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Affaire D.C. c. La Reine : La Cour d’appel du Québec reconnaît la charge virale comme un élément pertinent pour apprécier la conduite criminelle dans un cas de non-divulgation du VIH

Le 13 décembre 2010, la Cour d’appel du Québec rendait dans l’affaire D.C. c. La Reine1 une décision importante dans un dossier de nature criminelle où était en jeu la responsabilité d’une personne séropositive en raison de la non-divulgation de son statut sérologique à un partenaire sexuel.

Les faits se résument comme suit. En 1991, D.C. a été diagnostiquée séropositive au VIH. En 2000, elle rencontre J.L.P., avec qui elle entretient une relation amoureuse pendant 4 ans. En 2004, après une rupture tumultueuse, J.L.P. porte plainte contre D.C., alléguant que le couple avait eu plusieurs rapports sexuels non protégés avant que D.C. ne divulgue son statut sérologique. D.C. avait une charge virale indétectable au moment des faits en litige. J.L.P. n’a pas contracté le VIH.

Le juge de première instance a conclu que le couple n’avait eu qu’un seul rapport sexuel avant que D.C. ne divulgue sa séropositivité et que celui-ci n’avait pas été protégé par le port d’un condom. Ayant considéré que ce rapport sexuel avait exposé J.L.P. à un risque important de transmission du VIH, le juge a déclaré D.C. coupable d’agression sexuelle et de voies de fait graves, sans tenir compte du fait que D.C. avait une charge virale indétectable.

La Cour d’appel, sans infirmer les conclusions factuelles du premier magistrat, acquitte l’accusée, étant d’avis que bien que le condom n’ait pas été utilisé, l’existence d’une seule relation sexuelle non protégée, dans un contexte où la charge virale de D.C. était indétectable, n’était pas en l’espèce source de responsabilité criminelle.

Reprenant les critères développés en 1998 par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Cuerrier2, la Cour d’appel rappelle que la non-divulgation du VIH vicie le consentement du partenaire lorsque le rapport sexuel comporte un « risque important de préjudice grave », l’évaluation de ceci devant être faite selon les faits et la preuve médicale qui sont propres à chaque cas.

En somme, la Cour conclut dans l’affaire D.C. qu’en marge de la question de l’utilisation d’un condom ou non, la charge virale doit être considérée dans l’évaluation du risque de transmission avant de conclure à une condamnation criminelle. En l’espèce, les experts médicaux ayant évalué le risque de transmission du VIH à 1 sur 10 000 lorsque la charge virale est indétectable et ayant qualifié ce risque de « très faible, très minime » et « très, très faible », la Cour d’appel a acquitté l’accusée.

Dans le cadre de ce litige, la Coalition des organismes communautaires québécois de la lutte contre le sida (COCQ-sida) est intervenue auprès de la Cour d’appel pour faire valoir que le droit criminel ne devrait pas permettre la condamnation d’une personne vivant avec le VIH en cas de non-divulgation, lorsque celle-ci a eu des rapports sexuels protégés par le condom ou lorsqu’elle avait une charge virale indétectable.

La Cour d’appel a décliné l’invitation de la COCQ-sida de clarifier ce que la Cour suprême avait suggéré dans l’arrêt Cuerrier à l’effet qu’une relation sexuelle protégée par le port du condom n’emporte pas de risque important de transmission du VIH et n’entraînerait donc pas d’obligation de divulgation. La Cour d’appel a effectivement jugé que les faits de l’affaire D.C. ne justifiaient pas de ce faire, ayant retenu qu’aucun condom n’avait été utilisé lors du rapport sexuel en litige. Pour le futur, ceci demeure donc une question d’appréciation au cas par cas.

Par contre, la Cour d’appel a reconnu qu’une charge virale indétectable peut, selon les circonstances particulières de chaque dossier, permettre d’écarter la responsabilité criminelle d’une personne séropositive pour non-divulgation, même en l’absence de condom, si la preuve ne révèle pas un risque important de transmission.

Ce faisant, il est important de souligner que la Cour d’appel mentionne que la preuve médicale révélait que peu importe la charge virale, le risque de transmission n’est jamais assez faible pour exempter les partenaires sexuels de porter le condom. De même, la Cour d’appel n’a pas établi de règle générale voulant qu’une charge virale indétectable dispense un individu séropositif de divulguer son statut à ses partenaires sexuels.

Dans le cadre d’un mandat pro bono, McCarthy Tétrault a conseillé la Coalition des organismes communautaires québécois de la lutte contre le sida (COCQ-sida) sur son intervention en Cour d’appel, sur la rédaction de son mémoire d’appel et sur ses représentations à titre d’intervenante.

McCarthy Tétrault fournit des services pro bono à différents organismes de la communauté dans des domaines aussi variés que les droits civils, les droits de la personne, le droit des affaires et le droit du travail.


12010 QCCA 2289

2[1998] 2 R.C.S. 371