Commentaire sur la décision Larose c. Corporation de l'École des Hautes Études commerciales de Montréal
EYB2021REP3326
Repères, Juillet, 2021
Paul BLANCHARD * et Jean-Philippe MATHIEU*
Commentaire sur la décision Larose c. Corporation de l'École des Hautes Études commerciales de Montréal – La Cour
supérieure refuse d'autoriser une action collective réitérant le pouvoir limité des tribunaux d'intervenir dans la gestion des
universités
Indexation
Procédure Civile ; Action Collective (Recours Collectif) ; Autorisation ; Éducation ; Université ;
Social ; Santé Publique ; Covid-19 (Coronavirus) ; Administratif ; Pouvoir Discrétionnaire
Table Des Matières
Introduction
I - Les Faits
II - La Décision
III – Le Commentaire Des Auteurs
Conclusion
Résumé
Les auteurs commentent cette décision dans laquelle la Cour supérieure rejette une demande d'autorisation d'exercer une
action collective contre un groupe d'universités québécoises, où la demanderesse alléguait que ces établissements avaient
manqué à leurs obligations contractuelles envers les étudiants en offrant une qualité d'enseignement inférieure dans le
contexte de la pandémie de COVID-19.
INTRODUCTION
La pandémie de COVID-19 a bouleversé la vie d'un grand nombre d'étudiants : elle a transformé les modes d'apprentissage, créé pour certains des obstacles à l'accès aux ressources nécessaires pour suivre les cours à distance et forcé les jeunes à s'adapter à une situation d'urgence. Cependant, dans la foulée des mesures mises en place en réaction à la pandémie de COVID-19 lors de la session d'hiver 2020, les établissements d'enseignement supérieur québécois ont-ils manqué à leurs obligations contractuelles envers les étudiants ? C'est la question soumise par la demanderesse à la Cour supérieure dans la décision Larose c. Corporation de l'École des Hautes Études commerciales de Montréal
.
I – LES FAITS
En janvier 2020, la nouvelle session universitaire s'amorce comme à l'habitude. Deux mois plus tard, la pandémie de COVID19 se propage au Québec, et le gouvernement québécois décrète l'état d'urgence sanitaire. Pour le reste de la session, l'accès physique aux campus universitaires est interdit aux étudiants, et l'enseignement se déroule à distance. De nombreux étudiants éprouvent de la difficulté à s'adapter à ce nouveau mode d'apprentissage. Selon la demanderesse, la qualité de l'enseignement fourni serait alors inférieure, et les étudiants auraient droit à un remboursement partiel de leurs frais de scolarité. Ainsi, le 15 mai 2020, elle dépose une demande d'autorisation d'exercer une action collective dans laquelle elle fait valoir, entre autres choses, que la relation contractuelle entre les étudiants et les universités comprend l'obligation d'offrir un
enseignement de qualité, laquelle n'aurait pas été honorée selon elle au cours de la session d'hiver 2020.
II– LA DÉCISION
Le 6 juin 2021, la Cour supérieure, sous la plume de l'honorable juge Claude Bouchard, rejette la demande d'autoriser l'action collective. En évaluant la demande à la lumière de l'article 575 C.p.c., le juge Bouchard reconnaît d'emblée que le débat porte surtout sur le critère énoncé à l'article 575, alinéa 2 C.p.c., soit celui de déterminer si les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées. Ce critère est donc analysé en premier.
D'abord, le juge Bouchard fait état d'un débat entre les parties au sujet de la force majeure. Selon la demanderesse, la pandémie relève d'une situation de force majeure qui libère les défenderesses de l'exécution de leurs obligations. En retour, les étudiants auraient droit à une restitution partielle de leurs frais de scolarité. Les défenderesses contestent cette interprétation de la situation : elles affirment qu'elles se sont acquittées de leurs obligations et que, par ailleurs, seul le débiteur peut choisir d'invoquer la force majeure comme moyen de défense. Ainsi, selon elles, la demanderesse doit plutôt établir la présence d'une faute contractuelle.
Le juge Bouchard ne se prononce pas définitivement sur cette question. Il conclut plutôt que peu importe le fondement
particulier du recours, la demanderesse invite le tribunal à évaluer la qualité de l'enseignement des universités. Or, selon une
jurisprudence qu'il qualifie de constante, les tribunaux québécois ont un pouvoir limité d'intervenir dans la gestion des
universités. Pour justifier ce principe, la doctrine et la jurisprudence citées par le juge Bouchard invoquent l'indépendance des
universités, leur rôle traditionnel dans la société, l'importance de la liberté d'enseignement et le manque d'expertise des
tribunaux au sujet de la gestion des universités. Bien que ce principe se soit développé en matière de contrôle judiciaire d'une décision administrative, le juge Bouchard est d'avis qu'il s'applique également aux recours contractuels contre les universités. Sur ce point, il cite entre autres le juge Dalphond dans l'arrêt Chokki c. HEC Montréal, 2 qui confirme que les tribunaux n'interviendront pas dans les activités universitaires en l'absence de mauvaise foi ou de comportement déraisonnable, arbitraire ou discriminatoire.
En l'espèce, le juge Bouchard estime que la demanderesse n'a pas allégué de tels manquements et rejette la demande pour
ce motif.
Cette dernière demande au tribunal de « lire entre les lignes » de la demande, invitation qui est toutefois rejetée par le juge.
Celui-ci reconnaît l'importance d'éviter un rigorisme mal avisé si les termes de la demande d'autorisation sont seulement
imprécis. Cependant, la demande ne contient ici tout simplement pas les manquements nécessaires pour que le tribunal
puisse intervenir ; il s'agit donc d'une question de droit et non d'une faiblesse technique. Par conséquent, le juge conclut que
les faits allégués ne peuvent pas justifier les conclusions recherchées et rejette la demande d'autorisation.
III– LE COMMENTAIRE DES AUTEURS
La décision commentée confirme la jurisprudence concernant le pouvoir limité des tribunaux d'intervenir dans la gestion des
universités ainsi que l'applicabilité de ce principe aux recours contractuels, notamment dans un contexte d'action collective.
Elle rappelle aussi l'importance, pour la partie demanderesse, d'alléguer des manquements suffisants pour justifier
l'autorisation d'une action collective.
Par ailleurs, il importe de noter un aspect important de l'analyse du juge Bouchard qui pourrait avoir une incidence dans des dossiers futurs similaires. À l'appui de son argument, la demanderesse fait référence à l'arrêt Lagueux c. Collège d'électronique de Québec inc. , où le juge Gendreau semble confirmer la possibilité que le tribunal sanctionne l'inexécution des obligations prévues dans un contrat de services éducatifs. Le juge Bouchard distingue toutefois cet arrêt en affirmant que le Collège d'électronique, dans cette affaire, n'avait pas la même autonomie que les universités défenderesses : il s'agissait d'une école privée ayant un permis spécial pour offrir deux cours selon les normes établies par l'État. Vu cette distinction, l'arrêt Lagueux est écarté par le juge Bouchard. Cependant, le raisonnement du juge Bouchard démontre les limites du principe de non-intervention et pourrait permettre le dépôt éventuel de recours contre des établissements d'enseignement qui ne disposent pas de la même autonomie que les universités.
Par rapport aux recours collectifs, la décision réitère la nécessité pour le demandeur de démontrer une cause défendable et d'alléguer des manquements suffisants. Le juge peut donc évaluer des questions de droit pour déterminer si le recours est voué à l'échec, y compris en ce qui a trait à la compétence des tribunaux d'évaluer les manquements allégués.
CONCLUSION
L'affaire Larose est loin d'être le seul recours contractuel ayant comme toile de fond la pandémie de COVID-19, et ne sera certainement pas le dernier. La décision du juge Bouchard démontre les obstacles importants auxquels peuvent se heurter les recours contre des universités, même à l'étape de l'autorisation d'un recours collectif.
* Me Paul Blanchard, associé du cabinet McCarthy Tétrault LLP, concentre sa pratique en litige civil, y compris la responsabilité professionnelle et médicale (civile et disciplinaire), ainsi que le litige commercial. Me Jean-Philippe Mathieu, avocat au sein du même cabinet, concentre quant à lui sa pratique en litige commercial et actions collectives.
- 2021 QCCS 2299, EYB 2021-391902 (C.S.).
- 2011 QCCA 175, EYB 2011-185590.
- REJB 2004-65816 (C.A.).
Date de dépôt : 13 juillet 2021
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