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Au-delà des heures supplémentaires — Survol des recours collectifs en matière d’emploi au Canada

Lorsque les premiers recours collectifs concernant les heures supplémentaires ont fait leur entrée dans le monde juridique canadien en 2007, certains observateurs se sont demandé s’ils ne représentaient pas une tendance vers la culture des recours collectifs auxquels les employeurs américains se sont habitués. La nouvelle loi fédérale Fair Labour Standards Act1,également intitulée  « règles d’équité salariale »  et adoptée en 2004, accordait un droit élargi aux heures supplémentaires. Les recours collectifs concernant les heures supplémentaires ont alors proliféré aux États-Unis. Jusqu’à maintenant, les tentatives visant à suivre cette tendance au Canada ont été tièdement accueillies par les tribunaux. Dans les cas où des recours collectifs concernant les heures supplémentaires ont été autorisés, des appels sont en instance et à ce jour, aucune affaire n’a été entendue sur le fond.

Si les recours collectifs concernant les heures supplémentaires ont retenu notre attention au cours des dernières années, ils ne constituent pas le seul type de recours collectif en matière d’emploi. L’utilisation croissante de recours collectifs pour contester des congédiements injustifiés, la discrimination au travail ou des changements aux prestations de retraite et avantages qui touchent de larges groupes de salariés  pourrait inquiéter tous les employeurs, même ceux qui ne courent aucun risque particulier de poursuites concernant les heures supplémentaires.

Bien que la possibilité d’un recours collectif ait souvent pour effet d’effrayer les employeurs, les poursuites par voie de recours collectif peuvent, dans certains cas, contribuer à l'établissement définitif des obligations des parties.

État des recours collectifs en instance concernant les heures supplémentaires

En net contraste avec le flot de recours collectifs concernant les heures supplémentaires qui font les manchettes aux États-Unis, il n’y a, au Canada, que quatre cas où une décision a été rendue — ou devrait être rendue sous peu — quant à l’autorisation de recours2.

  • Fresco v. Canadian Imperial Bank of Commerce3, une poursuite de 651 millions de dollars engagée au nom d’employés non cadres, non syndiqués, actuels et anciens, de succursales de détail, lesquels employés étaient prétendument tenus ou autorisés à travailler pendant des heures supplémentaires sans recevoir de majoration pour ces heures supplémentaires comme l’exige le Code canadien du travail.

En juin 2009, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé d’autoriser le recours au motif que les demandes des membres du groupe ne soulevaient pas une question commune suffisante pour faire progresser l’instance si elles faisaient l’objet d’un examen collectif. Puisqu’il n’y avait pas de preuve de pratique systémique d’heures supplémentaires impayées, l’affaire se ramenait essentiellement à des poursuites individuelles, lesquelles ne justifiaient pas un recours collectif. Cette décision a été maintenue par la Cour divisionnaire en septembre 2010 et a été portée en appel devant la Cour d’appel de l’Ontario, une audition étant prévue du 14 au 16 septembre 2011.

  • Fulawka v. The Bank of Nova Scotia 4, une poursuite de 350 millions de dollars (dont 100 millions de dollars de dommages punitifs) entreprise au nom d’employés à temps plein qui étaient prétendument tenus de faire des heures supplémentaires non rémunérées en raison de déficiences systémiques dans l’application des politiques de la banque en matière d’heures supplémentaires.

Le 19 février 2010, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a autorisé le recours collectif. L’affaire se distinguait de Fresco du fait qu’il y avait preuve d’acte répréhensible systémique donnant lieu à des heures supplémentaires impayées de façon continue. Cette décision a été portée en appel devant la Cour divisionnaire. L’audition a eu lieu du 1er au 3 décembre 2010, et la décision est en délibéré5.

  • McCracken v. Canadian National Railway Company6, une poursuite de 300 millions de dollars (dont 50 millions de dollars en dommages punitifs, majorés et exemplaires) engagée au nom de plus de 1 500 « superviseurs de premier niveau » qui étaient prétendument classés de façon inappropriée comme des « directeurs » et s’étaient vu refuser à tort le paiement des heures supplémentaires.

Le 17 août 2010, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a autorisé le recours collectif. Comme Fulawka, cette affaire se distinguait de Fresco du fait qu’elle soulevait une pratique répréhensible systémique de la classification, par CN, d’employés comme étant dispensés des dispositions prévues par la loi en matière d’heures supplémentaires (c.-à-d. une affaire de « classement inapproprié » par opposition à une affaire dans laquelle les employés prétendent qu’ils étaient tenus de travailler des heures supplémentaires sans être rémunérés en conséquence). La décision a été portée en appel devant la Cour divisionnaire. Des documents écrits ont été produits à la Cour, et une audition devrait avoir lieu avant la fin de cette année.

  • Rosen v. BMO Nesbitt Burns7, une affaire dans laquelle une rémunération est demandée au nom de conseillers en placement et de conseillers financiers actuels et anciens qui étaient prétendument classés de façon inappropriée comme étant dispensés du paiement des heures supplémentaires et dont on s’attendait à ce qu’ils travaillent jusqu’à 80 heures par semaine.

Une déclaration a été déposée le 8 février 2010. Des documents ont été produits, mais aucune décision n’a encore été rendue quant à l’autorisation du recours.

Recours collectifs en matière d’emploi ne concernant pas les heures supplémentaires

Comme nous le mentionnions en début d'article, on trouve, au Canada, de nombreux exemples de recours collectifs ayant été autorisés dans des affaires impliquant des allégations de congédiement injustifié et de discrimination, ainsi que dans des affaires concernant les prestations de retraite et les avantages sociaux, lesquelles ont toujours représenté le terreau le plus fertile pour des recours collectifs, des poursuites en matière de négligence, de rupture de contrat et/ou de violation du devoir fiduciaire, souvent dans des cas où les avantages sont unilatéralement modifiés, réduits ou abolis, ou encore lorsqu’il y a un manque de fonds.

L’intérêt pour les recours collectifs dans de tels cas peut sans doute s’expliquer par l’exigence que, pour être autorisés, les membres du groupe d’un recours collectif doivent démontrer que l’affaire soulève des « questions communes » que le tribunal doit trancher. La plupart des demandes en matière d’emploi se ramèneront à une analyse de faits et de circonstances individuels, et sont peu susceptibles de donner lieu à des recours collectifs. Toutefois, dans une affaire où les demandes individuelles reposent sur une décision ou une action déterminante de l’employeur, ou encore reposent sur une défaillance systémique des politiques de travail de l’employeur, le recours collectif pourrait s’avérer un moyen approprié.

Les conseillers juridiques des demandeurs semblent intéressés à s’engager dans cette voie. Les fermetures d’entreprises et les réductions d'effectifs à la suite du récent ralentissement économique ont notamment déclenché une vague de recours collectifs concernant des congédiements injustifiés.

Cette tendance inquiète les employeurs, particulièrement si l’on considère la dernière affaire à avoir fait les manchettes aux États-Unis — l’autorisation du recours de la plus importante affaire de discrimination dans l’emploi engagée contre Wal-Mart, qui vise un groupe de quelque 1,5 million de membres8.

Par ailleurs, les employeurs peuvent se retrouver avec un important mémoire de frais s’ils échouent dans leur défense contre une demande d’autorisation. Dans l’affaire McCracken, les conseillers juridiques du demandeur se sont vu accorder la plus importante attribution de dépens dans l’histoire juridique canadienne (740 000 $) après que leur demande d’autorisation a été accueillie9.

Le recours collectif comme outil de règlement

Bien que d’être la cible d’un recours collectif ne soit généralement pas souhaitable, cela peut, dans certains cas, servir d’outil à des employeurs en milieu non syndiqué pour obtenir le règlement d’éventuelles demandes en matière d’emploi.

Dans Corless v. KPMG LLP10, une ancienne employée de KPMG a déposé un recours collectif au nom d’anciens employés qui n’avaient prétendument pas obtenu le paiement des heures supplémentaires pendant lesquelles ils avaient travaillé. Après l’introduction de l’instance, KPMG a entrepris un examen de ses politiques relatives aux heures supplémentaires et a conclu que certains employés n’avaient pas, dans les faits, été convenablement rémunérés pour les heures supplémentaires.

Avant que la demande d’autorisation ne soit même débattue, les parties ont négocié et convenu d’une formule de calcul de la rémunération des heures supplémentaires afin de régler l’affaire, sous réserve de l’approbation du tribunal. À la demande de KPMG, les parties ont également convenu de modifier le recours afin d’inclure aussi bien les employés actuels que les anciens employés. Elles ont ensuite conjointement demandé que la Cour supérieure de justice de l’Ontario atteste le recours collectif en fonction de la définition modifiée de la catégorie et approuve le règlement négocié par les parties. Après avoir examiné les faits en considération de l’analyse juridique applicable, la Cour a, de façon concomitante, autorisé l’action et approuvé le règlement.

Il s’agit d’un exemple de la façon dont les employeurs peuvent utiliser les recours collectifs en guise d’outil afin de définir leur responsabilité et obtenir un règlement ordonné et efficace dans les cas où ils font face à de multiples demandes connexes.

Conseils à l’intention des employeurs

Ces affaires rappellent aux employeurs les faits suivants :

  • Même si les employeurs canadiens n’ont pas été frappés aussi durement que leurs homologues américains, la possibilité de recours collectifs en matière d’emploi demeure. Au moins deux affaires importantes concernant les heures supplémentaires ont été autorisées et, à moins qu’elles ne soient rejetées en appel, seront entendues. Ceci étant dit, les employeurs qui ne se considèrent pas menacés par des poursuites concernant les heures supplémentaires ne sont pas au bout de leurs peines.
  • Les demandes en matière d’emploi qui découlent de défauts ou de fautes systémiques en milieu de travail pourraient faire l’objet de recours collectifs.
  • De plus, les employeurs confrontés à d’éventuelles obligations en matière d’emploi devraient se demander si les recours collectifs, ou d’autres options de procédure, ne pourraient pas être utilisés à leur avantage.


1 29 USC, ch. 8.

2 Il y a toutefois d’autres poursuites qui ont été déposées en tant que recours collectif, mais qui n’ont pas encore franchi les phases initiales de procédure d’autorisation.

3 2009 CanLII 31177 (ONSC); 2010 ONSC 1036 (CanLII); 2010 ONSC 4724 (CanLII).

4 2010 ONSC 2645 (CanLII); 2010 ONSC 1148 (CanLII).

5 Le 3 juin 2011, la Cour divisionnaire de l’Ontario a rendu sa décision maintenant l’autorisation. La Cour a convenu avec la Cour supérieure de l’Ontario que, compte tenu des prétendus actes répréhensibles, il y avait suffisamment de questions communes pour faire progresser l’instance de chaque membre du groupe. Voir le texte intégral de la décision : [2011] O.J. No. 2561 (QL).

6 2010 ONSC 4520 (CanLII); 2010 ONSC 6026 (CanLII).

7 Cour supérieure de l’Ontario no 10-396685 00CP.

8 Le 20 juin 2011, la Cour suprême des États-Unis a infirmé les décisions des deux tribunaux inférieurs autorisant la poursuite en discrimination en matière d’emploi déposée par des employées contre Wal-Mart. En refusant d’autoriser le recours collectif, la Cour a statué que les nombreuses plaintes individuelles de discrimination ne respectaient pas l’exigence de communalité propre à un recours collectif, puisque chaque plainte exigeait une analyse distincte. Cette décision concorde avec la tendance que nous avons observée parmi les tribunaux canadiens.

9 Voir la note 5.

10 2008 CanLII 39784 (ONSC).