L’accès à l’information en temps de pandémie
De nos jours, l’information et surtout l’accès à l’information occupent une place importante dans notre société. Au Québec et au Canada, les lois sur l’accès à l’information posent le principe d’un droit général d’accès aux documents et renseignements détenus par les organismes publics.
Ce droit, à statut quasi constitutionnel, continue d’exister en temps de pandémie, mais son exercice pourra nécessiter quelques accommodements. En effet, dans les dernières semaines, bien que les délais obligatoires pour répondre à une demande d’accès n’ont pas été suspendus au Québec, plusieurs organismes publics informent déjà les requérants qu’ils se prémunissent de leur droit de prolonger le délai de traitement des demandes, suivant l’article 47 de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels[1] (la « LAIQ »), en plus d’appeler à la compréhension et à la souplesse des requérants. Il est plus que probable que les organismes fédéraux se prémunissent également de leur droit de prolongation des délais prévu à l’article 9 de la Loi sur l’accès à l’information[2] (la « LAIC »).
Pour certains[3], une telle demande de souplesse a pour corollaire de justifier que le gouvernement rende disponibles des informations, qui en temps normal, pourraient faire l’objet de restrictions ou d’exceptions. Pourtant, parmi les informations soustraites de l’application du principe général de l’accès, on retrouve les renseignements ayant une incidence économique fournis à l’État par un particulier ou une entreprise privée. Dès lors, la question se pose : quelles règles s’appliquent aux informations transmises à l’État en ces temps d’urgence sanitaire résultant de la pandémie liée à la COVID-19, et comment concrètement se protéger contre une divulgation non désirée ?
Répercussions de la COVID-19 en matière d’accès à l’information
Dans le cours normal de ses activités, une entreprise doit souvent transmettre des renseignements à l’appareil gouvernemental. Ainsi, il n’est pas rare qu’elle ait à ouvrir ses livres et se mettre à nu pour obtenir une subvention, un permis, un statut particulier ou une accréditation, par exemple. De même, l’État peut devenir un partenaire d’affaire de choix à l’occasion d’une entente contractuelle ou d’un financement. Ces informations confidentielles sont partagées par une entreprise avec les autorités gouvernementales dans des circonstances particulières, mais elles ne doivent pas être partagées avec d’autres tiers, au risque par exemple de nuire à la compétitivité de l’entreprise qui verrait ses secrets commerciaux et industriels étalés sur la place publique.
Ce sont les lois québécoise et fédérale d’accès à l’information qui encadrent l’accès aux documents et renseignements détenus par les gouvernements et organismes publics. Sauf exception, ces documents et renseignements, autant en temps de pandémie qu’en temps normal, sont accessibles à quiconque en fait la demande, à moins qu'une disposition expresse de la LAIC ou de la LAIQ ne permette ou ne prescrive au responsable de l’accès à l’information d’en refuser la communication. Suivant certaines conditions et modalités, le responsable devra aviser et consulter le tiers qui a transmis le document avant d’en autoriser l’accès. Toutefois, dans le contexte actuel, alors que les échanges d’information se multiplient, l’exercice du droit d’accès à ces informations est, quant à lui, quelque peu ébranlé.
Les principaux types de communications en ces temps de pandémie
À l’occasion de la crise liée à la COVID-19, diverses décisions prises et mesures annoncées par les instances gouvernementales ont généré un flux d’échanges d’information, notamment entre les entreprises et les organismes publics.
Le 24 mars 2020, le gouvernement du Québec a ordonné la réduction des activités de l’ensemble des services et activités non prioritaires et la suspension de toute activité en milieu de travail qui n’est pas associée à la fourniture d’un service essentiel, effectif dès le lendemain. Les entreprises dont l’activité commerciale ne figurait pas à la liste des services dits essentiels ou prioritaires pouvaient demander au gouvernement d’être ajoutées à cette liste. Dans ce contexte, plusieurs entreprises ont fait des représentations auprès du Gouvernement du Québec afin d’être reconnues comme telles. Certains ont questionné les décisions prises par les autorités à cet égard ne comprenant pas pourquoi la désignation a été accordée à l’un plutôt qu’à l’autre.
En raison des impacts économiques sans précédent résultant de la crise, les gouvernements provincial et fédéral ont annoncé une kyrielle de programmes et de mesures pour soutenir les entreprises québécoises et canadiennes. Pour en bénéficier, les entreprises éprouvées doivent fournir de nombreuses informations confidentielles : chiffres d’affaires, masse salariale, bilan, états financiers, etc.
La crise a également engendré d’importants besoins en termes d’approvisionnement, notamment en équipement de protection. Le gouvernement canadien a dû inviter les usines à transformer leurs chaînes de production pour répondre à ces besoins d’articles de protection. Plusieurs entreprises ont conclu des contrats d’achats avec les gouvernements. Certaines ont également reçu une aide financière pour augmenter leur capacité de production. En plus d’avoir à transmettre des renseignements de nature financière, certaines entreprises appelées à fournir de l’équipement ont possiblement dû fournir de l’information sensible comme des plans et des procédés par exemple.
C’est donc dire qu’en raison de la pandémie, les autorités détiennent des documents et informations permettant d’obtenir un portrait récent des ressources humaines, matérielles et financières d’entreprises dans divers secteurs d’activité.
L’exercice du droit d’accès à l’information
Il est vrai que dans le cadre de la pandémie, les instances gouvernementales se font un devoir d’informer régulièrement la population. Nous assistons quotidiennement aux points de presse des premiers ministres du Québec et du Canada. Toutefois, l’information qu’ils divulguent n’est pas nécessairement complète. Dès lors, les régimes d’accès à l’information provincial et fédéral sont à la disposition de ceux et celles qui désirent obtenir d’autres renseignements que ceux rendus publics par les autorités.
Compte tenu des différentes mesures d’isolation volontaire et de télétravail mises en place, il n’est pas difficile de concevoir que certains ministères et organismes publics ne soient pas en mesure de traiter toutes les demandes d’accès à l’information reçues dans les délais prescrits par la loi, et ce, même après s’être prémunis de leur droit de prolonger le délai de traitement des demandes. Les commissions responsables de l’application des lois québécoise et canadienne sur l’accès à l’information ont, elles aussi, modifié et réduit leurs services. Au Québec, bien que les délais pour répondre à une demande d’accès n’aient pas été modifiés, les délais pour exercer un recours devant la Commission d’accès à l’information (la « Commission ») ont été suspendus.[4] La Commission précise aux demandeurs d’accès qu’ils peuvent attendre d’avoir reçu une réponse de l’organisme public avant de communiquer à la Commission, et ce, tant que le délai de contestation devant elle sera suspendu.[5] Il en est de même pour le recours au niveau fédéral.[6] Le Commissariat à l’information qui gère l’application de la LAIC indique sur son site web qu’il y aura possiblement des retards dans le traitement des demandes.[7]
Viendra néanmoins un temps où des demandes d’accès devront être traitées. Elles pourront par exemple émaner de journalistes, d’entreprises n’ayant pas réussi à conclure d’entente commerciale avec le gouvernement ou à se faire reconnaître le statut d’entreprise offrant un service essentiel ou encore de citoyens inquiets ou curieux.[8] Quelles mesures sont alors à privilégier pour vous aider à atténuer la possibilité que des informations sensibles soient divulguées sans votre consentement ? Nous vous présentons ci-dessous quelques conseils pratiques à ce sujet.
Comment vous protéger : conseils pratiques
Les mentions « confidentiel »
Pour être soustraits à la divulgation publique, les renseignements visés doivent être de nature confidentielle et habituellement traités comme tels par le tiers qui les a fournis à l’organisme public. Le critère de la confidentialité doit être évalué objectivement (le renseignement doit être considéré comme confidentiel par les entreprises qui exercent leurs activités dans le même secteur) et subjectivement (le tiers doit traiter les renseignements de manière à préserver leur confidentialité).
Bien que la seule mention « confidentiel » sur un document ne lie pas l’organisme public appelé à répondre à une demande d’accès, elle invite à la prudence avant la divulgation et contribue à établir que le critère subjectif est rempli. Ainsi, il y a lieu d’inscrire une telle mention dans l’objet du courriel ou de la lettre de transmission et de le mentionner à nouveau sur la page couverture de chaque document transmis. Il faut cependant garder en tête que la transmission à l’organisme d’une lettre affirmant que les renseignements fournis sont confidentiels et doivent le demeurer ne fait pas preuve à elle seule de la confidentialité subjective. Le tiers pourrait avoir à défendre la confidentialité desdits renseignements.
Quelques mesures additionnelles peuvent être prises au sein de l’organisation qui fournit l’information, à titre d’exemple : faire signer un engagement de confidentialité aux employés, restrictions aux accès informatiques, dossiers physiques conservés sous clé, accès limité à certains employés et dirigeants. Ces mesures visent à démontrer la volonté de limiter au maximum la diffusion des informations confidentielles à l’intérieur même de l’entreprise.
Les clauses de confidentialité dans les contrats
Les parties à une entente entre le secteur privé et l’État peuvent prévoir l’engagement de chacune des parties de garder confidentiel le contenu du contrat et l’ensemble des documents et informations fournis par l’entreprise dans le cadre des échanges entourant la signature de ce contrat.
Les mêmes précautions devraient être suivies dans le contexte de la transmission de tout document qu’une personne serait tenue de fournir au Gouvernement du Québec ou au ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (le « MSSS ») aux termes des pouvoirs exceptionnels que confère la Loi sur la santé publique[9]. En effet, cette loi prévoit notamment que le Gouvernement du Québec ou le MSSS peuvent ordonner à une personne, sans formalité et pour protéger la santé de la population, de donner accès immédiatement à tout document ou à tout renseignement en sa possession.[10]
Les demandes particulières lors d’échanges avec l’État
L’engagement contractuel des parties d’aviser l’autre partie de toute demande d’accès constitue un autre élément qui peut amener à conclure que le critère de la confidentialité subjective est satisfait.
Par ailleurs, puisque les lois sur l’accès à l’information protègent les renseignements fournis par un tiers (et non les informations qui résultent d’une négociation entre le tiers et l’État), il est avisé d’identifier les renseignements confidentiels qui émanent de l’entreprise et d’exprimer sommairement les conséquences préjudiciables de leur communication. Cela incitera à la prudence le responsable d’accès à l’information saisi d’une demande.
La transmission d’observations écrites en cas de demande d’accès
Si une demande d’accès est effectivement déposée par un requérant à l’égard d’un document ou d’un renseignement fourni par une entreprise à un gouvernement ou un organisme public, le responsable de l’accès à l’information avisera normalement le tiers qui a fourni ledit document ou renseignement s’il a l’intention d’autoriser l’accès. Dans un tel cas, ce tiers aura l’opportunité de présenter ses observations écrites, dans les 20 jours suivant la date où elle a été informée par l’organisme public de son intention de communiquer le renseignement.[11] Ces observations doivent alors être suffisamment détaillées pour démontrer que l’une des restrictions du droit d’accès est applicable, le cas échéant. Ainsi, une simple lettre mentionnant que l’entreprise refuse la communication des renseignements sans justificatif n’est généralement pas suffisante pour convaincre l’organisme public de refuser la divulgation. Il est donc important que le tiers s’assure de transmettre des observations le plus détaillées possible.
En outre, il est à noter qu’à défaut de répondre au responsable d’accès à l’information dans les délais prescrits, le tiers sera réputé avoir consenti à ce que l’accès soit donné au document, d’où l’importance de toujours rester alerte, même durant la pandémie, si un organisme public vous contacte à ce sujet.
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La volonté d’assurer la transparence de l’État et la saine gestion des affaires publiques demeure d’actualité, particulièrement en temps de crise où les processus décisionnels habituels sont modulés pour permettre plus d’agilité aux gouvernements. Bien que les informations confidentielles transmises aux gouvernements et aux organismes publics dans le contexte de la pandémie demeurent normalement protégées par les lois en matière d’accès à l’information, sous certaines conditions, il est recommandé de multiplier les mesures de prudence et de précaution afin de minimiser les risques qu’un responsable d’accès à l’information consente à la divulgation d’un document sans réaliser qu’il contient de l’information hautement confidentielle. Ce risque existe en tout temps, mais il nous semble plus grand à l’heure actuelle, alors que les responsables d’accès à l’information sont susceptibles d’être submergés de demandes. Parmi les mesures à considérer, rappelons l’inscription d’une mention « confidentiel » sur les documents, les clauses contractuelles de maintien de la confidentialité, l’engagement d’aviser l’autre partie de toute demande d’accès à l’information et les représentations sommaires visant à informer les autorités du dommage qui découlerait d’une divulgation de l’information, autant de moyens complémentaires qui pourront atténuer le risque que des informations sensibles soient divulguées sans votre consentement.
Ce billet de blogue fait partie de nos efforts continus pour vous maintenir informés au sujet de la COVID-19. Consultez notre Centre d’information sur la COVID-19 pour d'autres mises à jour, ou communiquez avec l’une des auteures du présent billet pour toute question en matière d’accès à l’information.
[1] RLRQ, ch. A-2.1.
[2] L.R.C. (1985), ch. A-1.
[3] Pierre Trudel, Professeur titulaire à la Faculté de droit de l’Université de Montréal, cité dans : Louis Gagné, L’accès à l’information ralenti par la pandémie, Radio-Canada, 24 mars 2020, en ligne : < https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1682416/impacts-coronavirus-demandes-acces-information-ministeres-organismes-publics >.
[4] En vertu du décret numéro 222-2020 du 20 mars 2020.
[5] Commission d’accès à l’information, COVID-19 : Avis important – mise à jour, 31 mars 2020, en ligne : < https://www.cai.gouv.qc.ca/covid-19-avis-important-mise-a-jour-31-03-2020/ >.
[6] Cour fédérale, Mise à jour de la directive sur la procédure et ordonnance (COVID-19) et de la FAQ, 4 avril 2020, en ligne : < https://www.fct-cf.gc.ca/Content/assets/pdf/base/FINALE%20-%20FR%20Covid-19%20Mise%20%C3%A0%20jour%20de%20la%20directive%20sur%20la%20proc%C3%A9dure%20et%20ordonnance.pdf >.
[7] Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, Présenter une demande d’accès à l’information ou à vos renseignements personnels, en ligne : < https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/acces-information-protection-reseignements-personnels/acces-information/presenter-demande.html >.
[8] Pour l’exercice 2018-2019, des 123 421 demandes reçues par les institutions fédérales, 48% ont été formulées par des entreprises, 7,0% par des représentants des médias et 29,7% par le public. Secrétariat du Conseil du Trésor, Rapport statistique sur l’accès à l’information et la protection des renseignements personnels pour l’exercice 2018-2019, 2019, en ligne : < https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/acces-information-protection-reseignements-personnels/statistiques-aiprp/rapport-statistique-acces-information-protection-renseignements-personnels-exercice-2018-2019.html#toc1-1 >.
[9] RLRQ, ch. S-2.2.
[10] RLRQ, ch. S-2.2, voir paragraphe 3 de l’article 123.
[11] Arts. 25 et 49 LAIQ; art. 28 (1) (a) LAIC.