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Anson c. HMRC : Une autre approche sur les S.A.R.L.

Le 1er juillet 2015, la Cour suprême du Royaume-Uni a rendu jugement dans l’affaire Anson v. Commissioners for Her Majesty’s Revenue and Customs (Anson)[1]. En l’espèce, la Cour était appelée à statuer sur la façon dont devait être traitée, sous le régime du droit fiscal britannique, la participation d’un contribuable dans une société à responsabilité limitée (SARL) du Delaware. La décision de la Cour a fait couler beaucoup d’encre au Royaume-Uni, car elle contredit, dans une certaine mesure, la position historique de HMRC (Revenu et douanes de Sa Majesté) selon laquelle une SARL doit être considérée comme une entité « opaque » aux fins de l’impôt du Royaume-Uni.

Voici un résumé des faits de l’espèce. Le contribuable en cause, M. Anson, qui était résident du Royaume-Uni sans y être domicilié, était un associé d’une SARL dont l’entreprise consistait à administrer des fonds de capital de risque aux États-Unis. La SARL était considérée comme une société de personnes aux fins de l’impôt américain et, de ce fait, comme une entité transparente à cet égard, de sorte que les associés, et non la SARL elle-même, étaient redevables de l’impôt sur le revenu de la société. M. Anson a reçu de la SARL des distributions (déduction faite de la retenue d’impôt des non-résidents appliquée à l’impôt qu’il devait payer aux É.-U. relativement au revenu de la SARL) qu’il a « remises » au R.-U.; par conséquent, ces distributions étaient incluses dans son revenu assujetti à l’impôt britannique[2]. Lorsque M. Anson a demandé l’allégement au titre de l’alinéa a) du paragraphe 23(2) de la convention fiscale de 1975 entre le Royaume-Uni et les États-Unis visant à éviter la double imposition (1975 UK/US Double Taxation Convention) (la Convention) ainsi que de l’alinéa a) du paragraphe 24(4) de la convention qui lui a succédé, la 2001 UK/US Double Taxation Convention, HMRC a refusé de lui accorder un crédit pour l’impôt payé aux É.-U. sur le revenu de la SARL. Selon ces dispositions, [traduction] « l’impôt américain dû en vertu des lois des États-Unis [...] sur les bénéfices ou le revenu provenant de sources situées aux États-Unis (à l’exclusion, dans le cas d’un dividende, de l’impôt payable à l’égard des bénéfices sur lesquels le dividende est payé) est considéré comme un crédit déductible de l’impôt du Royaume-Uni calculé d’après les mêmes bénéfices ou le même revenu sur lesquels l’impôt des États-Unis est calculé ». Selon le point de vue de HMRC, M. Anson avait payé de l’impôt aux États-Unis sur le revenu de la SARL et, au Royaume-Uni, sur les distributions déclarées par la SARL. Il s’agissait de deux sources de revenu distinctes; par conséquent, les bénéfices ou le revenu assujettis à l’impôt dans l’un et l’autre pays n’étaient pas les mêmes. Ainsi que l’a relevé la Cour suprême du Royaume-Uni dans ses motifs, le résultat de cette analyse était que le taux d’imposition effectif de M. Anson sur le revenu tiré de la SARL s’élevait à 67 %[3].

Selon le témoignage des experts qui ont comparu devant le tribunal de première instance, le contrat de société régissant la SARL (le contrat de SARL) en l’espèce ainsi que la Limited Liability Company Act (LLC Act) du Delaware reconnaissaient aux associés un droit aux bénéfices [traduction] « dès que ceux-ci étaient générés », et non seulement au moment de la déclaration des distributions. Dans la LLC Act, la notion de [traduction] « participation dans une société à responsabilité limitée » est définie comme étant [traduction] « la part des bénéfices et des pertes d’une société à responsabilité limitée revenant à un associé et le droit d’un associé de recevoir des distributions sur les actifs de la société à responsabilité limitée ». Par ailleurs, l’article 4.1 du contrat de SARL prévoyait que les comptes de capitaux propres des associés devaient être crédités d’un montant égal à l’ensemble du revenu brut gagné dans une période, et l’article 5.1 prescrivait que [traduction] « l’excédent du revenu et des gains sur les pertes, déductions et charges » soit distribué aux associés trimestriellement[4]. En conséquence, le revenu provenait d’une source unique (le revenu d’entreprise sous-jacent) et non de deux sources (soit le revenu tiré d’une entreprise gagné par la SARL et le revenu tiré de biens gagné par M. Anson).

HMRC a interjeté appel de cette décision à l’Upper Tier Tribunal (UTT). L’UTT a examiné l’appel à la lumière de l’arrêt Memec plc v. Inland Revenue Commissioners (Memec)[5], dans lequel la Cour d’appel avait conclu qu’un associé d’une société de personnes passive d’Allemagne ne disposait pas d’un droit de propriété sur les biens de la société de personnes et ne pouvait donc pas être considéré comme ayant reçu des dividendes versés à la société de personnes pour l’application de la convention fiscale entre le Royaume-Uni et l’Allemagne. L’UTT a conclu que, comme dans Memec, les actifs étaient ceux de la SARL. De ce fait, la SARL était une entité « opaque », et le revenu de M. Anson consistait en des distributions déclarées sur sa participation à titre d’associé dans la SARL (c’est-à-dire un revenu tiré de biens) plutôt qu’en un revenu tiré de l’entreprise exploitée par la SARL. M. Anson a fait appel de cette décision à la Cour d’appel, qui a confirmé les conclusions de l’UTT, souscrivant pour l’essentiel aux motifs exposés par l’UTT.

Devant la Cour suprême du Royaume-Uni, M. Anson a fait valoir que le passage entre parenthèses, à l’alinéa a) du paragraphe 23(2) de la Convention, qui excluait de l’allégement l’impôt payé par une société versant des dividendes à un résident du R.-U., permettait de penser que cette disposition pourrait par ailleurs s’appliquer à l’impôt sous-jacent payé par une entité qui procède à des distributions. La Cour n’a pas retenu cet argument. Elle a analysé l’historique des dispositions pertinentes, faisant remarquer que la version de 1945 de la Convention prévoyait explicitement que le R.-U. devait accorder un crédit pour impôt étranger relativement à l’impôt payé par une société américaine lorsqu’il levait un impôt sur les dividendes payés par une telle société. Le passage entre parenthèses servait uniquement à faire ressortir que tel ne serait plus le cas aujourd’hui.

La Cour s’est ensuite penchée sur l’argument de la Couronne (qui avait été accepté par l’UTT et la Cour d’appel) selon lequel Memec ne permettait pas de conclure que les distributions et le revenu de la SARL constituaient le même élément de bénéfices ou de revenu pour l’application de la Convention. De l’avis de la Cour, la question dans Memec était différente de celle soulevée dans Anson : il s’agissait dans la première affaire de déterminer si un dividende reçu par une société de personnes pouvait être considéré comme ayant été reçu par les associés. (L’affaire portait sur une dispositionde la convention fiscale entre le Royaume-Uni et l’Allemagne qui exigeait que le R.-U. octroie un crédit d’impôt étranger pour l’impôt allemand payé par une société lorsque celle-ci versait des dividendes à une société résidant au R.-U. qui détenait une participation importante dans la première société. Autrement dit, la question était de savoir si la société contribuable avait reçu le dividende versé à la société de personnes passive.) Dans les circonstances, il était pertinent de se demander qui avait un droit de propriété sur le dividende, puisque la notion de bénéfices ou de revenu figurant à l’alinéa a) du paragraphe 23(2) était quelque peu abstraite et n’était pas fonction de la personne propriétaire des espèces qui pouvaient représenter ces bénéfices ou ce revenu.

À l’instar du tribunal de première instance, la Cour s’est dite d’avis, en dernière analyse, que la question de savoir si les bénéfices et les distributions de la SARL constituaient un même élément de bénéfices ou de revenu ou représentaient des éléments de sources distinctes dépendait du moment où le revenu de M. Anson avait été gagné : lorsque les bénéfices avaient été gagnés par la SARL, ou lorsque les bénéfices avaient été distribués par celle-ci. La Cour a retenu la première option, s’appuyant principalement sur les conclusions de fait tirées par le tribunal de première instance au sujet de la LLC Act et sur les clauses du contrat de SARL, lequel prévoyait que les bénéfices devaient être distribués trimestriellement aux associés. L’appel de M. Anson a donc été accueilli.

Par suite de l’arrêt rendu dans Anson, HMRC a publié une réponse le 25 septembre 2015, déclarant que cette décision était propre aux faits de l’affaire, de sorte que lorsque des SARL américaines avaient été traitées comme des sociétés au sein d’un groupe, HMRC allait continuer de les traiter ainsi, et lorsqu’une SARL américaine était traitée comme exploitant elle-même une entreprise, HMRC allait aussi continuer de la traiter ainsi[6]. HMRC n’a donc pas revu son approche pour ce qui est de la classification des SARL américaines aux fins de l’impôt du Royaume-Uni. En outre, le HMRC a précisé que les demandes d’allégement pour double imposition faites par des particuliers du R.-U. ayant un revenu provenant d’une SARL américaine seraient examinées au cas par cas.

La décision Anson est semblable à TD Securities (USA) LLC c. La Reine[7] en ce sens qu’elle remet en question le point de vue traditionnel voulant que le revenu d’une SARL soit traité comme étant différent de celui des associés. L’ampleur des répercussions qu’aura cette décision au Canada demeure à voir. Le raisonnement de la Cour suprême du Royaume-Uni ne s’appuyait pas sur l’idée qu’une SARL n’est pas une société, ou que les SARL devraient être considérées comme des entités transparentes sur le plan fiscal aux fins de l’impôt du Royaume‑Uni. La Cour a plutôt tranché en fonction du libellé de l’alinéa a) du paragraphe 23(2) de la Convention, de la LLC Act et du contrat de SARL. Qui plus est, le contexte législatif propre aux crédits d’impôt étranger du Canada est sensiblement différent de celui qui a été établi par la Convention. Le paragraphe 126(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu mentionne expressément qu’un crédit pour « impôt sur le revenu tiré d’une entreprise » ne peut être demandé que par un contribuable relativement à une entreprise exploitée par lui[8]. Ainsi, seuls les paragraphes 126(1), 20(11) et 20(12) s’appliquent au cas d’un particulier actionnaire comme M. Anson. Fait digne de mention, pour l’application du paragraphe 20(11), l’ARC a le plus souvent été d’avis que l’impôt payé par les associés d’une SARL sur le revenu de cette dernière pouvait être considéré comme étant « au titre d’une somme incluse dans le calcul de son revenu tiré des biens pour l’année » lorsque la SARL distribue son revenu à ses associés, et que le montant était inclus dans le revenu à titre de dividende (ce qui, dans une certaine mesure, rejoint le raisonnement étayant la décision de la Cour suprême du Royaume-Uni dans Anson)[9]. Étant donné que le terme « impôt sur le revenu ne provenant pas d’une entreprise » correspond essentiellement à l’impôt autre que l’impôt sur le revenu tiré d’une entreprise, qu’un montant d’impôt déductible en vertu du paragraphe 20(11) ou qu’un montant d’impôt déduit en vertu du paragraphe 20(20), il s’ensuit que seule une tranche de 15 % du revenu gagné par la SARL peut constituer l’« impôt sur le revenu ne provenant pas d’une entreprise » d’un contribuable et être admissible aux fins du crédit prévu au paragraphe 126(1).

Il sera intéressant de voir comment les tribunaux du Royaume-Uni et d’ailleurs utiliseront et appliqueront Anson, et surtout s’ils en suivront l’orientation pour accepter de reconnaître, à certaines fins, la nature « transparente » des SARL et d’autres entités étrangères semblables.


[1] Anson v. HMRC, [2015] UKSC 44.

 

[2] À titre de personne non domiciliée, M. Anson devait payer de l’impôt au R.-U. sur tous les paiements après impôt de source étrangère qui étaient rapatriés (ou remis) au R.-U.

[3] Il payait aux É-U. un impôt de 45 % sur sa part des bénéfices de la SARL, puis, au R.-U., un impôt de 40 % sur la tranche de 55 % restante « remise » à ce pays.

[4] Arrêt Anson, précité, note 1, p. 3.

[5] Memec plc v Inland Revenue Commissioners, [1998] STC 754.

[6] Revenue and Customs Brief 15 (2015):« HMRC response to the Supreme Court decision in George Anson v. HMRC (2015) UKSC 44 ».

[7] 2010 D.T.C. 1137.

[8]Le paragraphe introductif du paragraphe 126(2) précise qu’un crédit peut être demandé par un « contribuable qui résidait au Canada à un moment donné d’une année d’imposition et exploitait une entreprise, pendant cette année, dans un pays étranger ». [Nous avons ajouté les italiques.] De plus, le crédit est défini à l’alinéa 126(2)a) comme étant fonction de l’« impôt sur le revenu tiré d’une entreprise [que le contribuable] a payé pour l’année, relativement à des entreprises exploitées par lui dans ce pays » [nous avons ajouté les italiques], et le terme « impôt sur le revenu tiré d’une entreprise » est défini au paragraphe 126(7) comme l’impôt payé par un contribuable pour une année d’imposition relativement à des entreprises « qu’il exploite ».

[9] Se reporter entre autres à l’interprétation technique 9613405 sur l’impôt étranger accumulé relativement à une société à responsabilité limitée (17 janvier 1997) ainsi qu’à l’interprétation technique 2013-0480371C6 sur les SARL américaines et le paragraphe 20(11) (10 juin 2013). Une approche semblable est adoptée dans le cas d’une société canadienne actionnaire d’une SARL. L’impôt américain payé par un associé d’une SARL sur le revenu « passif » est considéré par l’ARC, pour l’application de l’alinéa 113(1)c), comme découlant des distributions prélevées sur le surplus imposable par la SARL en faveur de l’associé (voir entre autres l’interprétation technique 9703535 sur les sociétés étrangères affiliées et la déduction de dividendes (10 mars 1998)).