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Commentaire sur le jugement Paquin c. Tribunal des professions et l'arrêt Paquin c. Lapointe

EYB2022REP3429

Repères, Mars, 2022

Où en sommes-nous quant à l'application rétroactive de législation nouvelle en matière de sanction disciplinaire ?

Indexation

PROFESSIONS ET DROIT DISCIPLINAIRE ; COLLÈGE DES MÉDECINS DU QUÉBEC ; CODE DES PROFESSIONS ; COMITÉ DE DISCIPLINE ; DÉCISION ; CULPABILITÉ ; SANCTION ; AMENDE ; RADIATION TEMPORAIRE ; ADMINISTRATIF ; CONTRÔLE JUDICIAIRE ; NORME DE CONTRÔLE

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

I–LES FAITS

II–LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE

A. La norme de contrôle applicable à la question de la rétroactivité « des sanctions »

B. L'application « immédiate » des modifications apportées à l'article 156 C. prof.

C. Le caractère raisonnable de la décision sur sanction

III– LA REQUÊTE POUR PERMISSION D'APPELER

IV–LE COMMENTAIRE DES AUTEURESCONCLUSION

 

Résumé

Les auteures commentent un jugement de la Cour supérieure ainsi qu'un arrêt de la Cour d'appel portant sur la question de la détermination de la norme de contrôle judiciaire, de l'application rétroactive d'amendements au Code des professions et de la détermination des sanctions en matière disciplinaire.

INTRODUCTION

La principale question soumise à la Cour supérieure par le demandeur dans la décision Paquin c. Tribunal des professions1 est la suivante : le Tribunal des professions (ci-après le « Tribunal ») pouvait-il valablement conclure que le Conseil de discipline (ci-après le « Conseil ») n'avait pas commis d'erreur de droit dans sa décision d'appliquer de façon immédiate des modifications apportées à l'article 156 du Code des professions2 (ci-après le « C. prof. ») eu égard à des événements survenus avant leur entrée en vigueur ?

Comme l'indique la Cour supérieure, suivant ces modifications à l'article 156 C. prof., entrées en vigueur le 8 juin 2017, les sanctions associées à l'infraction reprochée au demandeur dans cette décision deviennent plus sévères3. La question était donc de savoir si ces modifications devaient ou pouvaient recevoir application et ainsi servir à déterminer la sanction applicable au demandeur pour des faits survenus entre décembre 2016 et janvier 2017.

Dans son jugement, la Cour supérieure répond par l'affirmative à cette question en confirmant le jugement rendu par le Tribunal. La Cour supérieure retient que la norme de contrôle applicable à cette question est la norme de décision raisonnable et déclare que le Tribunal a raisonnablement conclu à l'application des modifications à l'article 156 C. prof. au présent cas. Partant, la Cour supérieure maintient la décision du Tribunal de confirmer la sanction imposée au demandeur, soit une radiation temporaire de 12 mois, qu'elle considère comme raisonnable.

I– LES FAITS

Le 21 avril 2017, une plainte disciplinaire est déposée contre le demandeur, le Dr Sébastien Paquin, lui reprochant d'avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à un patient, voire une invitation à avoir des activités sexuelles, et ce, en contravention de l'article 22 du Code de déontologie des médecins4 et de l'article 59.1 C. prof.

Le 8 juin 2017, des modifications sont apportées à l'article 156 C. prof. par la Loi modifiant diverses lois concernant principalement l'admission aux professions et la gouvernance du système professionnel5. Ces modifications prévoient notamment l'augmentation de l'amende minimale applicables ainsi que le prononcé d'une radiation d'au moins cinq ans à l'encontre des professionnels reconnus coupables d'une infraction à l'article 59.1 C. prof. ou à un acte de même nature, sauf s'ils convainquent le conseil de discipline qu'une radiation d'une durée moindre serait justifiée dans les circonstances.

Le 29 novembre 2017, le demandeur enregistre un plaidoyer de culpabilité devant le Conseil. Le syndic adjoint requiert alors l'application immédiate des modifications à l'article 156 C. prof. et demande au Conseil d'imposer au demandeur une radiation de un à cinq ans. Dans sa décision rendue le 9 mars 2018, le Conseil conclut à l'application immédiate des modifications à l'article 156 C. prof. et prononce une radiation temporaire de 12 mois à l'encontre du demandeur6.

Contestant l'application rétroactive des modifications à l'article 156 C. prof. et la sanction imposée, le demandeur fait appel de la décision du Conseil devant le Tribunal. L'appel est rejeté par le Tribunal le 13 mai 2021. Le demandeur se pourvoit alors en contrôle judiciaire à l'encontre du jugement prononcé par le Tribunal.

II– LA DÉCISION DE LA COUR SUPÉRIEURE

A. La norme de contrôle applicable à la question de la rétroactivité « des sanctions »

La Cour supérieure part de la prémisse que lorsqu'elle est saisie d'un pourvoi en contrôle judiciaire d'une décision rendue par le Tribunal, elle doit se limiter à vérifier « si le Tribunal des professions a exercé sa fonction d'appel de manière raisonnable au regard de la norme d'intervention qu'il doit lui-même appliquer »7.

De l'avis de la Cour supérieure, la question de l'application rétroactive ou immédiate des modifications apportées à l'article 156 C. prof. ne relève pas de l'une des catégories appelant une dérogation à la présomption de la norme de contrôle de la décision raisonnable telle qu'établie dans l'arrêt Vavilov8. La Cour supérieure rappelle que les questions de droit générales d'importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, qui appellent l'application de la norme de décision correcte, sont celles qui transcendent la décision en cause et présentent ainsi un besoin de réponses uniformes et cohérentes9.

Or, selon la Cour supérieure, l'application rétroactive ou immédiate des modifications à l'article 156 C. prof. n'est pas une question de droit générale « d'importance capitale pour le système juridique dans son ensemble » puisque l'interprétation du Code des professions, aux fins de déterminer si son application doit ou non être rétroactive ou rétrospective, lui apparaît être une question de droit dont la réponse sera limitée à ce régime législatif10. C'est donc sous le prisme de la norme de révision de la décision raisonnable que la Cour supérieure analyse le jugement du Tribunal quant à la question de l'application dans le temps des modifications à l'article 156 C. prof.

B. L'application « immédiate » des modifications apportées à l'article 156 C. prof.

Étant donné ses conclusions quant à la norme de contrôle, la Cour supérieure s'interroge comme suit : le fait, pour le Tribunal, de confirmer la décision du Conseil d'appliquer de façon immédiate les modifications apportées à l'article 156 C. prof. satisfait-il aux exigences de la raisonnabilité ?

La Cour supérieure retient que de l'avis du Tribunal, les récents enseignements de la Cour suprême dans son récent arrêt Tran11 n'ont pas changé l'état du droit quant à l'application rétrospective des modifications à l'article 156 C. prof., alors que le demandeur faisait valoir que l'arrêt Tran venait réduire la portée de l'exception de la protection du public pour repousser la présomption du caractère non rétrospectif d'une modification législative.

La Cour supérieure rappelle que, selon l'arrêt Tran, l'exception relative à la protection du public permet que la législation protective ait un effet rétrospectif même en l'absence d'un texte de loi exprès ou nettement implicite en ce sens, dans la mesure où il ressort autrement de l'intention du législateur qu'il en soit ainsi. Elle souligne que selon cet arrêt, l'exception s'applique uniquement « lorsque la structure de la pénalité elle-même illustre que le législateur a mis en balance les avantages du caractère rétrospectif d'une part et ses effets inéquitables potentiels d'autre part ».

La Cour supérieure conclut qu'à l'évidence, la question n'est pas de savoir si elle considère que la structure de la pénalité prévue au nouvel article 156 C. prof. satisfait objectivement au test de Tran, mais plutôt de déterminer si le jugement du Tribunal présente les attributs de la raisonnabilité12. Or, de l'avis de la Cour supérieure, le jugement du Tribunal a pris en considération, dans son analyse des nouvelles dispositions, des mesures permettant des atténuations, dans la recherche d'un équilibre entre les avantages du caractère rétrospectif de la loi et les effets négatifs pouvant en résulter pour le professionnel13. La Cour supérieure conclut ainsi que le jugement du Tribunal fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »14.

C. Le caractère raisonnable de la décision sur sanction

La Cour supérieure souligne le fait que le Tribunal, en tant que tribunal d'appel, ne peut intervenir quant à la sanction imposée que si le Conseil a exercé sa discrétion de façon déraisonnable15. Elle observe qu'à cet égard, le Tribunal a conclu que le Conseil a suivi la démarche prévue à l'article 156 C. prof. en examinant les critères liés à la détermination de la sanction et les facteurs atténuants avancés par le demandeur pour finalement décider d'imposer une radiation d'une durée de 12 mois ainsi qu'une amende de 2 500 $. La Cour supérieure conclut que le jugement du Tribunal présente les attributs de la raisonnabilité et que la sévérité accrue des nouvelles pénalités, voulue par le législateur, ne donne pas ouverture à la révision de la décision du Conseil et du jugement du Tribunal16.

III– LA REQUÊTE POUR PERMISSION D'APPELER

Le demandeur a demandé à la Cour d'appel la permission d'appeler du jugement de la Cour supérieure rejetant son pourvoi en contrôle judiciaire. Sa demande a été accueillie le 27 janvier 2022 par la Cour d'appel, sous la plume de l'honorable Michel Beaupré, j.c.a.17.

Après avoir rappelé qu'en matière de contrôle judiciaire, la permission d'appeler est accordée avec parcimonie, la Cour d'appel a conclu que l'appelant avait démontré que les questions soulevées quant à la détermination de la norme de contrôle, quant au sens, à la portée et aux exceptions à la présomption de non-rétroactivité des lois et quant à l'imposition d'une peine déraisonnable méritaient l'attention d'une formation de trois juges de la Cour d'appel.

Plus particulièrement, le juge Beaupré estime ne pas être convaincu que l'arrêt Da Costa18, rendu en 2014, scelle le sort des questions de la détermination de la norme de contrôle et du caractère rétroactif ou non des sanctions établies par le législateur en matière disciplinaire. Le juge Beaupré conclut ne pas pouvoir écarter la possibilité qu'une formation juge opportun d'examiner cet arrêt à la lumière des enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Tran rendu en 2017, notamment quant « au poids et à la portée de l'objectif de protection du public dans la détermination du caractère rétroactif ou non de sanctions accrues en droit disciplinaire »19.

IV– LE COMMENTAIRE DES AUTEURES

La décision Paquin c. Tribunal des professions de la Cour supérieure s'inscrit dans une approche prudente et déférente des tribunaux supérieurs eu égard aux décisions rendues par des tribunaux spécialisés qui agissent dans le cadre de leur rôle de tribunal d'appel.

C'est dans ce contexte que ce jugement nourrit la réflexion quant aux enjeux liés à la présomption de non-rétroactivité des lois, notamment eu égard aux nouvelles sanctions adoptées dans le cadre de régimes législatifs visant la protection du public. Pour reprendre les mots des professeurs Boisvert et Côté, le contentieux entourant l'application dans le temps des mesures pénalisantes destinées à la protection du public soulève d'ailleurs « l'une des questions les plus épineuses du droit transitoire canadien »20.

Aussi, le jugement de la Cour supérieure ajoute à la réflexion quant à la détermination de la norme de contrôle applicable à l'interprétation de la présomption de non-rétroactivité des lois, et ce, en regard des enseignements de la Cour suprême dans Tran et dans Vavilov. Il constitue ainsi une illustration de ce qui ne semble pas relever, pour la Cour supérieure, d'une question d'importance capitale pour le système juridique dans son ensemble appelant l'application de la norme de décision correcte.

Il sera donc intéressant de suivre les prochains développements, devant la Cour d'appel, qui aura à déterminer la norme de contrôle applicable aux questions relatives au sens et à la portée de la présomption de non-rétroactivité des lois et qui aura à se prononcer quant aux enseignements de la Cour suprême dans l'arrêt Tran, notamment la question de savoir si les nouvelles sanctions prévues à l'article 156 C. prof. doivent ou peuvent effectivement recevoir une application rétroactive, rétrospective ou immédiate.

CONCLUSION

Nous pouvons penser que l'affaire Paquin c. Lapointe est ainsi susceptible d'amener la Cour d'appel à poursuivre la réflexion amorcée dans la récente affaire Applebaum21 au terme de laquelle cette même Cour a confirmé le jugement de la Cour supérieure ayant rejeté le recours de la Ville de Montréal invoquait une modification à la Loi sur le traitement des élus municipaux22 pour demander le remboursement d'allocations versées à l'intimé, maire intérimaire de la ville, antérieurement à ces modifications.


* Me Catherine Bélanger Pâquet et Me Morgane Palau, avocates chez McCarthy Tétrault, concentrent leur pratique en litige civil, commercial et contractuel ainsi qu'en matière de responsabilité professionnelle et médicale. 

1. 2021 QCCS 4664, EYB 2021-418661 [ci-après le « jugement commenté »] ; requête pour permission d'appeler accueillie, C.A. Québec, 200-09-010433-214, EYB 2022-424345, 27 janvier 2022.

2. RLRQ, c. C-26. 

3. Jugement commenté, par. 9. 

4. RLRQ, c. M-9, r. 17. 

5. L.Q. 2017, c. 11, art. 74 et 155. 

6. Médecins (Ordre professionnel des) c. Paquin, 2018 CanLII 13623 (QC CDCM). 

7. Parizeau c. Barreau du Québec, 2011 QCCA 1498, EYB 2011-194403, par. 76. 

8. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, EYB 2019-335761, par. 16. 

9. Ibid., par. 59. 

10. Jugement commenté, par. 25. 

11. Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, rendu le 19 octobre 2017, EYB 2017-285804

12. Jugement commenté, par. 51. 

13. Jugement commenté, par. 58. 

14. Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, EYB 2008-130674, par. 47. 

15. Paquin c. Tribunal des professions, précité, note 2, par. 66.

16. Jugement commenté, par. 76, 80 et 82. 

17. Paquin c. Lapointe, 2022 QCCA 114, EYB 2022-424345

18. Thibault c. Da Costa, 2014 QCCA 2347, EYB 2014-245975

19. Paquin c. Lapointe, 2022 QCCA 114, EYB 2022-424345, par. 15. 

20. Anne-Marie BOISVERT et Pierre-André CÔTÉ, « L'application dans le temps de mesures pénalisantes "destinées à protéger le public" » (2018) 77:1 R. du B. 89, EYB2018RDB202

21. Ville de Montréal c. Applebaum, 2021 QCCA 1662, EYB 2021-417848

22. RLRQ, c. T-11.001.Date de dépôt : 22 mars 2022 

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