. L’employeur a fait valoir que la politique s’inscrivait dans sa mission légitime d’offrir au public des services sécuritaires et efficaces.

L’arbitre Wayne Moore a maintenu la politique sous réserve de légères modifications. Il a souligné que l’employeur devait impérativement pouvoir évaluer les qualités de ses employés pour le poste, compte tenu de sa mission de protection de la sécurité du public et de la sécurité des biens publics, tout en veillant à l’intégrité de ses activités et de ses employés. Dans le cadre de sa décision, l’arbitre Moore a fait remarquer que pour préserver la confiance du public et l’intégrité de ses activités, l’employeur ne devait pas attendre une plainte de mauvaise conduite avant de s’assurer s’il est légitime que ses employés occupent certains emplois. Dans cette décision, l’arbitre Moore a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’une obligation générale de vérifier le casier judiciaire de tous les employés, mais d’une obligation limitée à certains employés qui avaient le choix ou non de postuler sur les emplois désignés.

La troisième décision du trio favorable aux employeurs a été rendue dans l’affaire Teamsters Canada Rail Conference v. Canadian Pacific Railway Company (numéro de dossier 3900, bureau d’arbitrage et de médiation des Chemins de fer du Canada).

Après un certain nombre de collisions graves dans l’industrie nord-américaine du chemin de fer, Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée a adopté une politique aux termes de laquelle ses employés devaient fournir des copies de leurs registres de téléphone sans fil personnel dans le cadre d’enquêtes de routine lorsqu’un accident ou un incident important demeurait par ailleurs inexpliqué. Dans le grief de principe contre cette politique, le syndicat prétendait que la demande la société était déraisonnablement indiscrète et violait les droits au respect de la vie privée des employés, et citait une décision du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada dans laquelle il avait statué que les registres téléphoniques constituaient des « renseignements personnels » au sens de la loi fédérale intitulée Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (« LPRPDE »).

Après avoir souligné la nature hautement à risque pour la sécurité des activités ferroviaires au Canada, l’arbitre Michel Picher a rejeté le grief et conclu que la politique de la société respectait les exigences de la LPRPDE. Dans sa décision, il a fait valoir que compte tenu de la nature particulière des activités ferroviaires, « On doit inévitablement déterminer la prépondérance des droits entre les droits au respect de la vie privée des employés et les intérêts d’une société ferroviaire de garantir des activités sécuritaires ». Le fait que l’atteinte était très faible et que la société ne cherchait qu’à savoir si un téléphone cellulaire avait été utilisé à proximité d’un accident ferroviaire a influé sur la décision de l’arbitre Picher. La société n’a pas cherché à outrepasser le droit au respect à la vie privée quant au contenu d’une communication sans fil. Cette conclusion est comparable à celle de la décision Otis Canada Inc.; dans cette affaire, les dispositifs télématiques ne recueillaient que le nom du mécanicien/conducteur et aucun autre renseignement personnel sur la personne, et on a conclu à une faible atteinte à la vie privée.

Principaux points à retenir pour les employeurs :

  • Les employeurs ont le droit de veiller au fonctionnement efficace et sécuritaire de leur entreprise. Dans certaines circonstances, l’exercice des droits de gestion permettront une atteinte raisonnable à la vie privée de l’employé.
  • La mise en œuvre de technologies, de politiques ou de pratiques qui permettra aux employeurs de recueillir, d’utiliser et de divulguer des renseignements personnels doit autant que possible être minimale dans les circonstances, et viser des intérêts légitimes comme le fonctionnement sécuritaire et efficace de l’entreprise.
  • Afin de minimiser la possibilité d’une plainte ou d’un grief défavorable par suite de la mise en œuvre de nouvelles technologies ou politiques en milieu de travail, l’employeur devrait envisager d’aviser les employés du changement et de les informer des objectifs visés par la mise en œuvre de la technologie ou de la politique.